Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà trente ans, la France a rompu avec sa tradition centralisatrice pour engager une mutation profonde de son mode d’organisation institutionnelle et administrative.
La nécessité d’entreprendre la décentralisation est établie par le général de Gaulle dès les années soixante.
Le passage de cette France étatique à la France des territoires, nous le devons aux lois Defferre. Ces dernières marquent l’émancipation des collectivités territoriales de la tutelle préfectorale, reconnaissent pleinement le principe constitutionnel de libre administration et donnent ainsi un sens et un véritable enjeu aux élections cantonales, puisque nos concitoyens choisissent des élus de proximité pour changer la vie quotidienne et pour moderniser le territoire.
Trente ans après, ces deux projets de loi que vous présentez au Sénat, monsieur le ministre, comportent des dispositions qui fragilisent l’édifice bâti par nos deux familles politiques et contredisent même l’exposé des motifs qui les introduit, c’est-à-dire l’esprit même des textes que vous souhaitez pourtant voir adoptés.
Parce que l’opposition doit être constructive pour exister, au-delà des petites phrases, parce que la crédibilité de la parole publique suppose de dépasser les effets de manche, je vais tout simplement utiliser le temps de parole dont je dispose non seulement pour souligner les limites et les dangers concrets de ces textes pour la vitalité de la démocratie locale, mais aussi pour proposer des pistes de progrès.
Localement, en tant que président de conseil général, et ici, à Paris, comme membre du Parlement et président du groupe des départements de la droite, du centre et des indépendants à l’Assemblée des départements de France, je mesure au quotidien l’impact du mode de scrutin, c’est-à-dire de la manière de choisir les responsables politiques, sur le fonctionnement de la démocratie locale, dans les conseils généraux en particulier.
C’est donc, mes chers collègues, une question de la plus haute importance qui nous est soumise au travers de ces deux projets de loi. Je limiterai volontairement mon propos au titre Ier, dédié au futur conseil départemental.
À en croire l’exposé des motifs, « le projet de texte vise à prendre en compte les évolutions qu’ont enregistrées les territoires en adaptant les modalités d’élection ». Une telle adaptation doit « conserver […] le lien étroit entre l’élu et son territoire » et « ne procéder qu’aux aménagements strictement nécessaires ».
L’esprit du texte consisterait donc simplement à moderniser un bon mode de scrutin, en l’occurrence uninominal majoritaire à deux tours, dont la « remarquable stabilité », depuis la loi du 10 août 1871, est d’ailleurs saluée. Il ne s’agirait pas de remettre en cause ce qui fonctionne bien, mais de l’adapter aux temps présents.
Telle n’est malheureusement pas la réalité de ce texte, qui remet au contraire totalement en cause les avantages du mode de scrutin majoritaire.
D’abord, d’un seul candidat, nous passons à deux et, d’uninominale, l’élection devient binominale pour – et c’est là tout le problème – un seul et même territoire.
Une offre de candidatures individuelles pour que les électeurs choisissent un élu pour un territoire, c’était sans doute trop évident, trop facile et trop peu subtil pour ce gouvernement. Alors, on nous propose deux points de vue, deux analyses, deux approches, pour informer les mêmes habitants d’un même territoire au nom d’une seule et même collectivité !
Que se passera-t-il si ces deux voix cessent de parler à l’unisson ? Quelle crédibilité aura le conseil général – pardon, le conseil départemental – si la loi est votée ?
J’ai passé l’âge de la candeur et, à l’inverse de Candide, au risque de vous décevoir, je ne crois plus depuis longtemps que tout, dans la vie politique, soit pour le mieux dans le meilleur des mondes possible.