Intervention de Bruno Sido

Réunion du 15 janvier 2013 à 21h30
Élection des conseillers départementaux des conseillers municipaux et des délégués communautaires et modification du calendrier électoral — Discussion générale commune

Photo de Bruno SidoBruno Sido :

J’ai précisément dit que je n’étais pas Candide, monsieur Sueur !

Rien ne garantit que l’entente entre la femme et l’homme qui composeront ce binôme durera dans le temps, une fois passé le bonheur partagé de la victoire électorale, d’autant que la solidarité juridique cessera entre eux une fois l’élection acquise, puisque chacun votera bien comme il ou elle le souhaitera au sein de l’assemblée départementale.

La dimension binominale – deux élus pour un canton – et la dimension binomiale – l’élection de l’un entraîne obligatoirement celle de l’autre – font de cette « innovation politique », comme on peut le lire dans le projet de loi, une expérimentation hasardeuse pour la vie politique locale, source de confusion sur le terrain comme dans les assemblées.

L’abaissement du seuil requis pour accéder au second tour constituera également une source de confusion : on passe de 12, 5 % des inscrits à 10 % seulement, ce qui ne manquera pas d’entraîner des triangulaires et de brouiller la lisibilité du scrutin. D’ailleurs, ne vous y trompez pas, mes chers collègues, la droite et le centre n’en seront pas les seules victimes : le Front de gauche, vos amis écologistes ou encore vos fidèles soutiens communistes pourraient créer d’autant plus facilement la surprise que la popularité du Gouvernement risque de se réduire comme peau de chagrin d’ici à 2015.

La dimension paritaire de ce binôme ne me pose en elle-même aucune difficulté, bien au contraire. Le chiffre de 13, 5 % de femmes élues dans les conseils généraux est très insatisfaisant au regard de l’objectif de représentativité du corps électoral. Je pense que c’est un constat que nous partageons tous.

Depuis la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999, l’article 1er de la Constitution fixe un objectif d’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.

Il s’agit d’un objectif, c’est-à-dire d’un but à atteindre, et non pas d’une obligation constitutionnelle à mettre en œuvre séance tenante et coûte que coûte. Autrement dit, le législateur reste libre des modalités d’application pour tendre vers cet objectif, vers cet idéal dirais-je même, comme il reste seul compétent sur la question du calendrier.

Comme trop souvent dans notre pays, un excès est corrigé non par une mesure équilibrée mais par un excès en sens inverse. Faut-il passer, dès 2015, c’est-à-dire dès demain, de 13, 5 % à 50 % de femmes conseillères départementales, soit une multiplication par quatre de leur nombre ?

Avant d’être un homme ou une femme, nous sommes simplement des personnes qu’il convient de respecter. Disons-le clairement, les conseillers généraux actuels qui resteront sur le bord du chemin lors des élections de 2015 ne sont pas moins méritants ni moins talentueux que les femmes conseillères départementales qui seront élues à leur place.

Prend-on conscience de l’ampleur de la recomposition des assemblées départementales qui va découler de cette disposition ? Ces sujets sont moins simples qu’il n’y paraît lorsque l’on quitte les grands principes pour la réalité humaine.

Encore une fois, je soutiens l’objectif de composition paritaire des futurs conseils départementaux, mais je regrette la méthode du Gouvernement, qui confond vitesse et précipitation.

Au sein des conseils départementaux, les exécutifs devront aussi être composés de manière strictement paritaire. À ce jour, chaque vice-président peut être élu séparément du reste des membres du bureau, de telle sorte que son élection constitue une véritable élection interne, ne résultant ni du bon plaisir du président ni d’une simple formalité.

Je considère qu’abandonner la possibilité de se faire élire vice-président sur son nom et ses qualités pour figurer – je dis bien « figurer » – sur une liste que le chef de l’exécutif déposera et qu’évidemment la majorité ratifiera, sans panachage ni vote préférentiel possible, affaiblit la démocratie locale.

Avant d’être homme ou femme, les élus sont des citoyens à qui le corps électoral a témoigné sa confiance pour leurs capacités personnelles présumées ou reconnues. Le principal bénéficiaire de ce mode de scrutin peu lisible sera sans doute, malheureusement, l’abstention.

Le lien entre l’élu et le territoire, qui continuera d’ailleurs de s’appeler « canton », est, comme le reconnaît le Gouvernement, l’un des avantages principaux du mode de scrutin majoritaire. Renforcer ce lien, du moins le préserver, fait partie des objectifs affichés dans le projet de loi. C’est tout le contraire qui va se produire dans les nouveaux cantons ruraux en raison des modalités du remodelage électoral.

Qu’est-ce qu’un conseiller général aujourd’hui dans le monde rural ? C’est l’élu de proximité par excellence, celui ou celle que tous les habitants des communes du canton connaissent et identifient comme un « relais » de confiance pour toutes les questions qui concernent la collectivité départementale, bien sûr, mais aussi comme un relais vers les sous-préfectures et la préfecture, voire vers la région, tant les élus régionaux restent, à quelques exceptions près, peu connus de nos concitoyens.

Loin d’être les élus du seul conseil général, dont le rôle se limiterait à la mise en œuvre des politiques publiques menées par leur collectivité, les conseillers généraux sont en prise directe avec tous les sujets de la vie quotidienne de nos concitoyens.

Ce nouveau mode de scrutin va laminer la représentation des cantons ruraux et éloigner les élus des électeurs. Après avoir vu disparaître la gendarmerie, La Poste, la trésorerie et l’école, va-t-on voir partir demain le conseiller général de proximité au profit d’un conseiller départemental qui ressemblera davantage à un député en miniature ?

Le Gouvernement prévoit de remodeler, pour ne pas dire redécouper, la carte cantonale, afin de réduire les écarts de représentation entre les cantons au nom du respect du principe d’égalité des suffrages.

L’intention est louable ; le constat, partagé : les trois cinquièmes des cantons de France n’ont pas connu de modification de leurs limites administratives depuis 1801, alors que, depuis deux siècles, les évolutions démographiques internes aux départements sont évidemment considérables.

Le gouvernement de François Fillon avait non seulement dressé ce constat, mais surtout apporté une réponse appropriée avec la création du fameux conseiller territorial. Celui-ci était lui aussi l’élu d’un territoire remodelé pour limiter les écarts de représentation. Oui, il est anormal que, dans l’Hérault, l’écart de population d’un canton à l’autre puisse varier de 1 à 47, comme il est injuste que, en Haute-Marne, le canton de Chaumont-Sud et ses presque 18 000 habitants aient autant de poids dans l’assemblée que le certes très charmant canton d’Auberive et ses 1 500 habitants.

Encore une fois, nous sommes d’accord sur le constat, mais en aucune façon sur la solution proposée.

Le Gouvernement autorise une variation de plus ou moins 20 % autour de la moyenne, un tunnel en quelque sorte, dans lequel doivent absolument s’inscrire tous les remodelages à venir.

Ainsi, le plus petit canton de mon département comptera demain 9 202 habitants au minimum contre 1 440 aujourd’hui. La densité de population au kilomètre carré atteint à peine cinq habitants dans ce secteur, si bien que, pour atteindre 9 202 habitants, la nouvelle circonscription s’étendra sur 1 840 kilomètres carrés, monsieur Mézard ! C’est tout simplement immense !

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