Intervention de Louis Nègre

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 23 janvier 2013 : 3ème réunion
Grenelle de l'environnement — Examen du rapport d'information

Photo de Louis NègreLouis Nègre, rapporteur :

Troisième et dernier point sur lequel nous avons choisi de porter notre attention dans le cadre de ce rapport : la RSE. Le sujet nous a semblé constituer un cas d'école en matière de contrôle de l'application de la loi. Le décret d'application a bien été publié, mais il est revenu tant sur l'esprit que sur la lettre de la loi.

La loi Nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001 imposait aux quelques 700 entreprises françaises cotées sur le marché de rendre compte, dans leur rapport annuel, de leur gestion sociale et environnementale au travers de leur activité. L'article 225 de la loi Grenelle II, conformément aux préconisations retenues lors du Grenelle, a étendu ce dispositif de reporting selon deux axes. Premier axe : le champ d'application du dispositif a été élargi aux sociétés non cotées dont le total de bilan ou de chiffre d'affaires et le nombre de salariés dépassent des seuils fixés par décret. Deuxième axe : le champ des informations sociales et environnementales devant figurer dans le rapport de gestion a été étendu.

La fixation des seuils de déclenchement du dispositif a donc été renvoyée à un décret d'application. Lors des travaux du Grenelle, un consensus avait été trouvé pour rendre obligatoire le rapport RSE à toutes les entreprises de plus de 500 salariés dont le total de bilan était supérieur à 43 millions d'euros. Le décret d'application n'a été publié que le 24 avril 2012, avec un retard certain. Dans l'intervalle, sous l'influence des groupes de pression, un certain nombre de reculs par rapport au texte initial ont été opérés.

Les seuils de déclenchement du dispositif ont finalement été fixés, non pas à 43 millions, mais à 100 millions d'euros pour le total du bilan, et à 500 pour le nombre de salariés employés. Le décret prévoit par ailleurs une distinction entre les obligations des sociétés cotées et celles des sociétés non cotées, distinction qui n'était pas présente dans le texte législatif. Le décret d'application sur la RSE constitue donc un recul par rapport au texte initial. Le seuil choisi en matière de total de bilan est deux fois plus élevé que ce que le Grenelle préconisait. Il est en outre intervenu de manière très tardive. De nombreuses associations ont déploré le choix retenu de distinguer entre sociétés cotées et non cotées. De l'avis des personnes que nous avons pu entendre en auditions, l'adoption de ce décret a malheureusement été marquée par un abandon des pratiques de gouvernance à cinq et un retour à une logique de lobbying et de relations bilatérales.

La feuille de route pour la conférence environnementale comporte plusieurs mesures concernant la RSE et le reporting extra-financier, notamment la création d'une plateforme d'actions globale sur la RSE. La conférence environnementale a également été l'occasion d'acter la suppression du critère tiré de la cotation ou non des entreprises, critère non pertinent au regard des objectifs de la loi. Plusieurs organisations syndicales et associatives avaient dénoncé la création de cette double liste. Le Conseil d'État s'était également prononcé défavorablement sur ce point, estimant que la double liste créerait une rupture d'égalité devant la loi. La distinction entre sociétés cotées et non cotées devrait, il nous semble, être remplacée par un critère plus pertinent lié à la taille des entreprises.

Cette mesure est une sorte de cas d'école en matière de déformation des objectifs de la loi par le pouvoir réglementaire. Les travaux à venir sur le sujet devront donc être suivis avec la plus grande attention.

Partant de cet exemple symptomatique du risque de dérive par rapport au texte législatif et aux accords passés, je conclurai mon intervention par une constatation et une proposition.

Je constate que le Sénat, en créant la commission pour le contrôle de l'application des lois, a fait à l'évidence oeuvre utile. Au-delà du vote de la loi, il s'est donné les moyens d'accomplir une de ses missions principales dans une démocratie moderne, qui est de contrôler sa mise en application. Dans le cadre de la Constitution de la Vème République, cette mission lui permet d'opérer un rééquilibrage par rapport à l'exécutif, sans que ce dernier ne soit pour autant nullement empêché d'agir.

La proposition maintenant : compte tenu de ce que nous avons pu constater, et de la nécessité pour le Parlement et notamment le Sénat, de veiller à ce que les décrets d'application élaborés par l'administration soient conformes tant au texte de la loi qu'à son esprit, je propose que les rapporteurs des projets de loi assurent de manière paritaire, au nom de la commission pour le contrôle de l'application des lois, le suivi de l'écriture des décrets d'application par l'administration centrale.

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