Intervention de Jean-Pierre Plancade

Réunion du 28 janvier 2013 à 15h00
Création d'une haute autorité chargée du contrôle et de la régulation des normes applicables aux collectivités locales — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jean-Pierre PlancadeJean-Pierre Plancade :

Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, tout le monde s’accorde sur le diagnostic, mais la méthode n’a pas encore été trouvée.

Tout le monde reconnaît que nos collectivités territoriales sont écrasées sous le poids des normes, comme d’ailleurs sous celui du droit en général. Les chiffres ont déjà été évoqués, mais ils sont trop éloquents pour ne pas être rappelés. Au 1er juillet 2007, 2 619 textes de nature législative, représentant 22 334 articles, étaient en vigueur. Au niveau réglementaire, 23 883 décrets étaient recensés au 1er juillet 2008, pour un total de 137 219 articles. Il existe par ailleurs 64 codes, qui comportent 33 742 articles de nature législative, 57 080 articles de nature réglementaire et 11 415 articles indifférenciés. L’Association des maires de France, l’AMF, évoque le chiffre de 400 000 normes de toute nature applicables aux collectivités territoriales.

Le diagnostic n’est pas nouveau : dans son rapport public de 1991, le Conseil d’État stigmatisait déjà la surproduction législative et soulignait que, « quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite ». Ce précepte vaut également pour les collectivités territoriales.

La mission commune d’information sur le bilan de la décentralisation, dont Michel Mercier était le rapporteur, insistait quant à elle, en 2000, sur la perte de la maîtrise de leurs compétences par les collectivités en raison de cette inflation normative qui revient à entraver leur libre administration.

Sont en cause la kyrielle de règlements types, de normes techniques et autres schémas imposés par l’État sans concertation, qui sont loin d’être de nature à faciliter l’exercice de leurs compétences par les collectivités.

Ce constat était toujours partagé en 2007 par le groupe de travail présidé par notre ancien collègue Alain Lambert, pour lequel l’accroissement des charges pesant sur les collectivités ne pouvait que complexifier les procédures et in fine amoindrir les initiatives locales.

La création, dans le sillage de ce groupe de travail, de la CCEN constitua une avancée importante. Le travail qu’elle a effectué depuis 2008 sous la présidence d’Alain Lambert, auquel je tiens à rendre hommage, a déjà permis de mettre en place de nouvelles méthodes de production des normes.

Le caractère systématique du dialogue entre la CCEN et les administrations centrales avant toute édiction de norme applicable aux collectivités a permis l’émergence d’une véritable relation de confiance et s’est traduit par la production de textes mieux rédigés et plus adaptés aux réalités locales. Nous nous félicitions d’ailleurs que notre commission ait elle aussi salué le travail accompli par la CCEN en inscrivant le nouveau Conseil national d’évaluation des normes dans la continuité des travaux et avis qu’elle a rendus depuis 2008.

La présente proposition de loi se veut la traduction législative des préoccupations exprimées par une grande majorité des élus locaux lors des états généraux de la démocratie territoriale. Ces préoccupations, nous devons bien sûr les entendre, car, en tant que législateurs, nous avons aussi notre part de responsabilité dans l’inflation normative qui frappe les collectivités et dont nous sommes souvent les premières victimes.

Je pense notamment aux quatre propositions de loi dites de simplification du droit qui nous ont été soumises lors de la précédente législature. Nos votes ont un impact direct sur les élus locaux ; à nous de mieux en tenir compte.

La Haute autorité, renommée Conseil national d’évaluation des normes par la commission des lois, a toute son utilité au regard du stock de normes qui accable les collectivités.

Notre groupe s’interroge toutefois sur le choix de la présente proposition de loi comme véhicule législatif. Les états généraux de la démocratie territoriale appelaient en effet une traduction législative rapide et concrète. Or la proposition de loi de simplification des normes applicables aux collectivités locales que nous avait récemment présentée notre collègue Éric Doligé contenait déjà des dispositions en grande partie similaires, il faut bien le reconnaître, à celles du texte que nous examinons. Dans son rapport, notre excellente collègue Jacqueline Gourault avait d’ailleurs établi une liste des améliorations qui auraient pu être apportées à la CCEN, améliorations que l’on retrouve, appliquées au nouveau CNEN, dans le texte qui nous est soumis aujourd'hui.

Nous nous interrogeons également sur la place du futur Conseil national d’évaluation des normes dans le paysage administratif. La suppression des normes excessives ou inadaptées est un impératif, mais pourquoi avoir tout récemment mis en place la mission Lambert-Boulard sur la chasse aux « norme absurdes » dans le stock, donc, de normes existantes au lieu de confier au Conseil des compétences à la fois sur le stock et sur les flux ?

Par ailleurs, nous espérons que le Conseil national ne sera pas une structure administrative de plus, qui ne fera qu’alourdir un processus décisionnaire déjà complexe et lent.

Sa composition – près de 36 membres – n’est pas nécessairement de bon augure. Quand bien même des sous-sections thématiques seraient créées en son sein, les exemples de commissions administratives pléthoriques qui fonctionnent mal, voire qui ne se réunissent pas du tout, sont légion. Il n’aurait pas été scandaleux, à nos yeux en tout cas, de prévoir une composition aussi pluraliste mais plus ramassée.

Il sera également impératif que le président – ou la présidente – du Conseil national fasse preuve d’un grand volontarisme pour insuffler à cette structure un véritable dynamisme qui légitimera son action.

Nous nous interrogeons aussi sur l’articulation du Conseil national avec le futur Haut conseil des territoires que le Gouvernement semble vouloir créer, Haut conseil à propos duquel mon groupe est plus que réservé.

Ce Haut conseil serait appelé à rendre des avis sur tout projet de loi relatif aux compétences, au sens large, des collectivités locales. Que se passera-t-il si son avis diverge de celui du Conseil national d’évaluation des normes ? Une telle divergence serait d’autant plus problématique que ces deux organismes seront composés d’élus locaux.

Notre groupe est par ailleurs assez peu enthousiaste à l’idée d’une intervention du Conseil national dans la procédure législative. En premier lieu, sa composition n’en fait pas une autorité strictement indépendante, puisque des représentants de l’État siègent en son sein. Or il sera obligatoirement saisi des projets de loi créant ou modifiant des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs groupements.

À l’heure actuelle, d’après la Constitution, le Gouvernement n’est soumis qu’à deux obligations de saisine préalable : il doit consulter le Conseil d’État, qui ne porte pas d’appréciation en opportunité, sur tous ses projets de loi, et le Conseil économique, social et environnemental, le CESE, sur tous les projets de loi de programmation en matière économique ou sociale.

La proposition de loi précise, pour formaliser une sanction en cas d’absence de saisine, que l’avis du Conseil national doit être joint à l’étude d’impact d’un projet de loi. Le procédé est ingénieux, mais il revient à subordonner le pouvoir d’initiative du Gouvernement à l’avis d’une commission administrative dont l’existence n’est prévue que par la loi, ce qui nous paraît discutable sur le plan constitutionnel.

En second lieu, la procédure de saisine du Conseil national sur les amendements du Gouvernement et des parlementaires ne va pas forcément de soi. L’article 45 de la Constitution ne subordonne la recevabilité des amendements du Gouvernement qu’à l’existence d’un lien avec le texte en discussion. Quant à l’article 50 de notre règlement, il prévoit que les amendements du Gouvernement ne sont soumis à aucune règle de délai.

Il conviendrait certes de mettre fin à la pratique quelque peu détestable du dépôt d’amendement à la dernière minute, en particulier lorsqu’il s’agit d’amendements de plusieurs pages. Cependant, instituer une compétence obligatoire du Conseil national sur les amendements du Gouvernement nous paraît ajouter une contrainte discutable, dans la mesure où il n’existe pas actuellement de contrôle préalable des amendements gouvernementaux.

Quand bien même cet avis ne lierait pas le Gouvernement, l’obligation de saisine pourrait retarder la discussion des textes ou susciter l’embarras en cas d’avis négatif.

En outre, la présence de parlementaires au sein du Conseil national pose question au regard du principe de séparation des pouvoirs. Cette réflexion peut d’ailleurs être étendue à l’hypothèse d’une compétence facultative du Conseil national sur les amendements d’origine parlementaire en cas de saisine par le président d’une des deux assemblées. En effet, il est pour le moins curieux que des parlementaires se prononcent a priori sur des initiatives de leurs collègues.

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