Intervention de Christiane Demontès

Commission des affaires sociales — Réunion du 30 janvier 2013 : 1ère réunion
Création du contrat de génération — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Christiane DemontèsChristiane Demontès, rapporteure :

Alors que le chômage atteint un niveau inégalé dans notre pays, le Gouvernement met tout en oeuvre - avec les emplois d'avenir récemment, les contrats de génération aujourd'hui et le futur projet de loi de transposition de l'accord du 11 janvier 2013 sur la sécurisation de l'emploi - pour gagner la bataille pour l'emploi et inverser la courbe du chômage en 2013, selon l'objectif fixé par le Président de la République.

Le marché du travail français est segmenté : il repose principalement sur l'emploi des 25-54 ans, avec un taux d'emploi de 81,4 % en 2011 contre 77,6 % en moyenne dans les pays de l'Union européenne. Cependant les plus jeunes et les plus âgés sont souvent en situation précaire. Le chômage touche 10,3 % de la population active, mais 25 % des 15-24 ans. Il n'est que de 6,5 % pour les seniors, mais ceux-ci ont été les principales victimes de la crise économique : le nombre des plus de cinquante ans inscrits à Pôle emploi a doublé depuis 2008 ; et leur réinsertion sur le marché du travail est quasiment impossible.

La comparaison avec les moyennes européennes est frappante. Le taux d'emploi des 15-24 ans plafonné à 30 %, soit quatre points de moins que la moyenne européenne, et à 41,5 % pour les 55-64 ans, six points de moins. Il y certes des spécificités françaises, comme un cumul emploi-étude ou emploi-formation rare, ou l'âge d'ouverture des droits à la retraite, mais un constat s'impose : le marché du travail français est organisé autour d'une seule génération.

J'aimerais insister sur les difficultés grandissantes que rencontrent les jeunes pour s'insérer sur le marché du travail. Les contrats précaires sont souvent leur seule opportunité. Les CDD, intérim et stages représentent 55 % de l'emploi total des 15-24 ans, contre 40,6 % dans l'Union européenne. Contrairement à une idée reçue, le temps partiel des jeunes est moins répandu que chez nos voisins, puisqu'il représente 22,4 % de l'emploi total des 15-24 ans contre 30 % en Europe, mais dans un cas sur deux il s'agit de temps partiel subi.

Le contrat de génération est un engagement de François Hollande. Il vise à favoriser « l'embauche par les entreprises, en contrat à durée indéterminée, de jeunes, accompagnés par un salarié plus expérimenté, qui sera ainsi maintenu dans l'emploi jusqu'à son départ à la retraite », préservant ainsi des savoir-faire et intégrant durablement les jeunes dans la vie professionnelle. Cette idée généreuse et novatrice fait l'objet d'un large consensus auprès des personnes que j'ai auditionnées. Pour la première fois en France, et même en Europe, une politique publique de l'emploi dépasse le clivage entre les jeunes et les seniors et adopte une vision transversale des âges pour favoriser la transmission des savoirs et des compétences. Lors de la grande conférence sociale de juillet dernier, les partenaires sociaux ont accepté la proposition du président de la République de négocier au niveau interprofessionnel les modalités du contrat de génération. Un document d'orientation leur a été remis en septembre, et ce processus a débouché, le 19 octobre dernier, sur la signature d'un accord national interprofessionnel (Ani).

Le projet de loi initial en reprend fidèlement le contenu, comme l'ont reconnu lors de nos auditions les représentants des organisations signataires. Le Gouvernement a dû trancher sur certains points, comme les bornes d'âge, et préciser quelques éléments de l'accord, mais sans le dénaturer. Certains points de nature réglementaire n'ont pas été repris dans le projet de loi. Enfin, certains sujets étaient exclus du périmètre de négociation comme la fixation des pénalités et les conditions de versement de l'aide. Le projet de loi est donc le résultat d'une méthode qui a donné toutes ses chances au dialogue social.

Le coeur du dispositif consiste en une aide forfaitaire de 4 000 euros par an aux entreprises de moins de 300 salariés qui embauchent en CDI un jeune de moins de vingt-six ans, ou un jeune travailleur handicapé de moins de trente ans, à condition de maintenir en emploi un senior de plus de cinquante-sept ans, ou un travailleur handicapé de plus de cinquante-cinq ans, ou une personne embauchée de plus de cinquante-cinq ans.

Il convient de dissiper deux malentendus. Le contrat de génération n'est pas un emploi aidé, contrairement aux emplois d'avenir. Le jeune est embauché en CDI : c'est un salarié comme les autres, éligible au plan de formation. Il ne s'agit pas non plus d'un contrat de formation en alternance. C'est pourquoi l'Ani parle de « référent » pour qualifier la personne qui transmettra les savoirs et les compétences, et non de « tuteur » ou de « maître d'apprentissage », afin d'éviter les confusions avec les contrats de professionnalisation ou d'apprentissage.

Par pragmatisme et souci d'efficacité, aucune obligation n'est imposée aux entreprises de moins de cinquante salariés pour bénéficier de l'aide. Elle ne sera pas versée si elles ont procédé à un licenciement économique six mois plus tôt sur le même poste. Une aide peut être versée lorsqu'un chef d'entreprise de cinquante-sept ans embauche un jeune en vue de lui transmettre son entreprise de moins de cinquante salariés. C'est une bonne chose car les très petites entreprises et les artisans peinent à assurer leur succession.

Les entreprises de 50 à 300 salariés ne peuvent bénéficier de l'aide que si elles ont conclu un accord collectif d'entreprise intergénérationnel ou, à défaut, si un plan d'action a été arrêté par l'employeur. En l'absence de l'un et de l'autre, elles ne peuvent bénéficier de l'aide que si elles sont couvertes par un accord de branche étendu. Priorité est donc donnée à l'échelon de l'entreprise et, en son sein, à la négociation : les partenaires sociaux ont tiré les enseignements de l'échec relatif des accords seniors de 2009.

Accord ou plan d'action doivent être précédés d'un diagnostic alors que les accords seniors n'imposaient pas cette étape). Ils comprendront des objectifs assortis d'indicateurs chiffrés, un échéancier des mesures sur trois ans, des modalités de publicité de l'accord. Les entreprises doivent en outre négocier sur trois thèmes choisis dans une liste de sept.

Les entreprises et Epic de plus de 300 salariés n'ont pas droit à l'aide mais n'en doivent pas moins conclure un accord collectif ou élaborer un plan d'action, sauf à s'exposer à une pénalité de 1 % de la masse salariale ou 10 % des réductions de cotisations patronales « Fillon ». Tout cela figure dans l'article 1er.

L'article 2 concerne l'articulation entre les obligations liées au contrat de génération et les obligations actuelles de négociation triennale sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Les accords GPEC pourront intégrer le contrat de génération s'ils sont conformes aux dispositions de l'article 1er.

L'article 3 supprime les accords seniors de 2009, remplacés par la négociation sur le contrat de génération. Ils ont eu le mérite, depuis trois ans, de faire entrer le thème de l'emploi des seniors dans les entreprises. L'article 4 habilite le Gouvernement à adapter la présente loi par ordonnance pour la rendre applicable à Mayotte. L'article 5 définit les conditions d'entrée en vigueur du contrat de génération. Les entreprises de plus de 300 salariés ont six mois pour négocier avant que la pénalité s'applique, ce qui semble un délai raisonnable.

Les avantages de ce contrat de génération sont de trois ordres. Lutter contre le chômage, bien sûr. L'étude d'impact évoque 100 000 embauches annuelles en année pleine ; cela dépendra beaucoup du taux de croissance de l'économie, du taux de substitution avec les CDD et du degré de complexité des procédures administratives. Lutter contre la précarité de l'emploi des jeunes, ensuite. Renforcer la compétitivité des entreprises, enfin, par une meilleure gestion de leur pyramide des âges. L'augmentation du taux d'emploi des jeunes et des seniors a un impact positif sur la croissance du PIB, comme l'a montré l'exemple finlandais.

Cinq conditions doivent être remplies pour que le contrat de génération soit un succès : prendre rapidement les décrets d'application, mobiliser les services concernés, sensibiliser les chefs d'entreprises et l'opinion publique, assurer un suivi statistique précis et favoriser la formation des salariés peu qualifiés de plus de quarante-cinq ans.

A l'article 1er, les députés ont précisé le contenu du procès-verbal de désaccord, du diagnostic préalable, des accords collectifs et des plans d'action ; ils ont prévu que les discussions porteraient aussi sur les conditions d'emploi des seniors ; ils ont renforcé les obligations en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et de lutte contre les discriminations. Ils ont également imposé le CDI, le temps plein étant la règle, et le travail à temps partiel n'étant pas autorisé en-dessous de 80 %. Les conditions d'éligibilité à l'aide ont été durcies, celles de suppression élargies. L'Assemblée nationale a, enfin, supprimé la référence à un décret pour les projets de transmission des entreprises de moins de cinquante salariés. L'article 1er bis - un rapport du gouvernement sur l'application du contrat de génération en outre-mer - a été ajouté en séance publique. La rédaction gagnerait à en être simplifiée.

A l'article 5, les députés ont souhaité éviter tout retard d'application et ont donc prévu, pour les entreprises de moins de cinquante salariés, que l'aide portera sur les recrutements effectués à compter du 1er janvier 2013. Elle sera donc versée rétroactivement. Enfin, pour ne pas pénaliser les jeunes en CDD ou en alternance au moment de la promulgation de la loi, l'Assemblée nationale a prévu que leur embauche en CDI pourra se faire dans le cadre du contrat de génération. L'article 5 bis, inséré par voie d'amendement en séance publique, institue pour trois ans un examen professionnel ouvert aux contrôleurs du travail, pour accéder au corps des inspecteurs du travail. L'article 6 prévoit un rapport annuel sur la mise en oeuvre des contrats de génération.

Je n'ai pas souhaité remettre en cause les grands équilibres du texte. Certains parmi vous s'interrogent sur le rôle du Parlement, qu'ils craignent de voir réduit à une simple chambre d'enregistrement. Le législateur peut bien sûr revenir sur une disposition essentielle d'un accord, quitte à en remettre en cause l'équilibre, s'il se fonde sur des arguments largement partagés. Il doit si nécessaire faire respecter la hiérarchie des normes et de la Constitution. Mais le présent texte ne pose pas de tels problèmes. Il est préférable de ne pas le bouleverser. Mes amendements ont donc pour seul objet de combler certaines lacunes, de préciser quelques dispositions, d'assurer la cohérence juridique, de corriger des erreurs matérielles et d'améliorer la clarté.

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