Intervention de Yves Rome

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 29 janvier 2013 : 1ère réunion
Fiscalité numérique neutre et équitable — Examen du rapport pour avis

Photo de Yves RomeYves Rome, rapporteur pour avis :

Il devrait aboutir à des annonces sur la prochaine feuille de route prolongeant et corrigeant le programme national de très haut débit (THD). Le Sénat a beaucoup travaillé sur ce sujet et je salue les contributions de nos collègues Maurey et Leroy ; il continue de le faire, puisqu'avec Pierre Hérisson, je finalise un travail d'évaluation de l'application des lois qui ont confié aux collectivités territoriales un rôle éminent dans l'équipement numérique du pays, au service de l'égalité de ses territoires. Ce très important dossier a été au coeur de notre décision de nous saisir pour avis d'une proposition de loi qui en a trop ignoré les enjeux.

Le calendrier du THD entre lui aussi en collision avec le calendrier d'examen de la proposition de loi, si bien que, devant ce cumul d'arythmies, il est sage d'adopter la motion de procédure proposée par la commission des finances. Son adoption devrait ne laisser place qu'à la discussion générale du texte suivie d'un débat limité sur la motion. Il serait néanmoins opportun de renforcer les arguments présentés par la commission des finances par la mention des préoccupations plus spécifiques à notre commission, afin que nous prenions date, pour le financement des réseaux de nouvelles générations.

L'intitulé, « proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable » promet plus qu'elle ne tient. Son contenu normatif se limite à trois taxes indirectes, qui, pour n'être pas sans enjeux, concernent des problèmes fiscaux assez seconds. La taxe sur la publicité en ligne, la taxe sur le commerce électronique et la taxe sur les vidéogrammes ne sont pas à la hauteur des objectifs poursuivis. Il faudrait traiter de la TVA, de l'imposition des sociétés, de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises, voire de l'impôt sur le revenu. L'auteur de la proposition de loi, qui en convient, s'efforce d'y remédier en prévoyant un rapport sur quelques-uns de ces problèmes.

La neutralité fiscale est bien un sujet qui mérite l'attention. Je me félicite que notre collègue ait trouvé dans le maintien des conditions nécessaires à l'initiative parlementaire dans le domaine fiscal l'occasion de s'en préoccuper : il est heureux que les efforts de la commission des finances lors de la discussion du projet de loi constitutionnelle sur les finances publiques pour réserver les dispositions fiscales aux lois financières n'aient pas connu le succès.

La neutralité fiscale au sens de la présente proposition de loi est assez différente de celle que prévoyaient certains amendements à la loi de finances pour 2011. Ce n'est en effet pas la première fois que nous examinons des propositions de réforme de la fiscalité indirecte destinées à étendre au numérique les prélèvements sur d'autres secteurs économiques. Cependant, alors qu'auparavant, seule la neutralité de la taxation entre économie numérique domestique et les autres secteurs était en cause, ce texte au cadre limité tente d'assurer également la neutralité internationale des taxes. Ce faisant, elle est plus satisfaisante.

Je n'ai pas besoin de vous convaincre que les technologies numériques, alliées avec l'optimisation fiscale des entreprises qui en tirent parti, favorisent la fuite de la valeur économique créée sur les territoires vers des paradis fiscaux, parfois situés au coeur même de l'Union européenne. Je relève avec satisfaction que notre collègue s'accorde avec les tenants d'une concurrence fiscale régulée autrement que par le jeu du marché.

Cette ambition est pleinement d'actualité. En témoignent le rapport de MM. Collin et Colin sur la fiscalité de l'économie numérique, ainsi que l'agenda international. L'activité parlementaire est également soutenue. En 2012 une commission d'enquête sénatoriale sur l'évasion fiscale internationale s'était penchée sur le numérique, tandis que les parlements américain et britannique notamment, exercent leur vigilance sur un problème qui remet en cause la souveraineté fiscale des États.

Notre capacité à financer notre modèle social est en jeu, de même que les biens publics sur lesquels nous tentons de construire notre croissance. A mesure de son développement, la valeur économique est attirée vers ce secteur, dont les grands acteurs sont en mesure d'échapper à l'impôt. Dans ce modèle infernal, la gestion du taux effectif d'imposition aux fins de le minorer correspond autant à une avidité personnelle qu'à une logique systémique.

Nous devons combattre avec succès le shopping fiscal. Notre commission est certainement unanime à vouloir corriger la facilité avec laquelle les passagers clandestins « surfent » sur les infrastructures numériques sans contribuer à leur financement. C'est particulièrement nécessaire à l'heure où les besoins de financement du réseau du futur - le futur c'est maintenant - doivent être couverts pour un montant d'investissement de l'ordre de 20 à 30 milliards d'euros. Comme il faudra recourir à des ressources publiques, il serait tout à fait justifié de faire supporter une partie consistante des taxes à venir aux acteurs qui contribuent à peine aux facteurs de production dont ils usent, et abusent en délocalisant les profits. Attribuer au Fonds d'aménagement numérique du territoire (FANT) des ressources publiques dégagées par la mise en ordre de la fiscalité numérique amorcerait une péréquation et renforcerait l'action pour l'égalité des territoires.

La proposition de loi de notre collègue est-elle de nature à nous donner des assurances de ce point de vue ? Je ne puis que constater le contraire. Aucune de ses dispositions n'organise le fléchage des modestes recettes fiscales qu'elle annonce vers le financement des réseaux de nouvelle génération.

La robustesse des dispositions proposées pour appréhender les bases détournées par les entreprises du fait de leur localisation hors de nos frontières, au Luxembourg, en Irlande ou aux Bermudes, est douteuse. Sur le plan juridique, elle est confrontée à l'intégrisme de la Commission européenne et de la Cour de justice de l'Union européenne dans leur application des « libertés » du Marché unique. En pratique, à supposer même que cet obstacle puisse être franchi, on devine les difficultés qu'il y aurait à appliquer hors de nos frontières des dispositions qui supposent un pouvoir de contrainte qui ne s'étend pas si loin. Il faudrait compter sur la coopération fiscale des États de localisation, qui n'est pas acquise, puisqu'ils perdraient des ressources.

Il est donc justifié de laisser vivre le dossier de la modernisation de la fiscalité numérique, non seulement parce que le calendrier gouvernemental s'y prête, mais aussi pour éviter les déconvenues dont certaines initiatives que chacun a ici en tête « accouchent » trop souvent.

Notre politique fiscale devra être sérieusement modernisée dans les mois qui viennent. Il faudra jouer sur tous les registres, ceux de la diplomatie fiscale mais aussi ceux de la politique domestique. Celle-ci suppose une oeuvre législative ainsi qu'une détermination pratique. Le rapport, prescrit par l'article 3 de la proposition de loi, reste d'actualité, malgré le rapport Collin et Colin. Il serait souhaitable d'en élargir le champ, pour vérifier que les entreprises du numérique, y compris celles domiciliées en France, contribuent normalement aux charges publiques. Le Parlement, et notamment le Sénat, doit jouer tout son rôle.

Quelque justifié que soit le renvoi en commission, il ne faudrait pas affaiblir notre vigilance. La fiscalité numérique posant des questions transversales, il serait justifié que nous inventions un cadre d'action commun aux différentes commissions intéressées et à la hauteur des enjeux du déploiement des réseaux qui va continuer à s'accélérer.

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