Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer la qualité du travail approfondi mené par la mission d’information sur un sujet aussi sensible et complexe, qui touche non seulement à la compétitivité des entreprises, mais aussi à l’attractivité des territoires et aux capacités financières de nos collectivités.
Je me bornerai d’ailleurs à évoquer ici les effets de la réforme sur les collectivités, et plus particulièrement sur le bloc communal.
J’aborderai deux sujets : la modification du panier de ressources des communes et des EPCI à l’issue de la réforme ; les conséquences de la nouvelle fiscalité locale sur l’attractivité des territoires.
Quelques citations importantes tirées de notre rapport résument assez bien la situation : on constate une « compensation à l’euro près effective » qui « masque un fort accroissement pour l’avenir des inégalités territoriales » et « rend nécessaires de nouveaux mécanismes de péréquation ». Pourquoi cette dernière affirmation ?
En ce qui concerne la modification des recettes fiscales résultant de la réforme, force est de constater que si la compensation à l’euro près par l’État a été effective, la fiscalité locale économique, qui constituait près de 19 % des recettes de fonctionnement du bloc communal, s’est trouvée considérablement affaiblie. À titre d’exemple, la contribution économique territoriale ne représente plus que 33 % des ressources des EPCI à CET unique, contre 94 % avant la réforme.
Le transfert de la fiscalité locale économique vers la fiscalité des ménages est donc bien une réalité, et les marges de manœuvre de la plupart des intercommunalités dépendent désormais essentiellement de la capacité contributive des ménages, notamment dans les territoires où l’activité économique est faible. Il y a donc là un vrai problème d’équité territoriale ; j’y reviendrai.
Certes, des mécanismes de compensation et de péréquation ont été créés pour remédier à ces inégalités territoriales, mais le rapport montre très bien que ce sont les territoires les plus dynamiques qui tirent le mieux leur épingle du jeu : ils sont les grands gagnants du nouveau système fiscal. En effet, d’une part, ils bénéficient d’un dynamisme fort de leur CET, et, d’autre part, leurs versements au titre du Fonds national de garantie individuelle des ressources et de la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle viennent en déduction de leurs potentiels financiers.
Une telle situation est, à mon sens, choquante, car ces déductions reposent sur des sommes virtuelles qui ne sont jamais rentrées dans les caisses des collectivités concernées. Par ailleurs, leur montant, qui peut être très important, provoque une baisse du potentiel financier de ces dernières, qui peuvent ainsi devenir éligibles au nouveau fonds de péréquation intercommunal et communal. Voilà donc un excellent moyen de reprendre d’une main ce qui a été donné de l’autre !
À l’inverse, les collectivités qui perçoivent des dotations de compensation au titre de la réforme – c’est le cas des territoires industrialisés et des zones rurales fragiles – sont pénalisées par un gel de ces compensations, qui peuvent représenter jusqu’à 30 % de leurs ressources propres. Le montant de ces dotations vient s’ajouter à leur potentiel financier, ce qui a parfois pour conséquence de les rendre contributrices au titre de la péréquation horizontale… Le potentiel financier entrant à hauteur de 80 % dans le calcul du prélèvement, la collectivité peut se retrouver prélevée au titre du FPIC, voire privée du bénéfice des fonds de péréquation de l’État ; le cas existe ! Où est donc l’équité territoriale de la réforme dans une telle situation ? Une double peine est de fait infligée aux territoires les plus fragiles : moins de dynamisme des bases et moins de péréquation !
En ce qui concerne maintenant les conséquences de la nouvelle fiscalité locale sur l’attractivité des territoires, la remarquable étude réalisée par l’Assemblée des communautés de France, l’AdCF, est particulièrement révélatrice. Elle montre clairement que les incidences de la réforme fiscale pour le bloc communal sont très inégales et qu’elles induisent des « devenirs territoriaux très contrastés » : cela rejoint exactement les conclusions de notre rapport.
Au-delà du cas de la région parisienne, les grands ensembles métropolitains et les territoires à la fois résidentiels et productifs, comme le Grand Ouest ou la région Rhône-Alpes, par exemple, peuvent miser sur des valeurs locatives attractives et sur un dynamisme économique fort. Ils tirent donc leur épingle du jeu de la réforme.
Mais, en dehors des régions littorales, tel n’est pas le cas pour les ensembles intercommunaux plutôt ruraux et éloignés des grands centres urbains, qui bénéficient certes de bases d’imposition élargies, mais reposant essentiellement sur les valeurs locatives des logements. Ils sont donc pénalisés par le manque de dynamisme du marché immobilier, conjugué à la faiblesse de l’activité économique.
Or on observe également que, sur ces mêmes espaces intercommunaux, le poids des dotations de l’État hors péréquation est considérable dans les ressources locales ; c’est un vrai sujet. Leur baisse programmée risque donc de faire subir une autre double peine aux territoires concernés : d’une part, la réforme fiscale leur est très défavorable ; d’autre part, il y a un risque de déstabilisation de leur budget.
Nous devons donc être particulièrement attentifs à la situation de ces territoires en perte de dynamisme socioéconomique, qui sont malheureusement très nombreux. En effet, dans le nouveau contexte, les mécanismes actuels de péréquation ne permettront pas d’empêcher l’accroissement des inégalités territoriales. Il faut bien le reconnaître, le nouveau fonds de péréquation intercommunal et communal n’y suffira pas, même au terme de sa montée en puissance jusqu’à 1 milliard d’euros, si du moins nous parvenons à atteindre ce montant !
C’est donc dans le cadre d’une réforme globale de la DGF et de l’ensemble des mécanismes de péréquation de l’État que les effets de cette réforme pourraient être corrigés et la fragilité de ces territoires mieux prise en compte.
C’est aussi à cette condition que le principe d’égalité des territoires pourra enfin réellement prévaloir et que nous serons en mesure de réduire véritablement les écarts de richesse entre les collectivités. Que comptez-vous faire en ce sens, monsieur le ministre ?