Intervention de René Teulade

Réunion du 31 janvier 2013 à 9h00
Cumul de l'allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus professionnels — Suite de la discussion et adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de René TeuladeRené Teulade :

Certes, mais il ne permet en aucun cas de mieux vivre.

Devant ce tableau, la proposition de loi entend ouvrir la possibilité de cumuler le minimum vieillesse avec des revenus professionnels. Étant donné la situation dans laquelle peuvent se trouver les bénéficiaires de cette allocation, la tentative de parvenir à une solution immédiate qui participe à l’amélioration de leurs conditions de vie peut se comprendre. Nous ne pouvons pas rester insensibles à la précarisation des personnes âgées et faire fi de la paupérisation croissante dont elles sont victimes au nom d’un quelconque dogme ; ce serait une erreur.

En outre, il est évident qu’un nombre non négligeable des plus de 65 ans travaillent aujourd’hui au noir et cumulent, de fait, leur allocation avec un emploi illégal. Encadrer juridiquement cet état de fait serait donc de nature à mieux protéger les intéressés et, par conséquent, à faire respecter leurs droits.

Néanmoins, à la lecture du texte, plusieurs problématiques apparaissent et des incohérences doivent être soulevées.

Ainsi, un élément majeur affaiblit la portée du dispositif proposé. Selon une enquête de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques de 2010, l’âge moyen des allocataires du minimum vieillesse est de 75 ans ; seul un tiers des bénéficiaires a entre 60 et 75 ans et plus d’un tiers a plus de 80 ans. Sachant que l’espérance de vie moyenne en France est de 81 ans, n’est-il pas illusoire et pernicieux d’envisager un retour à l’emploi de ces personnes ?

Ne nous voilons pas la face, nous savons pertinemment quels types d’emplois seraient occupés par les intéressés : des emplois pénibles, à temps partiel compte tenu du plafonnement mis en place ; les conditions de travail douteuses pourraient in fine nuire à leur santé.

Or nous ne pouvons accepter que l’amélioration des conditions matérielles de vie se fasse au détriment de la condition sine qua non de l’existence : la santé. La nécessité ne doit pas conduire à reprendre une activité forcée, à un âge peut-être trop avancé et déraisonnable, qui pourrait alors aboutir à une mort précoce.

Au-delà de l’aspect sanitaire, qui ne peut être négligé, une interrogation importante questionnant la philosophie de la proposition de loi mérite d’être posée : est-il réaliste d’envisager que la grande majorité des allocataires du minimum vieillesse puissent obtenir un emploi, alors même que le chômage est en hausse depuis vingt mois ?

Je ne vais pas m’attarder sur ce sujet, mais, loin d’être un problème conjoncturel, le taux d’emploi des jeunes et des seniors est particulièrement préoccupant. À titre d’exemple, le taux d’emploi des personnes âgées de 60 à 64 ans est de 18, 1 %. À cet égard, la priorité accordée par le Gouvernement à l’emploi, qui trouve notamment sa traduction dans le contrat de génération qui sera discuté au sein de notre hémicycle la semaine prochaine, doit être soutenue. Seules des réformes structurelles permettront d’enrayer la spirale négative actuelle et de lutter contre des phénomènes iniques tels que la surreprésentation des femmes parmi les allocataires isolés du minimum vieillesse, qui résulte, en particulier, de l’extrême faiblesse des droits à pension de retraite qu’elles ont acquis au cours de leur vie active.

Pour conclure, je dirai que l’objectif assigné à cette proposition de loi, à savoir l’amélioration des conditions de vie matérielles des titulaires du minimum vieillesse, est respectable. La conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, qui s’est tenue le mois dernier, fait écho à cette préoccupation et témoigne de l’acuité de ce fléau qu’est l’exclusion sociale.

Au demeurant, le Gouvernement en a pris la mesure, comme en témoignent le rétablissement de l’allocation équivalent retraite par décret et les annonces du Premier ministre lors de la présentation du plan contre la pauvreté, adopté en amont par le Comité interministériel de lutte contre l’exclusion, la semaine dernière. D’ici à 2017, ce seront entre 2 milliards et 2, 5 milliards d’euros par année qui seront investis afin de lutter contre l’indigence. Pour exemple, le revenu de solidarité active socle sera relevé de 10 %, un contrat d’insertion sera mis en place pour combattre la pauvreté des jeunes non diplômés, tandis que la couverture maladie complémentaire sera étendue à 750 000 personnes supplémentaires.

Enfin, le plus substantiel réside peut-être dans le changement de regard porté sur les victimes de la pauvreté, prémisses d’une réconciliation avec ceux que la société a souvent feint de ne pas voir et qui étaient, dans la bouche de Jean Gabin, les « salauds de pauvres », insulte lourde de sens, aux multiples interprétations et d’une violence insupportable, mais qui a pu trouver, par le passé, ses ardents défenseurs.

La négation de tout déterminisme social, la croyance aveugle dans un système méritocratique en proie à de graves difficultés et la montée de l’individualisme ont accouché d’harangues stigmatisantes à l’endroit des bénéficiaires d’allocations, accusés, au gré des vents populistes, d’être des fainéants, des assistés ou des profiteurs. Ce temps-là, celui de la misère politique, est désormais révolu.

Par conséquent, le groupe socialiste ne s’opposera pas à l’ouverture d’un droit au cumul emploi-minimum vieillesse. Pour autant, il répète, sans vergogne, que ce dispositif n’est qu’un palliatif à l’augmentation des minima sociaux, qui reste la solution idoine, la vraie réponse. Il s’abstiendra donc sur cette proposition de loi parcellaire.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion