Séance en hémicycle du 31 janvier 2013 à 9h00

Résumé de la séance

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La séance

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La séance est ouverte à neuf heures.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Teston

Monsieur le président, dans les résultats du scrutin public n° 88 sur l'amendement n° 1 rectifié, présenté par Mme Chantal Jouanno et M. Christian Namy, tendant à supprimer l'article unique de la proposition de loi visant à créer des zones d’exclusion pour les loups, M. Marc Daunis a été annoncé comme votant pour, alors qu’il souhaitait ne pas prendre part au vote.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe UMP, la suite de la discussion de la proposition de loi visant à autoriser le cumul de l’allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus professionnels, présentée par Mme Isabelle Debré et plusieurs de ses collègues (proposition n° 555 [2011-2012], texte de la commission n° 182, rapport n° 181).

Je rappelle que nous avions commencé l’examen de ce texte le mercredi 12 décembre dernier et que nous avions entendu l’intervention de Mme le rapporteur et de Mme la ministre.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Catherine Deroche.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre assemblée examine en première lecture la proposition de loi de notre collègue Isabelle Debré visant à autoriser le cumul de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, l’ASPA, avec des revenus professionnels.

Le nombre d’allocataires de l’ASPA est en augmentation et pourrait s’accroître.

Dans son rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale pour 2012, la Cour des comptes observe que « la dégradation récente des ressources moyennes des allocataires traduit une évolution préoccupante ». En effet, d’après une enquête réalisée par le Fonds de solidarité vieillesse sur les allocations du minimum vieillesse au 31 décembre 2010, le nombre de bénéficiaires de l’ASPA a connu une progression de près de 20 % par rapport à 2010. L’enquête révèle également que les femmes représentent plus des trois quarts de l’ensemble des allocataires isolés et 62 % des allocataires isolés âgés de 65 à 70 ans.

Je tiens à rappeler que, compte tenu de l’écart important qui s’était creusé entre le montant du minimum vieillesse et le seuil de pauvreté, le précédent gouvernement avait décidé, dans le cadre du « rendez-vous de 2008 sur les retraites », d’accroître de 25 % le montant de l’ASPA pour les personnes isolées et des deux allocations du minimum vieillesse pour les personnes seules.

L’arrivée à l’âge de la retraite de générations nombreuses aux carrières professionnelles plus discontinues que leurs devancières pourrait conduire à une augmentation à venir du nombre d’allocataires. Qui plus est, les effectifs d’allocataires demeurent probablement inférieurs au nombre de personnes éligibles, en raison d’un défaut d’information. Cette situation s’explique par la difficulté d’identifier les populations concernées. Certaines personnes âgées n’avaient en effet pas droit au minimum vieillesse quand elles ont liquidé leur retraite. Lorsque le plafond de cette aide sociale a été progressivement revalorisé, ces dernières n’ont pas forcément pensé – elles n’ont peut-être pas été alertées – qu’elles pouvaient bénéficier d’un complément de revenu via ce dispositif.

L’état actuel du droit place les allocataires du minimum vieillesse dans une situation d’iniquité par rapport aux autres retraités qui peuvent bénéficier, depuis 2003, du cumul emploi-retraite.

Comme vous le savez, le dispositif du cumul emploi-retraite permet de percevoir simultanément une pension de retraite et des revenus d’activité. D’abord soumis à certaines conditions, notamment de plafonnement, le cumul a été intégralement libéralisé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009. Dans le cadre de ses premiers travaux, le Conseil d’orientation des retraites faisait d’ailleurs valoir que « le droit à la retraite ne prive pas les retraités d’un droit fondamental, le droit au travail ».

Dans son rapport relatif à l’évaluation du cumul emploi-retraite, l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, note un développement très important du recours à ce dispositif depuis l’assouplissement intervenu en 2009. Selon les estimations les plus récentes, environ un demi-million de personnes y recourent à l’heure actuelle. Cela souligne l’effet bénéfique de cet assouplissement. Cependant, en l’état actuel du droit, lorsqu’ils perçoivent des revenus professionnels, les titulaires de l’ASPA sont particulièrement pénalisés : non seulement la sécurité sociale leur prélève des cotisations, mais elle retire aussi, mécaniquement, du montant de la prestation les revenus d’activité perçus, ce qui conduit à annuler le bénéfice financier de l’activité professionnelle.

Face à ces règles de calcul de l’ASPA, le texte qui nous est soumis aujourd’hui prévoit d’introduire davantage d’équité en ouvrant la possibilité aux titulaires du minimum vieillesse, lorsqu’ils souhaitent travailler et qu’ils sont bien évidemment en mesure de le faire, de cumuler cette allocation avec les revenus professionnels perçus sans être pénalisés. Je tiens d’ailleurs à rappeler que ce n’est qu’une faculté. Il n’y a bien évidemment rien d’obligatoire dans ce dispositif.

Ce système permettrait en outre de répondre à des demandes d’emploi non couvertes. Je pense par exemple au coup de main qui pourrait être apporté par une personne âgée un ou deux jours par semaine pour assurer l’ouverture d’un petit commerce dans nos campagnes. Et je pourrais multiplier les exemples de travaux qui ne trouvent pas forcément preneur !

Face à la situation injuste que je viens d’évoquer, la proposition de loi est pleinement cohérente avec une recommandation de l’IGAS, qui, dans un rapport publié au mois de juin dernier, affirmait qu’« un mécanisme d’intéressement pour le minimum vieillesse corrigerait un facteur d’inégalité dans l’accès au cumul emploi-retraite », ajoutant que cette évolution devait « intervenir dans une logique d’intéressement comparable à celle qui existe déjà pour d’autres minimums sociaux ».

De plus, cela n’entraînera aucun surcoût pour les finances sociales, puisque le minimum vieillesse aurait été payé de toute façon et que les activités donneront lieu à des cotisations supplémentaires qui seront versées aux caisses de sécurité sociale.

Il s’agit donc de permettre aux titulaires du minimum vieillesse de cumuler leur allocation avec des revenus d’activité dans la limite de 1, 2 SMIC pour une personne seule et de 1, 8 SMIC pour un couple. La fixation d’un plafond de cumul paraît nécessaire, puisqu’il s’agit d’une allocation qui relève de la solidarité nationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Pour conclure, je tiens à remercier notre collègue Isabelle Debré d’avoir proposé un dispositif destiné à corriger une injustice. Certes, ce texte ne pourra pas résorber l’ensemble des situations de pauvreté dans lesquelles se trouve une partie des personnes âgées. Il permettra toutefois aux personnes âgées de 65 à 75 ans environ qui souhaitent travailler et qui peuvent le faire de compléter leurs ressources par un revenu d’activité et de maintenir un lien social.

Le groupe UMP dans son ensemble votera avec conviction ce texte cosigné par un grand nombre de ses membres.

Debut de section - PermalienPhoto de René Teulade

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une étude publiée au mois de décembre dernier nous rappelle, s’il en était nécessaire, la priorité absolue que constitue la lutte contre les facteurs d’exclusion sociale et de pauvreté. Au début de ce mois, Eurostat relayait le même message, soulignant que, en 2011, près d’un quart de la population européenne, soit 120 millions de personnes, était menacé par ces deux tragiques phénomènes.

Ces chiffres, réalité glaciale sans concession, viennent heurter de plein fouet la chaleureuse illusion qu’a fait naître notre modèle économique, celle d’un bien-être et d’une prospérité partagés. Il n’en est rien. Au contraire, comme le démontre une récente étude de l’INSEE – la péroraison ne surprendra personne –, les inégalités se sont encore creusées sous l’effet de la crise économique.

Ainsi, comment s’étonner qu’au-delà de la pauvreté monétaire et matérielle la perception du sentiment de pauvreté progresse inexorablement au sein de la société française, des classes populaires aux classes moyennes, de la jeunesse aux personnes âgées ? L’incertitude du lendemain, la peur du déclassement créent une angoisse qui peut être « anéantissante ». Au bout de cet obscur tunnel, l’anxiété provoque cette perte d’espoir dans l’avenir dont le sentiment de devenir pauvre est l’une des nombreuses facettes, au même titre que la perte de croyance dans notre système de protection sociale ou cette sensation qu’aucun horizon ne se lève devant notre jeunesse. Heureusement, des mesures sont prises par le Gouvernement pour pallier ces difficultés.

Parmi ceux qui estiment vivre dans l’indigence, les seniors et les personnes âgées sont malheureusement au premier plan. Aussi, les allocataires du minimum vieillesse, destinataires de la proposition de loi présentement soumise à notre examen, sont par essence affectés par la pauvreté et l’exclusion sociale. En effet, ce dispositif de solidarité, fortement remanié en 2007 avec la création de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, vise à garantir un revenu minimal aux personnes âgées d’au moins 65 ans n’ayant pas suffisamment cotisé, ou n’ayant pas pu le faire, aux régimes de retraite au cours de leur carrière. Pour bénéficier de cette allocation de dernier ressort, les titulaires doivent faire valoir en priorité l’ensemble de leurs droits en matière de pensions de retraite avant de recourir éventuellement au minimum vieillesse. Depuis le mois d’avril dernier, ce minimum vieillesse s’établit à 777 euros par mois et concerne environ 580 000 personnes, soit 4 % des 60 ans et plus.

Pour autant, les revalorisations successives de cette allocation ne masquent pas l’écart persistant avec le seuil de pauvreté, fixé à 60 % du revenu médian, c’est-à-dire 964 euros. En d’autres termes, eu égard au renchérissement général du coût de la vie, bénéficier du minimum vieillesse ne garantit aucunement de sortir de la pauvreté ; tout au plus, permet-il de mieux y faire face, de mieux survivre.

Debut de section - PermalienPhoto de René Teulade

Certes, mais il ne permet en aucun cas de mieux vivre.

Devant ce tableau, la proposition de loi entend ouvrir la possibilité de cumuler le minimum vieillesse avec des revenus professionnels. Étant donné la situation dans laquelle peuvent se trouver les bénéficiaires de cette allocation, la tentative de parvenir à une solution immédiate qui participe à l’amélioration de leurs conditions de vie peut se comprendre. Nous ne pouvons pas rester insensibles à la précarisation des personnes âgées et faire fi de la paupérisation croissante dont elles sont victimes au nom d’un quelconque dogme ; ce serait une erreur.

En outre, il est évident qu’un nombre non négligeable des plus de 65 ans travaillent aujourd’hui au noir et cumulent, de fait, leur allocation avec un emploi illégal. Encadrer juridiquement cet état de fait serait donc de nature à mieux protéger les intéressés et, par conséquent, à faire respecter leurs droits.

Néanmoins, à la lecture du texte, plusieurs problématiques apparaissent et des incohérences doivent être soulevées.

Ainsi, un élément majeur affaiblit la portée du dispositif proposé. Selon une enquête de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques de 2010, l’âge moyen des allocataires du minimum vieillesse est de 75 ans ; seul un tiers des bénéficiaires a entre 60 et 75 ans et plus d’un tiers a plus de 80 ans. Sachant que l’espérance de vie moyenne en France est de 81 ans, n’est-il pas illusoire et pernicieux d’envisager un retour à l’emploi de ces personnes ?

Ne nous voilons pas la face, nous savons pertinemment quels types d’emplois seraient occupés par les intéressés : des emplois pénibles, à temps partiel compte tenu du plafonnement mis en place ; les conditions de travail douteuses pourraient in fine nuire à leur santé.

Or nous ne pouvons accepter que l’amélioration des conditions matérielles de vie se fasse au détriment de la condition sine qua non de l’existence : la santé. La nécessité ne doit pas conduire à reprendre une activité forcée, à un âge peut-être trop avancé et déraisonnable, qui pourrait alors aboutir à une mort précoce.

Au-delà de l’aspect sanitaire, qui ne peut être négligé, une interrogation importante questionnant la philosophie de la proposition de loi mérite d’être posée : est-il réaliste d’envisager que la grande majorité des allocataires du minimum vieillesse puissent obtenir un emploi, alors même que le chômage est en hausse depuis vingt mois ?

Je ne vais pas m’attarder sur ce sujet, mais, loin d’être un problème conjoncturel, le taux d’emploi des jeunes et des seniors est particulièrement préoccupant. À titre d’exemple, le taux d’emploi des personnes âgées de 60 à 64 ans est de 18, 1 %. À cet égard, la priorité accordée par le Gouvernement à l’emploi, qui trouve notamment sa traduction dans le contrat de génération qui sera discuté au sein de notre hémicycle la semaine prochaine, doit être soutenue. Seules des réformes structurelles permettront d’enrayer la spirale négative actuelle et de lutter contre des phénomènes iniques tels que la surreprésentation des femmes parmi les allocataires isolés du minimum vieillesse, qui résulte, en particulier, de l’extrême faiblesse des droits à pension de retraite qu’elles ont acquis au cours de leur vie active.

Pour conclure, je dirai que l’objectif assigné à cette proposition de loi, à savoir l’amélioration des conditions de vie matérielles des titulaires du minimum vieillesse, est respectable. La conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, qui s’est tenue le mois dernier, fait écho à cette préoccupation et témoigne de l’acuité de ce fléau qu’est l’exclusion sociale.

Au demeurant, le Gouvernement en a pris la mesure, comme en témoignent le rétablissement de l’allocation équivalent retraite par décret et les annonces du Premier ministre lors de la présentation du plan contre la pauvreté, adopté en amont par le Comité interministériel de lutte contre l’exclusion, la semaine dernière. D’ici à 2017, ce seront entre 2 milliards et 2, 5 milliards d’euros par année qui seront investis afin de lutter contre l’indigence. Pour exemple, le revenu de solidarité active socle sera relevé de 10 %, un contrat d’insertion sera mis en place pour combattre la pauvreté des jeunes non diplômés, tandis que la couverture maladie complémentaire sera étendue à 750 000 personnes supplémentaires.

Enfin, le plus substantiel réside peut-être dans le changement de regard porté sur les victimes de la pauvreté, prémisses d’une réconciliation avec ceux que la société a souvent feint de ne pas voir et qui étaient, dans la bouche de Jean Gabin, les « salauds de pauvres », insulte lourde de sens, aux multiples interprétations et d’une violence insupportable, mais qui a pu trouver, par le passé, ses ardents défenseurs.

La négation de tout déterminisme social, la croyance aveugle dans un système méritocratique en proie à de graves difficultés et la montée de l’individualisme ont accouché d’harangues stigmatisantes à l’endroit des bénéficiaires d’allocations, accusés, au gré des vents populistes, d’être des fainéants, des assistés ou des profiteurs. Ce temps-là, celui de la misère politique, est désormais révolu.

Par conséquent, le groupe socialiste ne s’opposera pas à l’ouverture d’un droit au cumul emploi-minimum vieillesse. Pour autant, il répète, sans vergogne, que ce dispositif n’est qu’un palliatif à l’augmentation des minima sociaux, qui reste la solution idoine, la vraie réponse. Il s’abstiendra donc sur cette proposition de loi parcellaire.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Watrin

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, n’en déplaise à notre collègue du groupe UMP, la proposition de loi qui tend à autoriser le cumul des ressources issues d’une reprise d’activité professionnelle et l’allocation de solidarité aux personnes âgées est, pour nous, l’exemple même d’une mauvaise réponse à une vraie question.

Que l’on partage ou non l’objet de cette proposition de loi, le sujet qui s’impose est celui de la paupérisation des retraités et des personnes âgées.

Nous rencontrons de plus en plus fréquemment des retraités qui vivent dans une plus ou moins grande fragilité sociale. Comment ne pas rappeler que la retraite médiane se situe autour de 1 100 euros par mois et que, selon l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, sous l’effet conjugué de la précarité croissante qui touche les salariés et de la baisse du taux de remplacement, le niveau moyen des pensions pour les nouveaux retraités devrait passer, en 2020, à 850 euros nets mensuels ! Cet effondrement des pensions est l’une des conséquences des réformes initiées depuis 1993 en matière de retraites.

Par ailleurs, le rapport de Mme Debré le rappelle, nous sommes confrontés à une importante hausse des bénéficiaires de l’ASPA, preuve, là encore, de cette paupérisation qui frappe, faut-il le rappeler, principalement les femmes, victimes des temps partiels et des inégalités salariales. Pour autant, bien que nos vues puissent converger sur certains éléments du constat, nous ne partageons pas la solution formulée dans cette proposition de loi.

Les travaux de la conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale interrogent clairement le Gouvernement sur les mesures qu’il lui incombe de prendre pour rompre avec la spirale de la précarité dans laquelle de plus en plus de nos concitoyens sont enfermés. Celle-ci atteste de l’urgence qu’il y a à revaloriser les minima sociaux, afin qu’aucun d’entre eux ne soit inférieur au seuil de pauvreté.

Ainsi, s’agissant de cette proposition de loi, nous ne considérons pas que, pour renforcer le pouvoir d’achat des bénéficiaires de l’ASPA – d’une partie seulement d’entre eux en réalité –, il n’y aurait qu’une piste possible : la reprise de l’activité professionnelle. Cette solution, apparemment simple, voire simpliste, méconnaît les situations personnelles dramatiques dans lesquelles peuvent se trouver certains bénéficiaires. En effet, on voit mal comment un bénéficiaire de l’ASPA reconnu définitivement inapte au travail pourrait reprendre une activité professionnelle.

Certains à droite – nous l’avons vu lors des travaux en commission – considèrent que cette inégalité est naturelle. C’est méconnaître le fait que, dans la majorité des cas, cette inaptitude est la conséquence directe de l’activité professionnelle précédente. Il y aurait donc, d’un côté, des travailleurs détruits par le travail, qui devraient survivre avec l’ASPA, et, de l’autre, des bénéficiaires en meilleure santé, à qui l’on ne préconiserait rien d’autre que de continuer à s’user au travail…

Qui plus est, la proposition de loi, en faisant explicitement référence au cumul emploi-retraite, ignore le « portrait social » des bénéficiaires de l’ASPA. Si les retraités qui cumulent pension et activité sont d’abord et avant tout des cadres, avec des revenus et des pensions élevés, ce n’est évidemment pas le cas des bénéficiaires de l’ASPA. Il s’agit, par définition, de publics fragilisés, pour qui la reprise d’une activité professionnelle relèverait plus d’une question de survie que de la volonté de rester actif.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Watrin

Notre collègue Isabelle Debré présente sa proposition comme une mesure de liberté. Nous considérons pour notre part que c’est une mesure profondément libérale…

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Watrin

… puisqu’elle tend à faire croire que chacun serait libre de reprendre une activité, c’est-à-dire responsable pour lui-même. Tout cela sans que soit jamais abordée la question de la responsabilité sociale des entreprises, qu’il s’agisse du maintien des seniors dans l’emploi, de l’émiettement des temps de travail, de la précarisation des contrats et des rémunérations ou encore de la dégradation des conditions de travail.

C’est en réalité une mesure corsetée, qui ne tient compte ni de la précarité sociale, sanitaire et physique des bénéficiaires de l’ASPA, qui les enferme dans la pauvreté, ni de la réalité même de ce qu’on appelle le « marché du travail ».

Si j’en crois l’esprit de la proposition de loi, il suffirait que les bénéficiaires de l’ASPA souhaitent reprendre une activité professionnelle pour qu’ils puissent le faire. Or les chiffres montrent le contraire : le taux d’emploi des seniors est en France particulièrement bas. Je vous fais grâce des statistiques, mes chers collègues, mais sachez, à titre d’exemple, que le taux d’activité des 55-64 ans en France est inférieur de plus de 7 points au taux d’activité moyen dans l’Union européenne.

Prétendre que les bénéficiaires de l’ASPA pourraient reprendre une activité professionnelle constitue donc, selon nous, une analyse erronée du marché du travail. Au contraire, les employeurs sont de plus en plus enclins à se séparer des salariés les plus âgés, qu’ils considèrent comme étant peu productifs et trop chers. En outre, 23 % des ruptures conventionnelles concernent les plus de 58 ans. De plus en plus de salariés âgés, classés dans la catégorie des actifs, sont en réalité inscrits à Pôle emploi.

Pour conclure, je voudrais que nous nous interrogions toutes et tous sur le projet de société que nous voulons léguer à nos enfants. Voulons-nous, comme c’est le cas dans de très nombreux pays – j’en ai visité certains –, que des retraités, déjà usés par le travail, soient contraints, en raison de leur pauvreté, de tenter de reprendre une activité, qui s’apparente le plus souvent à un sous-travail ou à un mal-travail ? Voulons-nous obliger des retraités issus de la fraction la plus pauvre des salariés à reprendre une activité professionnelle, alors que leur activité passée a déjà réduit leur espérance de vie de sept ans en moyenne ?

Pour notre part, nous ne voulons pas de cette société et nous appelons le Gouvernement à répondre à l’urgence sociale que cette proposition de loi a le mérite de souligner en mettant en œuvre, dans les meilleurs délais, une revalorisation des minima sociaux de sorte qu’aucun d’entre eux ne soit inférieur au seuil de pauvreté.

Serait-ce un défi trop ambitieux à l’heure où le Gouvernement sait trouver 20 milliards d’euros de crédit d’impôt pour les entreprises ? Nous ne le pensons pas. Nous invitons au contraire chacun, à partir de ce constat partagé de paupérisation d’une part non négligeable des retraités, à prendre en compte cette donnée essentielle lors du prochain rendez-vous des retraites.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est des mesures dont on peut s’étonner qu’elles n’aient pas été prises plus tôt. Celle que nous propose notre collègue Isabelle Debré aujourd’hui en fait bien partie.

Je tiens dès à présent à saluer, au nom de mon groupe, la qualité du travail réalisé par la commission des affaires sociales et, en son sein, par notre collègue, à la fois comme auteur et rapporteur du présent texte.

Cela a été rappelé, il s’agit d’ouvrir un droit, une liberté : la possibilité pour les titulaires du minimum vieillesse et de l’allocation de solidarité aux personnes âgées de pouvoir cumuler leur allocation avec des revenus d’activité, dans la limite de 1, 2 SMIC. Il s’agit, ni plus ni moins, de corriger un étonnant archaïsme, puisque les allocataires du minimum vieillesse et de l’ASPA sont aujourd’hui les seuls retraités à ne pas pouvoir bénéficier du cumul emploi-retraite. En effet, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 en a totalement libéralisé le régime pour tout autre pensionné.

Voilà bien un paradoxe puisque, par définition, les allocataires du minimum vieillesse et de l’ASPA sont ceux qui en ont le plus besoin. En effet, comme cela vient d’être rappelé, ils sont ceux des retraités dont les revenus sont les plus faibles. Il s’agit donc simplement là, je le répète, de corriger un archaïsme connu, que l’IGAS avait parfaitement identifié dans son rapport relatif à l’évaluation du cumul emploi-retraite.

Cette analyse, combinée avec les prévisions de la Cour des comptes, selon lesquelles le minimum vieillesse et l’ASPA devraient encore monter en charge dans les années à venir, rend la présente réforme d’autant plus pertinente et urgente à réaliser. De surcroît, sur le plan juridique, le texte qui nous est proposé ne paraît pas critiquable. Le minimum vieillesse et l’ASPA étant des prestations de solidarité, le cumul emploi-retraite autorisé sera logiquement plafonné.

Les seules critiques qui auraient pu être adressées à la mouture initiale sont tombées avec l’adoption des amendements de Mme la rapporteur. Afin qu’il n’y ait pas d’incohérence ou de rupture d’égalité, il paraît en effet nécessaire d’établir un plafond différencié pour les couples et de permettre le cumul aux bénéficiaires du minimum vieillesse, de la même manière que le texte le prévoyait initialement pour les allocataires de l’ASPA.

Si nous soutenons la présente proposition de loi pour des raisons juridiques et d’équité, nous sommes également totalement en phase avec sa philosophie. Le cumul emploi-retraite représente en effet un élément important de ce que nous avons toujours défendu, à savoir la retraite à la carte, c’est-à-dire la possibilité, pour ceux qui veulent et peuvent s’arrêter, de le faire, et pour ceux qui souhaitent et veulent continuer, même partiellement, de le faire également.

Nous soutenons aussi ce texte en raison de sa dimension psychologique, sociologique voire sociétale. Permettre aux personnes retraitées de poursuivre, même partiellement, une activité n’est neutre ni pour eux ni pour la société.

Pour eux, c’est fondamental, parfois vital : beaucoup de retraités ont besoin de maintenir une activité pour ne pas perdre prise avec la société ni même avec la vie. Telle est leur volonté.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Pour la société, ce n’est pas neutre non plus : les actifs d’aujourd’hui ont besoin de l’expérience de leurs aînés. Ce n’est pas au moment où nous allons discuter du contrat de génération que nous pouvons dire le contraire.

Si donc ce texte nous paraît difficilement contestable, à la fois juridiquement et philosophiquement, il n’en a pas moins, à notre grande surprise, fait l’objet de reproches.

Ces observations ont été exprimées lors des débats en commission, notamment du côté de nos collègues du groupe CRC. Il est reproché à cette proposition de loi d’engendrer des situations d’inégalité entre ceux qui pourront reprendre une activité et ceux qui ne le pourront pas. Cette remarque est juste.

Cependant, mes chers collègues, est-ce le texte ou la vie elle-même qui est à l’origine de ce type d’inégalité ? En effet, à tout âge, des gens ont la possibilité de travailler et d’autres ne le peuvent pas, en raison soit de la situation du marché du travail, comme l’a rappelé notre collègue René Teulade tout à l'heure, soit, simplement, de problèmes de santé. Mais il ne faut pas oublier la volonté d’agir, la volonté de rester dans la vie.

Il est une autre critique, plus fondamentale sans doute : ce texte serait une fausse bonne réponse à une vraie question, celle de la pauvreté du public concerné. La vraie bonne réponse, évidemment, est à trouver dans le relèvement du minimum vieillesse et de l’ASPA.

Cependant, l’un n’est pas exclusif de l’autre : en quoi ouvrir un droit au cumul emploi retraite interdirait-il de relever les allocations ? Nous connaissons les contraintes budgétaires qui pèsent sur les comptes publics aujourd’hui et qui ne permettent pas de décider de relèvements importants. Pour autant, nous avons pu augmenter ces allocations de 25 % – et ce n’était pas suffisant – il y a quelques années dans le cadre du rendez-vous 2008 sur les retraites.

Faut-il aller plus loin ? Certainement. Mais cela engendrerait une dépense supplémentaire et nous connaissons le poids des déficits publics, aujourd’hui. Il s’agit d’un choix politique et il convient dès lors de se tourner vers le Gouvernement, ce que je fais, madame la ministre, en vous demandant s’il est prévu de mettre en place un plan de revalorisation pour le minimum vieillesse et l’ASPA ? Si tel était le cas, nous ne pourrions que nous en féliciter, et cela constituerait à nos yeux une raison supplémentaire de voter cette pertinente proposition de loi. §

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Kerdraon

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans son discours de clôture de la conférence contre la pauvreté, M. le Premier ministre a dressé, mardi 11 novembre dernier, un diagnostic réaliste et sans appel de la pauvreté en France, un diagnostic que, je crois, nous sommes nombreux à partager, quel que soit le côté de l’hémicycle où nous siégeons.

Le débat auquel nous invite cette proposition de loi visant à autoriser le cumul de l’allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus professionnels repose sur un constat irréfutable : à l’âge de la retraite, de plus en plus de Français sont obligés de reprendre une activité salariée. Le débat est donc légitime.

Selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, plus de 500 000 retraités, sur un total de 15 millions, travaillent tout en percevant une pension. Ce chiffre a presque triplé en moins de six ans, passant de 120 000 en 2005 à 310 000 en 2011. Une telle situation est alarmante en raison de tout ce qu’elle traduit.

Cette augmentation peut être en partie attribuée à la crise mais en partie également à la politique libérale menée depuis plusieurs années dans notre pays, laquelle va à l’encontre des politiques sociales. Ces dernières se doivent de combattre, mais aussi de prévenir, la pauvreté.

Ainsi, à l’âge de la retraite, certains seniors se trouvent dans la plus grande des précarités, souvent après un parcours de vie déjà difficile et chaotique.

Ces derniers mois, nous avons à juste titre beaucoup parlé des jeunes et de leurs difficultés à se former ou à s’insérer dans le marché du travail. La semaine prochaine, lors de la discussion sur les contrats de génération, nous parlerons des seniors. Mais n’oublions pas les retraités, car, avec les jeunes, ce sont eux qui sont les plus exposés !

Plus de 10 % des retraités – majoritairement des femmes vivant seules – perçoivent une pension inférieure à 600 euros par mois, bien en dessous du seuil de pauvreté. À la fin de l’année 2010, 576 300 personnes étaient bénéficiaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées et percevaient 709 euros par mois. Près des deux tiers de ces personnes étaient des femmes, pénalisées parce qu’elles n’avaient pas suffisamment cotisé durant leur vie professionnelle.

Les retraités représentent aujourd’hui 15 % des personnes venant solliciter auprès des organisations caritatives, une aide alimentaire ou un soutien financier pour régler un loyer, une facture d’électricité, de gaz ou de frais médicaux.

Maire d’une collectivité de 14 000 habitants et président du comité communal d’action sociale, le CCAS, j’observe le même phénomène. Il s’agit d’une constatation tout simplement inadmissible, mes chers collègues.

Alors, oui, dans ces conditions, il n’y a rien de surprenant à ce que les seniors soient de plus en plus nombreux à offrir leurs services pour distribuer publicités ou journaux.

Combien de sites spécialisés se sont-ils ainsi créés, sur lesquels on peut trouver toute une panoplie d’offres et de services qui échappent aux chiffres officiels, car ce sont bien souvent des activités non déclarées ?

Dans toute cette panoplie figurent le bricolage, le jardinage, la garde d’enfants, des heures de ménage, tout ce qui tourne autour des aides aux personnes âgées – et c’est d’ailleurs assez paradoxal…

Au travers de toutes ces annonces, ce sont des hommes, des femmes qui connaissent d’importantes difficultés et cherchent malgré tout à conserver une certaine dignité : « À la retraite depuis mars 2011 mais toujours de l’énergie à donner, cherchant des heures de bricolage, car il n’a qu’une très petite retraite », pouvait-on lire dans un quotidien régional de Bretagne ; ou bien encore cette femme qui propose « Petit ménage et repassage, qui lui permettront de trouver un complément de retraite avec le plaisir du contact avec de nouvelles personnes », proposait également une femme .

Ces annonces, ces témoignages se multiplient et reflètent à la fois la paupérisation d’une partie des retraités et leur isolement.

Alors oui, la question de permettre le cumul de l’ASPA avec des revenus professionnels peut sans doute se poser.

Je crois cependant qu’il faut trouver un équilibre afin de répondre aux difficultés de ces seniors et leur permettre de vivre une retraite digne.

Bien entendu, l’autorisation du cumul de l’ASPA avec des revenus professionnels permettrait de lutter contre le travail au noir, voire le travail « au gris », tout en rendant possible un meilleur état des lieux.

Mais souhaitons-nous vraiment voir le marché de l’emploi senior promis à un bel avenir ou, au contraire, préférons-nous répondre de nous-mêmes aux difficultés de ces seniors en augmentant leurs droits ? La question est posée, mes chers collègues.

Il est important de se rendre compte que, si la situation est certes délicate aujourd’hui, les prochaines vagues de retraités correspondront à des générations qui auront connu le chômage ou le temps partiel, autant de périodes où l’on cotise moins pour sa retraite.

Et que dire de tous ceux qui auraient dû bénéficier de l’allocation équivalent retraite, l’AER, et qui ont dû attendre ce mois de janvier et l’initiative heureuse du Premier ministre qui l’a rétablie par décret ? Je tiens à souligner au passage la persévérance de mon collègue Martial Bourquin sur cette question.

Ce n’est pas en maintenant les prestations en dessous du seuil de pauvreté que l’on pourra lutter contre cette paupérisation des retraités. Il convient d’analyser la situation dans sa globalité et, surtout, sur le long terme.

Madame la ministre, vous avez annoncé qu’un état des lieux précis de ces situations était en cours, que les résultats seraient rendus publics et que le Gouvernement mettrait ensuite en place un dispositif permettant de répondre durablement à l’urgence sociale dont nous héritons aujourd’hui. Je ne peux que m’en féliciter.

À partir de 2014, les pensions des retraités imposables seront soumises à un prélèvement annuel de 0, 15 % pour financer la perte d’autonomie. C’est un premier effort solidaire, mais je ne peux m’empêcher de m’insurger en voyant que, face à cette pauvreté croissante, les salaires des patrons du CAC 40, eux, ne connaissent pas la crise ! Toujours plus haut, toujours plus ! En 2011, les salaires des grands patrons ont progressé de 4, 7 % par rapport à 2010.

Où est ce juste équilibre, je vous le demande ? D’un côté, la pauvreté s’accroît, de l’autre les rémunérations s’envolent ! Tout cela sans parler des exilés fiscaux, ces personnes qui souhaitent devenir encore plus riches en s’exonérant de la solidarité envers les autres Français. Heureusement, ils sont encore peu nombreux. Cependant, nous nous devons de lutter maintenant contre toutes les formes de fraudes, et en particulier, en période de grande crise, contre la fraude fiscale. C’est une obligation, un devoir !

Le sentiment de pauvreté touche près d’un Français sur deux. Il est donc de notre devoir d’enrayer ce sentiment, qui est aussi une réalité. Nous devons proposer des dispositifs durables et en adéquation avec notre politique sociale. Aussi, comme l’a brillamment expliqué notre collègue René Teulade tout à l'heure, le groupe socialiste s’abstiendra-t-il sur ce texte. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, beaucoup de choses ont déjà été dites. Je me contenterai donc de prendre l’exemple de deux personnes à la retraite.

La première personne est un homme, âgé de 60 à 70 ans. Il a connu une carrière continue depuis qu’il a commencé à travailler, il a gravi les échelons dans sa profession, terminé sa carrière et liquidé ses trimestres. Il dispose aujourd’hui d’une pension moyenne de 1 955 euros par mois, soit un niveau de vie supérieur à 25 930 euros. Il se situe, pour reprendre les termes de nos statisticiens, dans le quatrième quartile en termes de niveau de vie, soit le plus élevé. M. Watrin résume la situation en un mot : c’est un cadre. Il a raison.

La seconde personne est une femme. Elle a plus de 65 ans et a atteint l’âge de la retraite bien qu’elle n’ait pas liquidé tous ses trimestres. Pourquoi ? Parce que, comme beaucoup de femmes, elle a eu une carrière incomplète ; elle a parfois aidé son mari agriculteur, par exemple, sans avoir pu bénéficier du statut de conjoint exploitant. Elle a eu des enfants et a travaillé un temps comme salariée à temps partiel. Sa petite retraite ne lui permettant pas d’atteindre un niveau de vie suffisant, elle bénéficie aujourd’hui du niveau maximal de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, soit 777 euros par mois.

La première personne, le cadre, a choisi de continuer à travailler. Le travail lui plaît – quand on est cadre, le travail plaît en général davantage –, et sa femme continue à travailler. Il lui fallait une « occupation » et il en avait la possibilité grâce aux contacts conservés dans l’entreprise. Bref, il reprend une activité et, point positif pour lui, non seulement il en a la possibilité, mais encore ne perd-il aucun droit sur sa pension. Mieux : il peut, lui, cumuler revenu et pension. Certes, il ne s’ouvre pas de nouveaux droits à pension en reprenant l’activité qu’il avait déjà.

Elle aussi continue à travailler pour donner un coup de main, par exemple à son fils s’il a repris l’exploitation ; juste de temps en temps. Cependant, elle ne peut pas dégager de revenu puisqu’il n’est pas possible de cumuler un revenu d’activité avec la pension.

Nous voilà donc, d’une part, avec un cadre qui, lui, peut continuer à travailler et cumuler une retraite relativement importante avec le revenu d’activité, et, d’autre part, une personne ayant un revenu bien inférieur qui, même si elle travaille, ne peut pas bénéficier de ce cumul.

Vous me dites qu’il faut attendre des lendemains meilleurs pour régler cette situation… Cependant, vous ne pouvez pas ne pas voir combien il paraît injuste que la personne ayant la pension la plus basse ne puisse pas en cumuler le montant avec un revenu d’activité !

Alors, certes, il existe une difficulté liée au mécanisme même de l’ASPA : les revenus d’activité sont pris en compte pour déterminer l’éligibilité à ce dispositif et pour calculer le montant à percevoir. Dès lors que l’on travaille, on court le risque de perdre tout ou partie de cette allocation. C’est le cas aujourd’hui.

Mme Debré, rapporteur, propose de contourner cette difficulté en autorisant un cumul avec plafonds. Il s’agit d’une bonne chose même si, madame la ministre, il sera nécessaire de mener une réflexion plus large.

L’Inspection générale des affaires sociales a d’ailleurs souligné dans son évaluation du système de cumul emploi retraite que le système est complexe, source d’inégalités. Pour ma part, je vous l’ai démontré au travers de ces deux exemples. Ce système pourrait être amélioré en fusionnant les différents mécanismes existants, intra et inter-régime – il faudrait s’assurer que ce ne soit pas producteur de nouveaux droits –, en faisant en sorte qu’il devienne un atout pour la politique d’emploi des seniors.

Aujourd’hui, les carrières professionnelles ne sont plus une ligne continue – cela a été dit – ni un long fleuve tranquille ; elles sont constituées d’une succession d’emplois différents, d’une alternance de période d’emploi et de non-emploi. Les temps de la reconversion, de la formation, des stages, de l’installation sont autant de périodes considérées comme perdues pour préparer sa retraite ; ce sont autant de trimestres non acquis. Le risque est donc grand, au moment de la retraite, d’avoir une pension trop faible et de solliciter l’ASPA.

Et encore, je ne parle même pas des ruptures professionnelles subies en raison de la situation économique, de l’allongement de la durée des études, de la multiplication des stages et des premiers contrats précaires, entrecoupés de périodes de chômage souvent non indemnisées.

L’évolution permanente du marché du travail, conjuguée aux aspirations des personnes, va mécaniquement augmenter le nombre de personnes éligibles à l’ASPA, et donc celui des personnes âgées en situation financière difficile.

Ce qu’il faut, c’est la garantie d’un minimum à vivre. Sur ce point, je suis d’accord avec vous. Mais en attendant ces jours meilleurs, nous devons bien trouver des solutions. Aussi, dans l’attente d’un vrai débat sur la place du travail, sur son organisation, sur la garantie de revenus et de droits – c’est le plus important –, je m’en tiendrai à la question posée ce matin et vous confirme le vote favorable du groupe écologiste sur cette proposition de loi. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Plancade

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons a pour ambition d’apporter une réponse à cette question qui nous alarme tous, celle de la pauvreté des personnes qui vivent avec le minimum vieillesse.

Pour ce faire, les auteurs de ce texte ont repris à leur compte cette piste de travail ouverte par Jean-Baptiste de Foucauld en 2010 : permettre aux titulaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées d’arrondir leurs fins de mois en cumulant leur pension avec les revenus qu’ils pourraient retirer d’un emploi déclaré. Selon lui, une telle mesure permettrait de corriger, en quelque sorte, un environnement incitatif au travail clandestin et en totale contradiction avec les politiques publiques destinées à promouvoir l’emploi des seniors. Plus globalement, sa réflexion s’inscrit dans le cadre de la lutte contre la pauvreté chez les personnes âgées. Voilà une cause juste ! Et comment ne pas en convenir ?

En outre, le système proposé comblerait une lacune. Effectivement, dans le droit actuel, seules deux catégories de retraités peuvent accéder au dispositif de cumul emploi-retraite. Aux termes de l’article 88 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, il s’agit, tout d’abord, des assurés âgés de plus de 65 ans disposant d’une carrière complète – parfois, certains peuvent en bénéficier dès 60 ans. Puis, avec la publication du décret n° 2011-62 du 14 janvier 2011, le dispositif a été étendu aux personnes ayant exercé des professions libérales. Dans ces conditions, comment refuser aux retraités les plus précaires la possibilité d’améliorer leur pouvoir d’achat tandis que d’autres, mieux lotis, bénéficient déjà de cette faculté ?

Pour trancher cette question, encore faut-il faire l’effort de prendre en considération la réalité du terrain. Qui sont ces personnes auxquelles il est proposé de se remettre au travail pour arrondir leurs fins de mois ? Qui sont les allocataires de l’ASPA ? Ce sont des personnes âgées de plus de 65 ans qui n’ont pas suffisamment cotisé pour pouvoir disposer d’un revenu d’existence une fois l’âge de la retraite venu, ou encore celles qui sont âgées de plus de 60 ans et qui ont été déclarées inaptes au travail.

De ce point de vue, l’enquête sur les allocations du minimum vieillesse, publiée à la fin de l’année 2010 par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, la DREES, permet de mieux comprendre de qui l’on parle. Voici comment y sont décrits les allocataires de l’ASPA : « Les personnes âgées de 80 ans ou plus et les personnes isolées sont surreprésentées parmi les bénéficiaires des allocations du “minimum vieillesse”. Les femmes, qui représentent les trois quarts des allocataires isolés, sont également largement majoritaires. Les bénéficiaires des allocations du minimum vieillesse sont proportionnellement plus nombreux dans les régions du sud de la France et les départements d’outre-mer. » Dans ces conditions, peut-on affirmer avec la plus grande sincérité que l’ouverture du cumul emploi-retraite aux allocataires de l’ASPA est de nature à constituer une solution nouvelle permettant à nos concitoyens les plus modestes de recouvrer plus de pouvoir d’achat, comme l’affirment les auteurs de la présente proposition de loi ? Nous ne le pensons pas.

Au-delà de son affichage ambitieux, cette proposition de loi cible une frange vraiment très étroite de la population, à savoir, parmi les bénéficiaires de l’ASPA, ceux qui sont encore en état de travailler, desquels il faut retrancher ceux qui parviendront effectivement à trouver un emploi. Je rappelle, mes chers collègues, que plus d’un tiers d’entre eux ont compté plus de quatre-vingts printemps ! De surcroît, les études relatives à l’évolution du nombre d’inscriptions à Pôle emploi publiées par la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, le démontrent : à partir de 50 ans déjà, les salariés sont éjectés du monde professionnel. En l’état actuel des choses, tout laisse accroire que ceux qui ont au minimum 65 ans ne seront pas mieux considérés !

In fine, seuls quelques rares bénéficiaires de l’ASPA pourraient profiter de la mesure proposée par nos collègues. Le présent texte pourrait effectivement permettre à ceux qui exercent actuellement des petits boulots au noir de bénéficier d’une protection juridique. On peut aussi arguer du fait qu’il corrigerait une injustice : si un retraité ayant accompli une carrière complète peut cumuler pension et revenu d’activité, pourquoi un bénéficiaire de l’ASPA, dont la situation est par définition bien plus précaire, ne pourrait-il pas lui aussi arrondir ses fins de mois ?

Tels sont les deux apports concrets et positifs de la proposition de loi que nous examinons qui ont retenu notre attention.

Mais certains membres de mon groupe s’interrogent : s’il adoptait ce texte, quel message le Sénat enverrait-il à tous les allocataires de l’ASPA dans l’incapacité de retrouver un travail ?

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, les membres du groupe du RDSE attendent de nos débats des éclaircissements. Nous déciderons donc de notre vote à l’issue de nos travaux. En cet instant, nous aurions plutôt tendance à opter pour une abstention positive.

Madame la ministre, je profiterai de cette intervention pour vous faire une remarque : il faut élargir le débat et mener une réelle réflexion car, dans les prochaines années, nous allons être confrontés à un problème de société, voire de démocratie. En effet, la situation actuelle de certains de nos concitoyens – et pas seulement celle des personnes qui sont visées par la présente proposition de loi – est très compliquée. Je pense aux jeunes qui sont aujourd'hui sans travail, qui n’ont aucune assurance quant à leur future pension de retraite mais qui sont censés payer les retraites de leurs aînés. Ils risquent de s’interroger un jour sur ces retraités privilégiés, majoritaires dans notre pays, qui ne travaillent pas et imposent, par exemple – c’est une hypothèse d’école –, un gouvernement qui n’a pas leur préférence… Je me permets d’attirer votre attention sur ce point important pour le devenir de notre démocratie.

Mme la présidente de la commission des affaires sociales et M. Michel Le Scouarnec applaudissent.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

La parole est à Mme Isabelle Debré, auteur de la proposition de loi et rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Isabelle Debré

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, j’ai écouté de manière très attentive les arguments qui ont été développés au sujet de la proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui.

À mes yeux, ce texte répond à un double objectif : tout d’abord, mettre fin autant que possible à la situation de grande précarité dans laquelle se trouvent de nombreux retraités percevant une pension de retraite très faible – je rappelle que près de 600 000 retraités sont aujourd’hui allocataires du minimum vieillesse – ; ensuite, instaurer au bénéfice des retraités les plus modestes la possibilité de cumuler le minimum vieillesse avec des revenus générés par une reprise d’activité : ce serait une mesure d’équité, puisque le droit en vigueur autorise les autres retraités des secteurs public et privé à percevoir leur pension et des revenus professionnels sans limitation depuis 2009.

Certes, le nombre de retraités susceptibles de bénéficier de cette mesure ne peut être connu par avance avec précision. Cependant, plusieurs institutions ont souligné l’intérêt à agir et à légiférer en ce sens.

Ainsi, dans un rapport de 2012 relatif à l’évaluation du cumul emploi-retraite, l’Inspection générale des affaires sociales affirme qu’« un mécanisme d’intéressement pour le minimum vieillesse corrigerait un facteur d’inégalité dans l’accès au cumul emploi-retraite », qui plus est sans « aucun surcoût pour les finances sociales ».

Le Conseil d’orientation des retraites, dont M. Teulade, Mmes Demontès, Beaufils et moi-même faisons partie, a fait valoir que « le droit à la retraite ne prive pas les retraités d’un droit fondamental, le droit au travail ».

En outre, le texte que nous examinons ce matin est en pleine cohérence avec l’une des préconisations récemment émises à l’occasion de la Conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale qu’a réunie le Gouvernement au mois de décembre dernier. Je vous renvoie, mes chers collègues, à la recommandation n° 53 du groupe de travail « Accès aux droits et aux biens essentiels, minima sociaux », présidé par Bernard Fragonard, président délégué au Haut conseil de la famille, qui invite à « étudier la possibilité d’une formule de cumul entre le minimum vieillesse et l’activité ».

En tout état de cause, la proposition de loi qui vous est soumise apporte une réponse humaine, pragmatique et de bon sens à la situation particulière des allocataires du minimum vieillesse désireux de compléter leurs ressources par des revenus d’activité et de garder un lien social, comme d’autres orateurs l’ont souligné.

À l’heure où le cumul emploi-retraite est autorisé, pouvons-nous légitimement continuer de priver les titulaires du minimum vieillesse de la possibilité de travailler lorsqu’ils le souhaitent et qu’ils ont la faculté de le faire ? Nous ne le pensons pas. La recherche d’une plus grande équité ne peut que conduire à faire évoluer l’état du droit actuel le plus rapidement possible, et ce quel que soit le nombre exact de personnes concernées.

Par ailleurs, madame la ministre, si le montant des minima sociaux a été augmenté pendant cinq ans, vous seule pouvez prendre la décision de poursuivre encore dans cette voie.

Monsieur Watrin, au cours de votre intervention, vous avez dit que la mesure proposée était de nature libérale. Je l’assume ! Et pour ma part, j’ai un principe : je pense que l’on ne perd jamais à donner plus de liberté. En revanche, il faut que ces libertés soient encadrées et que les abus éventuels soient sévèrement sanctionnés.

Debut de section - Permalien
Michèle Delaunay

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la présente discussion nous honore, car elle montre que nous abordons de vraies questions sans dogmatisme et tout en étant proches de la réalité. Après ce débat, on ne pourra plus dire que les élus, les parlementaires, méconnaissent les problèmes de la société ou en sont éloignés. Ils en ont pleinement conscience. Vous en avez d’ailleurs donné des exemples très concrets au cours de vos interventions.

Je suis frappée par la place laissée dans toutes les interventions aux interrogations – je pense en particulier aux propos de Mme Deroche et M. Teulade –, au pragmatisme – vous l’avez vous-même souligné, madame Debré –, voire à l’inquiétude. Il s’agit là en effet d’une question majeure pour notre société, et je reviendrai ultérieurement sur ce point.

Il est vrai que des questions peuvent être soulevées, et c’est d’ailleurs ce qu’a fait M. Watrin. L’âge moyen des allocataires du minimum vieillesse est de 75 ans. Nous devons avoir comme préoccupation de ne pas nuire à leur santé. Mais, dans le même temps, avec la même honnêteté, la même bonne foi, force est de reconnaître que le meilleur gage de santé, ce sont des revenus décents. Nous devons souhaiter que les travaux accomplis par les personnes âgées – en particulier les travaux au noir, car cela existe, et j’ai personnellement rencontré sur les marchés des personnes travaillant dans de telles conditions – ne soient pas pénibles. Or tel est souvent le cas des travaux présentiels.

M. Kerdraon a évoqué une espèce de paradoxe apparent, à savoir les aides aux personnes âgées dispensées par d’autres personnes âgées. Aujourd’hui, vous le savez – et pour ma part je m’en félicite –, l’espérance de vie est très élevée. La solidarité peut alors être intragénérationnelle.

Dans les différents exemples exposés, on peut trouver le meilleur, comme le moins bon. J’ai été très frappée par l’illustration donnée par M. Kerdraon : oui, les allocataires du minimum vieillesse sont majoritairement des femmes ; oui, notre cœur saigne lorsque nous constatons qu’un grand nombre d’entre elles – 15 % – doivent faire appel à des associations de solidarité alors qu’elles ont été confrontées, au cours du XXe siècle, aux guerres et aux restrictions – ne l’oublions jamais – et qu’elles les ont vécues dans la dignité.

M. Desessard, quant à lui, a donné deux exemples particulièrement éloquents et qui ébranlent le débat : pourquoi l’un pourrait-il cumuler sans pénalité pension de retraite et salaire contrairement à l’autre qui semble pourtant avoir davantage besoin d’un revenu supplémentaire ?

Monsieur Plancade, il faut bien évidemment protéger le travail, et ce ne sont pas les socialistes qui diront qu’ils sont favorables au travail au noir.

Vous avez déclaré qu’il fallait élargir le débat. C’est une évidence, et tout mon ministère se consacre à cet élargissement du débat, c'est-à-dire à la réflexion sur la place des personnes âgées dans notre société. Les personnes âgées représenteront bientôt 30 % de la population. Aujourd'hui déjà, la retraite dure souvent une trentaine d’années. C'est pourquoi nous devons poser la question de la place des personnes âgées dans notre société. Le projet de loi que nous vous présenterons prochainement constituera, j’ose le dire, un premier pas dans cette direction. Il couvrira tout le champ de l’âge, et nous placerons ceux qui ont le moins de moyens au cœur de nos préoccupations.

Nous venons d’avoir un débat de qualité, mais il reste des incertitudes. Les inquiétudes et les interrogations sont légitimes. Les questions posées sont bonnes, mais les réponses ne sont pas aussi simples qu’on pourrait l’espérer. Il y a une marge d’inquiétude pour nous tous, quelles que soient nos opinions politiques. C’est dans le respect de cette marge d’inquiétude que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat sur cette proposition de loi. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles.

L’article L. 815-9 du code de la sécurité sociale est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Par dérogation à l’alinéa précédent et dans des conditions définies par décret, lorsque le demandeur ou le bénéficiaire de l’allocation de solidarité aux personnes âgées ou son conjoint, concubin ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité perçoivent, au jour du dépôt de la ou des demandes ou en cours de service, des revenus d’activité, ces revenus peuvent être cumulés avec la ou les allocations de solidarité aux personnes âgées et les ressources personnelles de l’intéressé ou des époux, concubins ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité dans la limite d’un plafond.

« Ce plafond est fixé à 1, 2 fois le salaire minimum interprofessionnel de croissance lorsque l’allocation de solidarité aux personnes âgées est versée à une personne seule ou à un seul des conjoints, concubins ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité et à 1, 8 fois le salaire minimum interprofessionnel de croissance lorsque l’allocation de solidarité aux personnes âgées est versée aux deux conjoints, concubins ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité. »

Debut de section - PermalienPhoto de Isabelle Debré

Je tiens à expliquer pourquoi les revenus professionnels ne pourront être cumulés avec l’allocation de solidarité aux personnes âgées que dans la limite d’un plafond : cette allocation est financée par la solidarité nationale, et c'est pourquoi il nous a semblé juste de fixer un plafond de 1, 2 SMIC pour une personne seule et de 1, 8 SMIC pour un couple.

L'article 1 er est adopté.

L’article L. 815-9 du code de la sécurité sociale est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les dispositions prévues aux deux alinéas précédents sont applicables, dans des conditions définies par décret, aux personnes qui sont titulaires des allocations mentionnées à l’article 2 de l’ordonnance n° 2004-605 du 24 juin 2004 simplifiant le minimum vieillesse. » –

Adopté.

(Non modifié)

Les éventuelles conséquences financières résultant pour les organismes de sécurité sociale de la présente proposition de loi sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

L'amendement n° 1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Debut de section - Permalien
Michèle Delaunay, ministre déléguée

Cet amendement vise, en supprimant l’article 2, à lever le gage.

L'amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

J’ai un peu toussé quand Mme la rapporteur a dit qu’elle assumait le terme « libéral » employé par Dominique Watrin, notre collègue du groupe CRC. Personnellement, je n’assume pas ce terme, et c'est pourquoi je me suis senti obligé d’intervenir.

Je comprends la logique de votre intervention, monsieur Watrin. Vous pensez que, si l’on autorise le cumul des revenus professionnels avec l’allocation de solidarité aux personnes âgées, on refusera ensuite d’augmenter cette allocation en prétextant que ses bénéficiaires peuvent travailler. Mais le travail, ça ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval, surtout quand on a un certain âge et a fortiori quand on appartient à cette population bénéficiaire de l’ASPA ! Je suis d'accord avec votre analyse, mon cher collègue : vous avez raison de dire qu’il ne faut pas laisser le libéralisme gérer la situation des seniors.

Cependant, aujourd'hui, il ne s’agit non pas de cela mais de mettre fin à une situation inégalitaire, comme je l’ai montré. Actuellement, les cadres peuvent cumuler leur emploi avec leur retraite, alors que les personnes en situation difficile ne peuvent pas déclarer leurs revenus et sont contraintes de travailler au noir. Quelle perspective ! Nous voulons donc permettre à ces dernières de déclarer leurs revenus. Nous répondons à une situation d’urgence. Cher collègue, lorsqu’on est parlementaire, il faut avoir une vision de l’avenir qu’on souhaite mais aussi agir en fonction de l’urgence. Je rejoins votre vision d’une nouvelle société, je vous rejoins quand vous demandez au Gouvernement d’augmenter les minima sociaux, mais, tant que cela n’est pas fait, il faut bien traiter les situations d’urgence, et c'est pourquoi le groupe écologiste votera cette proposition de loi !

Mme la rapporteur applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Je rappelle que l’avis de la commission est favorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

Il est procédé au dépouillement du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Voici le résultat du scrutin n° 90 :

Le Sénat a adopté. §

Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix heures dix, est reprise à dix heures quinze.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe UMP, de la proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable, présentée par M. Philippe Marini (proposition n° 682 rectifié [2011-2012], rapport n° 287, résultat des travaux de la commission n° 288, avis n° 291, 298 et 299).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Philippe Marini, auteur de la proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’organiserai la présentation de cette proposition de loi en trois phases.

Tout d’abord, je rappellerai que nous partons, les uns et les autres, Gouvernement et Parlement, les différentes commissions, de constats très largement partagés sur l’optimisation fiscale mise en œuvre par les grandes sociétés multinationales de l’Internet.

Ensuite, j’exposerai brièvement les axes de ma proposition de loi et de la feuille de route que j’ai initiée. Je pense qu’Yvon Collin, notre excellent rapporteur de la commission des finances, le fera bien mieux que moi. Permettez-moi, d’ores et déjà, de rendre hommage à la qualité de son travail.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Enfin, madame la ministre, je vous interrogerai sur vos projets à venir en vue de faire avancer ce sujet.

Mes chers collègues, vous vous souvenez que, dès 2010, la question de l’évasion fiscale dans le domaine de l’économie numérique a été au cœur des préoccupations du rapport de Patrick Zelnik, qui avait été missionné par le président de la République d’alors. L’idée d’une approche fiscale de ce sujet avait d’ailleurs trouvé une expression en droit positif par un vote du Sénat, en 2010, même si cette première version était assurément imparfaite.

Sur le fond, je voudrais commencer par une citation d’un philosophe, Bernard Stiegler, qui s’exprimait en ces termes lors d’un forum organisé voilà près d’un an au Sénat : « L’industrie numérique menace la puissance publique de devenir incapable. N’ayant pas la capacité de percevoir l’impôt et de percevoir des taxes, elle est mise dans une situation d’incapacitation structurelle ».

Bien entendu, il s’agit d’une langue de philosophe, mais le constat de l’inadaptation croissante des législations fiscales nationales face aux phénomènes d’optimisation fiscale des grands groupes, non seulement de l’Internet, mais également d’autres secteurs, est désormais largement partagé.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Les problématiques rencontrées ne connaissent pas de frontières et concernent tout aussi bien les États européens que les États-Unis, notamment dans le domaine de la taxation du commerce électronique.

Aussi, je me réjouis que ce sujet, sur lequel je travaille au sein de la commission des finances depuis plus de trois ans, soit devenu une véritable question de société, à savoir la territorialité, ou l’absence de territorialité, de l’économie numérique. Je remercie donc mes collègues du groupe UMP d’avoir bien voulu demandé l’inscription de cette proposition de loi à l’ordre du jour réservé à notre groupe.

Ce sujet, dont le caractère est transversal et – je pense que nos débats le montreront – trans-partisan, a intéressé trois commissions, qui se sont saisies pour avis de ce texte. Je salue leurs rapporteurs pour avis, qui sont groupés solidairement au banc des commissions : Claude Domeizel, Yves Rome et Bruno Retailleau. Je me félicite de leur contribution à l’enrichissement du débat et de leur soutien à ma démarche d’ensemble.

Au demeurant, le Sénat avait également traité de ce sujet en 2012, dans le cadre des travaux de la commission d’enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, dont notre collègue Éric Bocquet était rapporteur.

Pour ma part, j’ai effectué plusieurs déplacements en Italie, en Grande-Bretagne et en Allemagne, lesquels m’ont permis d’identifier des points d’intérêt communs aux différents États européens.

Comme en France, ces grands pays de consommation ont entamé des procédures à l’encontre de Google, d’Amazon et d’Apple dans le domaine du contrôle fiscal. Il s’agit d’affaires en cours, sur lesquelles je ne dispose pas d’éléments de première main, mais les informations publiques disponibles font état de montants très importants de « dilution » de la matière fiscale. En outre, mes chers collègues, nous savons bien que ces schémas ne sont pas l’apanage de la seule industrie numérique.

Par ailleurs, parallèlement au volet fiscal, nos voisins allemands se sont focalisés sur la question de la captation de valeur publicitaire des moteurs de recherche sur les contenus éditoriaux offerts par les sites de presse. Il en résulte une voie, que je considère comme très intéressante, consistant à accorder aux éditeurs de presse un droit voisin aux droits d’auteurs. Cette approche, reprise selon des variantes par les presses française et italienne, me semble tout à fait complémentaire du volet fiscal.

Pour ma part, je me suis efforcé d’entrer dans un travail prospectif sur ce que devrait appréhender à l’avenir le droit fiscal au regard des nouveaux modes numériques de création de richesses. À mes yeux, le cœur de réacteur de la nouvelle économie numérique est la publicité, laquelle permet la fourniture de services gratuits, du moins apparemment, et favorise le commerce électronique comme nouveau mode de consommation.

Mes chers collègues, la voie que je défends au travers de cette proposition de loi n’est pas exclusive des autres approches. Elle se conjugue avec le contrôle fiscal, l’utilisation, en particulier, de la notion d’abus de droit en droit fiscal français, ainsi qu’avec la préoccupation d’une juste rétribution des auteurs.

Naturellement, ce texte ne prétend pas résoudre l’ensemble du problème. Je ne réclame aucun copyright et n’ai aucun amour-propre d’auteur. §Je souhaite simplement que les choses avancent et que l’on fasse du concret !

À cet égard, la presse, plus tardivement en France qu’aux États-Unis et en Grande-Bretagne, a maintenant, me semble-t-il, après des débuts un peu difficiles, pleinement pris la mesure du problème.

Ainsi, dans une parution récente du magazine Challenge, j’ai pu lire ceci : « Partout, des idées émergent pour créer un impôt adapté à l’économie du XXIe siècle, dématérialisée et sans frontières, donc peu concernée par les outils anciens (TVA, impôt sur les sociétés, etc.). »

Mes chers collègues, le défi que nous impose l’économie numérique est d’œuvrer pour la création d’une fiscalité du XXIe siècle : à nouvelles assiettes, nouveaux impôts !

Ma proposition de loi, dont je ne reprendrai pas le détail, dévoile une dynamique, un ensemble d’initiatives, dont le dispositif purement juridique n’est que le premier terme, le premier étage, en quelque sorte.

Les enjeux politiques s’appellent « compétitivité », « croissance des marchés », « impact sur l’industrie européenne ». Pour s’orienter de manière opérationnelle, il me semble que trois termes doivent à mon avis être distingués.

Il y a le court terme, qui correspond à l’échelon national, où prend place cette proposition de loi prévoyant un dispositif de déclaration fiscale applicable aux acteurs étrangers pour une série de taxations destinées à rétablir la neutralité et l’équité fiscale.

Ensuite vient le moyen terme, qui correspond à l’échelon communautaire, où prend place l’enjeu du raccourcissement du délai de basculement de la TVA sur les services électroniques vers l’État de consommation, dont il convient de pratiquer le taux.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Enfin, les moyen et long termes correspondent au niveau international, où l’OCDE et le G20 doivent s’attacher à la renégociation des conventions entre États régissant les concepts de la fiscalité pour ce qui est de la répartition territoriale des bénéfices au sens de l’impôt sur les sociétés.

Sur le plan national, vous avez pu constater que la proposition de loi comporte deux volets : un volet procédural et un volet fiscal. Yvon Collin nous fera part de son analyse sur le dispositif lui-même.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Je passerai donc immédiatement au rappel de l’enjeu européen.

Madame la ministre déléguée, il faut renégocier le calendrier de mise en œuvre de la directive TVA relative aux services électroniques du 12 février 2008 afin d’avancer son échéancier d’application. Je sais bien qu’une telle décision se prend à l’unanimité ; néanmoins, les grands États de consommation, à savoir la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, seraient à mon avis plus forts dans le débat si une telle proposition était officiellement mise sur la table de l’Ecofin. En effet, l’écart des taux de TVA représente un manque-à-gagner annuel de l’ordre de 1 milliard d’euros pour la France, de 1, 5 milliard d’euros pour l’Allemagne et de 1, 2 milliard d’euros pour la Grande-Bretagne. Vous le voyez, le compteur tourne et il est inutile, mes chers collègues, de vous rappeler la situation de nos finances publiques et nos engagements, en particulier nos engagements de convergence européenne.

Au niveau international, il y a une sorte de conjonction favorable des astres. Il faut donc sensibiliser et convaincre les parlementaires et les gouvernements des États membres de l’Union européenne d’engager un processus de renégociation des règles d’imposition des bénéfices établies par l’OCDE, en prenant en compte la spécificité de l’économie numérique et de la dématérialisation.

Mais, nous le savons, le processus de réflexion au sein de l’OCDE a été relancé, sur l’initiative du G20, plus précisément du chancelier de l’échiquier britannique, à la suite d’une campagne d’opinion, et du ministre allemand des finances, M. Schäuble, rejoints par Pierre Moscovici, notre ministre de l’économie et des finances, lesquels ont missionné le centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE pour initier un nouveau processus de définition des concepts de l’impôt sur les sociétés. En réalité, dans ce plan d’action, que l’OCDE appelle le BEPS, base erosion and profit shifting, soit érosion des bases d’imposition et transfert des bénéfices, se joue l’avenir de cet impôt.

Mes chers collègues, il ne faut pas sous-estimer cet enjeu. Nous le savons, l’impôt sur les sociétés est de plus en plus inégalitaire…

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

… selon qu’il s’applique à des entreprises ancrées sur nos territoires…

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

… ou à des entreprises multinationales.

C’est toute la question de la répartition des résultats entre les territoires, des prix de transfert, de l’imputation des redevances, de toutes les charges qui viennent limiter le produit fiscal, territoire par territoire.

Ce processus doit être validé par la réunion des ministres des finances du G20 à Moscou, le mois prochain, et déboucher ensuite sur un plan d’action opérationnel ; il constitue un enjeu absolument essentiel, madame la ministre, et le sujet de notre débat s’inscrit parfaitement dans cette réflexion.

Mes chers collègues, la question de notre rôle au sein du Parlement national se pose évidemment : il s’agit pour nous d’ouvrir le débat et d’en appeler à l’opinion publique.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Dans cette perspective, la proposition de loi que nous examinons ce matin me semble tout à fait utile.

Certes, nous avons été très attentifs aux conclusions du rapport de Pierre Collin et de Nicolas Colin qui, avant Yvon Collin, se sont emparés du dossier et ont engagé une démarche extrêmement intelligente – c’est le moins que l’on puisse attendre d’un conseiller d’État et d’un inspecteur des finances ! Notre commission et les rapporteurs pour avis ont beaucoup apprécié le caractère fondamental de leur démarche, car cette dernière aborde toutes les problématiques que je viens d’évoquer.

Les auteurs du rapport posent le diagnostic suivant : « L’économie numérique n’est pas un secteur de l’économie. Elle est un vecteur de transformation de tous les secteurs de l’économie, dans lesquels elle provoque de puissants déplacements de marges des entreprises traditionnelles vers les entreprises opérant des services logiciels en réseau ». Si ce devait être le seul apport de ce travail, celui-ci serait déjà essentiel, me semble-t-il, pour la prise de conscience des parlementaires. Les auteurs du rapport ajoutent que « le droit fiscal, tant national qu’international, peine à s’adapter aux effets de la révolution numérique ». Ces constats rejoignent les enseignements que la commission des finances a tirés des travaux qu’elle a engagés dès 2009 et 2010, sur l’initiative de son président, Jean Arthuis.

MM. Collin et Colin ont constaté que « le point commun à toutes les grandes entreprises de l’économie numérique est l’intensité de l’exploitation des données issues du suivi régulier et systématique de l’activité de leurs utilisateurs ».

Ils estiment que « la collecte des données […] est le seul fait générateur qui garantisse la neutralité du prélèvement », celui-ci n’ayant pas pour vocation d’imposer la collecte de données en tant que telle, mais d’inciter les entreprises à adopter des pratiques conformes à des objectifs d’intérêt général. En effet, vous le savez, mes chers collègues, MM. Pierre Collin et Nicolas Colin mettent en évidence le fait que la valeur de fonds de commerce des réseaux et des systèmes est créée par les internautes, grâce à l’apport des informations gratuites qu’ils produisent et font circuler sur la Toile.

Bien entendu, madame la ministre, créer un mécanisme fiscal frappant les données personnelles pour, en quelque sorte, sortir de cette aliénation économique que nous décrivent les auteurs du rapport, relève d’une démarche louable, intéressante, intelligente, mais comment définir l’assiette fiscale et les redevables ? J’espère que les excellents spécialistes de la direction de la législation fiscale pourront nous donner rapidement une réponse, car nous ne siégeons pas dans un colloque universitaire, mais au Parlement, et nous devons prendre des décisions !

Quelle traduction législative concrète donner à ces réflexions ? J’ai naturellement entendu émettre de nombreuses réserves à l’égard de ma proposition de loi : je sais que celle-ci n’est pas parfaite et qu’elle ne se propose de traiter que d’une toute petite partie d’un ensemble très contraint, à la fois par le droit communautaire et par le droit international public.

On m’a opposé qu’une obligation de déclaration de chiffre d’affaires publicitaire, pour Google, ou de commerce électronique, pour Amazon, serait difficile à faire appliquer et à contrôler. Toutefois, il me semble que ce problème existe déjà pour les sites extracommunautaires qui ne déclarent pas correctement la TVA dans le cadre de la procédure dite du « mini-guichet ».

Ce portail électronique mis en œuvre à l’échelle européenne a rapporté à la France en 2012 20 millions d’euros, un chiffre ridiculement faible eu égard au volume des échanges. Pour autant, on ne remet pas en cause le système de la TVA dans son ensemble. Or la critique que l’on m’adresse vaut aussi, me semble-t-il, pour le régime de la TVA !

On me dit aussi qu’une taxe sur la publicité en ligne, même modeste, tuerait l’écosystème français. Néanmoins, la taxe locale sur la publicité extérieure, la TLPE, qui est utile pour nos collectivités locales, a-t-elle tué la publicité sur la voie publique ? Je constate que cette forme de publicité fleurit toujours et que la taxe qui la frappe apporte quelques ressources budgétaires aux communes, ce qui n’est pas absolument négligeable. Par ailleurs, je rappelle que ma proposition de loi ne prévoit d’instaurer une taxation qu’au-delà d’un seuil d’activité tout à fait élevé.

Enfin, on m’oppose la nécessité, en droit communautaire, de défendre un motif d’intérêt général pour instaurer une procédure dérogatoire de déclaration de chiffre d’affaires, à l’exemple du régime de l’agrément des jeux en ligne.

Mes chers collègues, permettez-moi d’adopter à présent un ton un peu plus solennel : je défends l’idée que la sauvegarde des intérêts du marché intérieur et la lutte contre les abus de positions dominantes doivent être considérées comme des motifs d’intérêt général…

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

… ce que je regrette, car j’allais évoquer le libéralisme. En effet, nous ne devons pas oublier que la libre concurrence est l’un des principes fondateurs de l’Union européenne.

Lundi dernier, je me suis rendu dans les bureaux de la Commission européenne, à la faveur de la réunion des parlementaires européens avec le Parlement européen.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Vous avez épuisé votre temps de parole. Ne nous racontez pas votre vie !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

À cette occasion, j’ai rencontré le chef de cabinet du vice-président de la Commission, commissaire chargé de la concurrence, M. Almunia. Il m’a indiqué que quatre griefs étaient établis par les services de la Commission contre Google, sur la base de documents et de procédures.

Il s'agit, premièrement, de la manipulation des résultats de recherche, due au défaut d’objectivité des algorithmes utilisés par Google ; deuxièmement, de l’utilisation d’informations de sites tiers en tant que « données Google », une pratique proche du vol ; troisièmement, des clauses de contrats abusives entre ce groupe et ses partenaires ; quatrièmement, et enfin, de la restriction à la portabilité des campagnes de publicité de Google vers les autres sites.

Il appartiendra à la Commission européenne de se déterminer en choisissant de recourir soit au contentieux, soit à la transaction. Je demande au Gouvernement d’y être particulièrement attentif, car la décision qui sera prise sera une décision prise collégialement par la Commission, et non par un seul commissaire. §

Je comprends bien que, les techniques évoluant très vite, une transaction, en faveur de laquelle, naturellement, un lobbying considérable serait mis en œuvre, répondrait à une inclination naturelle. Toutefois, une transaction sans indemnité, qui éviterait à Google de reconnaître ses torts à l’égard du droit de la concurrence, est-elle acceptable ? En l’espèce, est-ce que transaction rime avec transparence ? J’achèverai mon propos sur cette question, pour donner satisfaction à M. David Assouline, ce dont je serai ravi !

Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC. – M. André Gattolin applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Yvon Collin

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet qui nous réunit aujourd’hui, à savoir la fiscalité de l’économie numérique, est au premier plan de l’actualité, mais il est aussi au cœur de la construction des nouveaux modèles économiques de croissance et de création de richesses.

Les phénomènes de distorsion de concurrence et les stratégies d’optimisation fiscale employées par les grands groupes de l’internet, dans les secteurs de la publicité en ligne et du commerce électronique, ainsi que le danger que représente la concurrence déloyale des grands acteurs de la Toile basés dans les pays à fiscalité réduite sont devenus une préoccupation majeure de l’ensemble des acteurs de l’économie numérique.

À cet égard, il faut savoir gré à Philippe Marini d’avoir été à l’initiative du travail d’information parlementaire engagé par notre commission depuis 2009, de l’avoir animé dans la durée et de l’avoir constamment enrichi par plusieurs rapports successifs, pour aboutir à la présente proposition de loi, intitulée Pour une fiscalité numérique neutre et équitable. Que cette problématique soit désormais appréhendée, dans le débat public et institutionnel, comme un enjeu majeur pour nos finances publiques et la politique de croissance constitue en soi un premier succès pour l’auteur de ce texte, en particulier, et pour l’activité sénatoriale, en général.

Je salue également l’implication très large du Sénat dans ce domaine et, en particulier, les travaux de nos trois collègues rapporteurs pour avis, Bruno Retailleau pour la commission des affaires économiques, Claude Domeizel pour la commission de la culture et Yves Rome pour la commission du développement durable.

De son côté, il faut le reconnaître, le Gouvernement s’est également saisi de la question de l’optimisation fiscale pratiquée par les multinationales de l’internet, même s’il ne l’a fait que tardivement. Ainsi, à l’échelon national, il a lancé, en juillet 2012, une mission d’expertise sur la fiscalité de l’économie numérique dont l’un des objectifs consistait précisément à dégager des propositions en matière de localisation et d’imposition des bénéfices, du chiffre d’affaires, ou, éventuellement, de définition d’autres assiettes taxables. Nous avons auditionné la semaine passée les auteurs de ce rapport d’expertise, rendu public le 18 janvier dernier.

Le Gouvernement a également prolongé son action sur le plan international et européen. En effet, il s’est associé à la saisine de l’OCDE, en novembre dernier, sur la question de la territorialité des bénéfices et de l’érosion des bases fiscales et à celle de la Commission européenne, afin de définir une approche européenne de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales dans le domaine de l’économie numérique.

Les questions soulevées sont très techniques et s’insèrent dans un environnement juridique national, européen et international très complexe. Aussi ai-je procédé en urgence à de nombreuses auditions et consultations pour tenter d’acquérir un vernis de connaissance sur ce sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Yvon Collin

Avant de vous proposer d’adopter une position sur le texte qui nous est soumis, mes chers collègues, je vous en rappellerai rapidement l’économie générale et le dispositif.

L’enjeu principal soulevé par cette proposition de loi porte sur la neutralité et l’équité fiscales. Pour Philippe Marini, « la neutralité est la taxation, quelle que soit la technologie employée pour une même fonction, et l’équité est le traitement selon des règles du jeu communes des agents économiques […] lorsqu’ils interviennent sur un même secteur ».

Les objectifs visés par l’auteur de la proposition de loi ne s’inscrivent donc pas spécifiquement dans une problématique de financement de tel ou tel secteur d’activité, qu’il s’agisse de la culture, des réseaux numériques ou des collectivités territoriales, sans écarter pour autant la question de l’affectation de ces recettes fiscales.

Ainsi, c’est à partir du constat selon lequel la taxation de la publicité est une pratique de droit commun en matière fiscale, sur les médias télévisuels, radiophoniques ou par voie de la publicité extérieure, que l’absence de taxe spécifique à la publicité sur internet a été clairement identifiée.

Pour Philippe Marini, rien ne justifie, a priori, que la publicité sur l’internet échappe par nature à un prélèvement supporté par la publicité dans les médias traditionnels. C’est en vertu du même raisonnement qu’il a observé que les services de commerce en ligne échappent à la taxe sur les surfaces commerciales, la TASCOM.

S’agissant de l’équité fiscale, les acteurs de l’économie numérique – les opérateurs de télécommunications, l’industrie du livre et de la musique, entre autres – ont été les premiers à mettre en lumière cette problématique. Ils font remarquer qu’ils sont concurrencés par des sites internet basés à l’étranger qui ne supportent ni les mêmes charges fiscales en matière de TVA et d’impôt sur les sociétés ni les taxations spécifiques à notre pays destinées à financer l’industrie cinématographique, l’audiovisuel public, les réseaux et les collectivités locales.

C’est donc sur ce fondement que la proposition de loi prévoit, au moyen d’une obligation déclarative, l’extension aux acteurs installés à l’étranger des dispositifs fiscaux jusqu’alors applicables aux seules entreprises françaises.

Comme l’a excellemment et rapidement rappelé Philippe Marini, le dispositif proposé est composé de deux volets.

Tout d’abord, un volet procédural institue une obligation de déclaration d’activité par les acteurs de services en ligne basés à l’étranger à partir de certains seuils d’activité, et selon deux variantes. L’entreprise assujettie opterait soit pour la désignation d’un représentant fiscal sur le modèle procédural de l’agrément accordé aux sites de jeux en ligne, soit pour le régime spécial de déclaration des services fournis par voie électronique, qui est une procédure simplifiée et dématérialisée permettant de respecter les principes du droit européen de non-discrimination et de proportionnalité.

Ensuite, autour de ce volet procédural, s’organise un volet fiscal comportant une série de taxations : la taxe sur la publicité en ligne, la taxe sur l’achat de services de commerce électronique, la TASCOE, et la taxe sur les ventes et les locations de vidéogrammes destinés à l’usage privé du public.

La taxe sur la publicité en ligne s’appliquerait dorénavant aux régies, où qu’elles se situent, et non aux annonceurs comme le prévoyait la première version de la taxe votée en 2010, afin que les acteurs étrangers soient redevables de la taxe comme le sont les régies françaises au titre de leur audience sur le marché national.

Cette taxe serait calculée sur les recettes publicitaires, en appliquant un taux de 0, 5 % à la fraction comprise entre 20 millions d’euros et 250 millions d’euros et de 1 % au-delà. Il ne s’agit pas d’une mesure de rendement, car le gain fiscal escompté se situerait à un niveau inférieur ou égal à 20 millions d’euros pour un marché de 2, 7 milliards d’euros.

S’agissant de la taxe sur les services de commerce électronique, le dispositif s’articule selon un triple volet.

Tout d’abord, la taxe est due par les personnes qui vendent ou louent, par un procédé de communication électronique, des biens et des services à toute personne, établie en France, y compris dans les départements d’outre-mer, qui n’a pas elle-même pour activité la vente ou la location de biens et de services, c’est-à-dire la vente aux particuliers.

Ensuite, la taxe ne s’applique pas lorsque le chiffre d’affaires annuel du prestataire du service de commerce électronique est inférieur à 460 000 euros. Son taux, de 0, 25 %, est assis sur le montant hors taxe sur la valeur ajoutée du prix acquitté.

Enfin, pour tenir compte de la situation des commerçants opérant à la fois dans la grande distribution et dans le commerce électronique, il serait instauré une déduction du montant acquitté par le redevable de la taxe sur les surfaces commerciales, la TASCOM, dans la limite de 50 % de son montant.

Selon l’exposé des motifs de la proposition de loi, le rendement d’une taxe de 0, 25 % pourrait atteindre environ 100 millions d’euros dès 2013 et 175 millions d’euros en 2015. En outre, au même titre que la TASCOM, le produit de cette taxe serait affecté au bloc communal, qui en a bien besoin, dans les conditions de versement du Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, le FPIC. Il s’agit de tenir compte de la perspective d’érosion du commerce physique au profit du e-commerce, donc de compenser le préjudice ainsi causé aux territoires.

Par ailleurs, pour rétablir une forme d’équité fiscale entre acteurs français et étrangers, la proposition de loi vise à étendre aux acteurs de l’internet établis hors de France la taxe sur la fourniture de vidéogrammes à la demande, la VOD.

Le rendement actuel de cette taxe est limité – il n’est que de 32 millions d’euros –, mais, dans son principe, et hormis la difficulté à en assurer le recouvrement à l’étranger, l’ensemble des professionnels auditionnés ont émis un avis favorable sur ce dispositif, lequel n’implique aucune charge supplémentaire pour les entreprises établies en France.

Enfin, le dernier article de la proposition de loi prévoit la remise au Parlement par le Gouvernement d’un rapport évaluant l’impact sur les finances publiques des pratiques d’optimisation fiscale mises en œuvre par certains acteurs de l’économie numérique basés hors du territoire français en matière de taxe sur la valeur ajoutée, d’imposition des bénéfices et de toutes taxations spécifiques. Sur ce dernier point, nous pouvons considérer que la remise du rapport Collin et Colin de la mission d’expertise satisfait en grande partie cette demande ; c’est, en tout cas, notre sentiment.

Pour conclure cette présentation du dispositif, je pense pouvoir dire, sans trahir la pensée de Philippe Marini, que l’auteur de la proposition de loi défend « l’idée de jeter les bases de la fiscalité numérique, d’abord, sur le plan national, car, même incomplète, elle préfigurerait l’adoption d’une taxation plus globale au niveau européen ».

Il me semble clair que le Gouvernement et les auteurs du rapport « Col[l]in au carré » §visent le même objectif.

La question est donc à présent de savoir quel dispositif adopter.

La mission d’expertise dresse un état des lieux de l’inadaptation de la fiscalité directe, comme de la fiscalité indirecte. Les constats relatifs à l’érosion des bases d’imposition ne sont, certes, pas inédits ni spécifiques à l’économie numérique, mais ils ont le mérite d’être posés pour justifier l’urgence pour les États d’agir au niveau européen et international. Je ne reviendrai pas sur la teneur de ce rapport, dont nous avons longuement entendu et interrogé les auteurs. J’irai donc directement aux propositions.

La mission a identifié le fait que le point commun à toutes les grandes entreprises de l’économie numérique est l’intensité de l’exploitation des données issues du suivi régulier et systématique de l’activité de leurs utilisateurs. Tandis que les données, notamment les données personnelles, sont la ressource essentielle de l’économie numérique, la collecte de ces données est rendue possible par l’émergence du « travail gratuit » que fournissent les utilisateurs soit à leur insu, soit par leur contribution volontaire.

C’est sur la base de ce diagnostic que la mission propose de créer de nouvelles assiettes fiscales fondées sur les données. Elle considère que la collecte des données issues du suivi régulier et systématique des utilisateurs est le seul fait générateur qui garantisse la neutralité du prélèvement. La vocation de ce dernier est non d’imposer la collecte de données en tant que telle, mais d’inciter les entreprises à adopter des pratiques conformes à des objectifs d’intérêt général, comme la protection des libertés individuelles, l’innovation sur le marché de la confiance numérique, l’émergence de gains de productivité, la croissance et la création de nouveaux services au bénéfice des utilisateurs. Cette fiscalité incitative se fonderait sur un principe similaire au « pollueur-payeur », qui serait celui du « prédateur-payeur ».

Cette proposition concernerait, d’une part, les entreprises françaises, afin de les inciter à mieux utiliser les données de leurs clients et utilisateurs, et, d’autre part, les entreprises non établies sur le territoire. Pour ces dernières, la mission soumet l’idée selon laquelle l’objectif de protection des libertés individuelles, qui sous-tend la taxation des données personnelles, pourrait, au-delà du seul souci d’assurer le recouvrement de l’impôt, être considéré comme un motif d’intérêt général suffisant et de nature à justifier une restriction à la libre prestation de services au sein de l’Union européenne.

Cependant, au-delà de ces éléments généraux, il ne semble pas que cette proposition de taxation de la collecte et de l’utilisation des données soit immédiatement opérationnelle et transposable sur le plan législatif.

D’ailleurs, je constate, avec bien d’autres parlementaires, que cette piste pose davantage de questions qu’elle n’apporte de réponses.

Debut de section - PermalienPhoto de Yvon Collin

Quelles données, personnelles ou non, seront concernées par le dispositif ? Comment sera fixée la valeur de ces données ou de leur traitement afin de déterminer l’assiette d’imposition ? Qui seront les redevables ? À partir de quels volumes de données et pour quelles utilisations ? L’objectif d’intérêt général portant sur la protection des données personnelles sera-t-il suffisant au regard du droit communautaire pour justifier d’une dérogation à la libre circulation des biens et services, comme cela a été admis pour l’encadrement législatif des jeux en ligne ?

À ce stade, outre l’avis de la Commission européenne qu’il conviendra que le Gouvernement sollicite, le rapport de la mission d’expertise ne délivre aucun chiffrage et ne précise aucune modalité de recouvrement de cette proposition de taxe incitative. Il faut donc constater, pour l’heure, que les propositions remises au Gouvernement ne constituent pas une solution de rechange opérationnelle à la proposition de loi de Philippe Marini.

Au surplus, on peut considérer que les critiques déjà formulées à l’encontre de la taxation de la publicité en ligne et du commerce électronique peuvent, dans une certaine mesure, être transposées à la taxation de la collecte et l’utilisation des données.

En effet, comme dans le cas de la proposition de taxation de la publicité en ligne ou du commerce électronique, la fiscalisation des données affecterait nécessairement les acteurs français, avec la même incertitude sur l’efficacité de la procédure déclarative applicable aux acteurs étrangers.

D’ailleurs, la mission propose que les entreprises quantifient elles-mêmes, sous le contrôle de l’administration fiscale, le volume de données qu’elles collectent et exploitent. Paradoxalement, cela conforte le principe de la procédure déclaratoire proposée par Philippe Marini.

Au final, je remarque aussi que les arguments utilisés en faveur de la taxation des données, à savoir l’instauration de seuils d’assujettissement et la mise en place d’une phase d’expérimentation, reprennent ceux qui ont déjà été avancés par Philippe Marini. Ainsi, la taxe sur la publicité en ligne prévoit, d’ores et déjà, un barème progressif d’imposition.

Je ne m’engagerai pas plus avant dans l’examen du dispositif, car il me semble prématuré de porter un jugement définitif tant sur les propositions présentées par Philippe Marini que sur celles qui émanent du rapport de la mission d’expertise. Par des voies différentes, ces deux approches ont en commun de promouvoir l’élaboration d’un droit national propre à peser dans les négociations internationales et le rapport de forces avec les entreprises multinationales de l’internet.

Si l’objectif est commun, il se dégage toutefois une différence d’appréciation.

D’une part, la proposition de loi qui nous est présentée se veut concrète et opérationnelle sur le plan législatif, quitte à provoquer le débat sur ses effets économiques.

D’autre part, le rapport de la mission apparaît davantage comme une étude académique et prospective destinée à présenter une solution globale, laquelle reste, à nos yeux, à approfondir et à expertiser pour parvenir à un éventuel dispositif.

Or la date d’examen de la proposition de loi est trop précoce pour que ce travail puisse concrètement aboutir à une solution pleinement opérationnelle et susceptible d’être comparée aux dispositions proposées par Philippe Marini.

Même si, vous l’avez dit et répété, madame la ministre, le Gouvernement semble pleinement convaincu d’agir rapidement au niveau national, sa démarche s’inscrit dans un calendrier que vous nous préciserez peut-être et qui nécessite de prolonger la réflexion : tout d’abord, ont été nommés, le 18 janvier dernier, les trente nouveaux membres du Conseil national du numérique, lequel aura notamment pour vocation de donner un avis sur l’ensemble de ces propositions ; ensuite, le rapport commandé à Pierre Lescure sur les contenus numériques et la politique culturelle à l’ère du numérique sera remis en mars prochain, et ce document ne sera pas sans lien avec les préoccupations qui nous réunissent aujourd’hui ; enfin, il importera également de tenir compte des discussions engagées au niveau international et, en particulier, des décisions qui seront prises par le G20 sur la base du rapport de l’OCDE.

À cet égard, je souhaite que le Gouvernement précise, à l’occasion de cet important débat, ses intentions et ses projets.

C’est pourquoi, à l’issue de la discussion générale, je vous proposerai, mes chers collègues, au nom de la commission des finances, d’adopter une motion de renvoi à la commission de la proposition de loi.

Applaudissements sur certaines travées du RDSE et de l'UMP, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

La parole est à M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je commencerai par rendre hommage à notre excellent président de la commission des finances, auteur de la présente proposition de loi, pour sa ténacité et sa persévérance. Il mène ce combat pour l’équité et la neutralité de la fiscalité numérique, avec Jean Arthuis, depuis plusieurs années, et même si nous avons parfois divergé sur les modalités proposées, il existe aujourd’hui une convergence entre nous sur l’intérêt de faire vivre ce débat.

Mes chers collègues, dans un souci d’équilibre de nos échanges, je débuterai mon intervention par un constat assez simple : l’économie numérique est, bien sûr, notre avenir, mais aussi, d’ores et déjà, notre présent. Son poids dans notre économie est en effet bien plus important que celui de nombreux autres secteurs traditionnels, par exemple ceux des transports et de l’énergie. Elle représente un peu plus de 5 % de notre PIB et a créé, au cours des quinze dernières années, environ 750 000 emplois. Les analyses et études menées dans ce domaine montrent que, en France comme dans les autres pays occidentaux, entre le quart et le tiers de la croissance et de la productivité provient directement de ce secteur.

L’économie numérique fait donc bien partie de notre actualité, de notre présent. Je vous rappelle que la première capitalisation boursière, aujourd’hui, c’est Apple !

Elle est d’ailleurs non pas seulement notre présent, mais aussi notre avenir. Le rapport de MM. Collin et Colin, cité par notre collègue Yvon Collin – décidément ! –, indique ainsi que 80 % de l’économie française seront affectés, demain, par ce secteur.

Aujourd'hui, la présence au banc de la commission de quatre rapporteurs, l’un au fond et trois pour avis, est une preuve de la transversalité absolue du numérique, qui non seulement pèse de tout son poids dans notre économie, mais envahit aussi – au bon sens du terme ! –, progressivement, les autres secteurs.

L’économie numérique est donc notre avenir et notre présent.

Pour vos moments de loisir, je vous conseille, mes chers collègues, la lecture de l’excellent ouvrage, paru l’an dernier, de Jeremy Rifkin. Cet économiste américain, qui s’est parfois trompé dans le passé, notamment en prédisant la fin du travail, défend une thèse très intéressante. Selon lui, tous les grands basculements qui se sont produits au cours de notre histoire ont eu pour origine une conjonction entre l’émergence de nouveaux moyens de communication et celle de nouvelles énergies.

Ce fut le cas en Mésopotamie, où les Sumériens furent les premiers à créer de grands systèmes hydrauliques pour l’agriculture, mais aussi à inventer l’écriture.

Ce fut encore le cas lors de la deuxième révolution industrielle, avec la conjonction de l’apparition d’une nouvelle source d’énergie, l’électricité, et celle de nouveaux moyens de communication, le télégraphe et le téléphone.

Aujourd’hui, nous assistons à une nouvelle conjonction entre, d’une part, l’essor de l’internet et de l’économie numérique, et, d’autre part, celui des énergies renouvelables, qui sont moins centralisées et mieux distribuées, puisqu’on peut les trouver « à la porte » de chacune de nos collectivités et de nos maisons.

L’économie numérique, que nous appréhendons aujourd’hui d’un point de vue fiscal, représente, n’en doutons pas, un enjeu énorme. Je tiens d’ailleurs à rappeler à cette tribune qu’elle est non pas une menace, mais d’abord une chance.

Il nous faut néanmoins prendre garde à deux écueils, qui constituent en quelque sorte deux pôles opposés.

Nous devons éviter, tout d’abord, de céder à la tentation de punir un secteur particulier, au motif qu’il bouscule les anciennes règles et les secteurs de l’économie traditionnelle. Cela n’aurait aucun sens et serait absolument inefficace.

Nous devons éviter, ensuite, d’adopter l’attitude diamétralement opposée, consistant à dire que les tenants du numérique sont d’anciens étudiants philanthropes, qui ne viseraient d’autre objectif que le bien de l’humanité tout entière

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Ces deux attitudes sont vouées à l’échec. D'ailleurs, aujourd’hui, dans les pays occidentaux les plus libéraux, les choses changent. Je citerai, pour illustrer cette situation, deux exemples symboliques.

Premièrement, en 1998, Bill Clinton faisait passer l’Internet Tax Freedom Act, l’ITFA, loi par laquelle il entendait prohiber toute intervention fiscale intempestive de la part des États fédéraux dans le domaine des transactions électroniques, au motif que l’économie numérique, notamment l’internet, représentait un gisement d’emplois et de productivité. Il avait raison sur ce point !

Deuxièmement, voilà une huitaine de jours, à Davos, David Cameron exposait ses trois priorités pour la présidence britannique du G8, parmi lesquelles figure en bonne place – Philippe Marini doit s’en réjouir ! – la lutte contre l’évasion et l’évitement fiscaux.

Rappelons à cet égard, même si cette affaire n’a rien à voir avec le numérique, qu’une polémique a récemment fait grand bruit en Grande-Bretagne, à la suite de la révélation par l’agence Reuters que l’entreprise multinationale Starbucks avait échappé, pendant trois années, à toute taxation sur le territoire du Royaume-Uni.

Si les choses changent aujourd’hui, c’est parce que Google, Apple, Facebook et Amazon, que l’on appelle aussi les GAFA, ces grandes sociétés qualifiées également d’« over the top », sont actuellement en position dominante dans de nombreux secteurs, profitant de l’intimité qu’elles ont su créer avec l’utilisateur final pour se déployer progressivement et remonter toute la chaîne de valeur.

Une autre raison de ce changement, c’est que tous les États, où qu’ils se trouvent, sont aujourd’hui menacés par la crise des dettes souveraines et souhaitent remplir leurs caisses.

Enfin, et c’est une raison supplémentaire, nous voyons se creuser une double fracture.

La première fracture a lieu entre l’ancienne économie, c’est-à-dire l’économie physique, et la nouvelle, l’économie numérique.

Comme le souligne Philippe Marini dans sa proposition de loi, cette fracture est d’abord fiscale. La TASCOM ne concerne ainsi que les entreprises qui disposent d’une surface physique de vente, mais non celles qui pratiquent le commerce en ligne. Par ailleurs, si l’on examine la situation du point de vue de l’équité fiscale, on observe que les grands groupes du secteur de l’internet sont taxés à moins de 0, 4 % de leur chiffre d’affaires, contre près de 6 % pour l’économie traditionnelle. La distorsion de concurrence est donc ici patente.

La seconde fracture a lieu au sein même de l’économie numérique. Ces grandes sociétés profitent en effet, et les représentants de la commission de la culture y reviendront sans doute, des contenus créés par nos créateurs, ce qui peut être considéré comme une externalité extrêmement positive.

Or elles bénéficient, aussi, des investissements réalisés par les opérateurs de télécommunications qui, eux, sont surfiscalisés par rapport aux entreprises traditionnelles, puisqu’ils sont taxés dans notre pays à 25 % de leur chiffre d’affaires, alors même qu’ils ont la charge de déployer les réseaux de nouvelle génération, c’est-à-dire la fibre optique pour le téléphone fixe et la 4G pour le téléphone mobile.

Ces groupes profitent donc de ces réseaux, de ces contenus, et même du soutien des collectivités territoriales – Yves Rome y reviendra sans doute –, puisque celles-ci sont appelées, nous le savons tous, à financer le déploiement des réseaux là où le marché est en état de carence, là où la rentabilité est insuffisante pour nos opérateurs de réseaux.

Il fallait donc faire quelque chose. Or la difficulté en ce domaine – le rapport de MM. Collin et Colin l’explique parfaitement – tient aux caractéristiques propres de ces grands groupes de l’internet, qui rendent si malaisée l’appréhension de l’équité et de la neutralité fiscales.

Ces sociétés sont très agiles fiscalement, parce qu’elles sont jeunes et ont su se conformer au dernier cri de l’optimisation fiscale, et aussi parce qu’elles jouent avec de l’immatériel et de l’incorporel. Elles sont également faciles à délocaliser, car rien n’est plus fluide que les données, qui sont le cœur de leur activité. La fiscalité française reposant sur le principe de territorialité, l’extraterritorialité qui s’attache à ces groupes pose donc un problème fondamental, en matière tant de fiscalité que de régulation générale. La fiscalité n’est pas seule affectée !

J’ai commencé par rendre hommage à Philippe Marini car je pense qu’il est temps, aujourd’hui, de faire quelque chose. Pour cela, il nous faut tenir, avec volontarisme, trois fronts à la fois, à commencer par le front national.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Le Gouvernement doit désormais résolument porter cette ambition, en France, mais aussi dans les assemblées européennes et au sein du G20.

Nous avons aujourd'hui devant nous deux propositions très différentes.

Celle de Philippe Marini, très concrète, opérationnelle et qui peut avoir des effets collatéraux, procède par analogie avec la fiscalité en vigueur : la TASCOM, la TASCOE, la taxation pour la fourniture de services de communication au public en ligne, qui concerne les vidéogrammes, et celle qui est applicable aux jeux en ligne. Il s’agit donc d’une proposition assez robuste et concrète, qui fonctionne par analogie.

Quant à la proposition de MM. Collin et Colin, elle constitue un sommet intellectuel, tel qu’en produisent de temps en temps des cerveaux issus du Conseil d’État et de l’Inspection des finances.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Plus abstraite que la première, elle se situe à un tel degré d’altitude intellectuelle qu’elle procure, à la lecture, une sorte d’émotion, je dirais même un vrai plaisir.

Nouveaux sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Pour parler plus sérieusement, je considère que les auteurs de ce rapport ont parfaitement décrypté le fonctionnement de l’économie numérique. C’est donc une excellente base de départ.

Certes, leur proposition sera complexe à mettre en œuvre, car ils visent deux objectifs quelque peu contradictoires.

Le premier objectif, partagé par Philippe Marini, est de rapatrier les assiettes fiscales. Le second est de créer des comportements vertueux et d’assigner à l’impôt un objectif de liberté publique. Concilier les deux se révélera complexe, d’autant que cette seconde proposition, si j’ai bien lu le rapport, aboutirait à une intensification de l’utilisation des données. Il y a là en quelque sorte un paradoxe, qu’il faudra résoudre.

Nous pouvons retenir de cette proposition, me semble-t-il, une nouvelle définition de la notion d’établissement stable virtuel, qui ne manquera pas d’être utile lors des discussions du G20.

Le rapport quelque peu intellectuel de MM. Collin et Colin, qui s’apparente parfois à une usine à gaz, fournit donc aussi un décryptage de l’économie numérique, ainsi que certains éléments concrets dont nous pourrions tirer profit.

Toutefois, les solutions que nous apporterons au niveau national seront parfaitement inopérantes, s’agissant notamment du problème de l’extraterritorialité, si nous ne menons pas, de façon conjointe, une action résolue auprès de la Commission européenne et du G20.

À l'échelle européenne, la directive sur les services électroniques devait s’appliquer en 2015, mais, pour partie grâce ou à cause de l’action du Luxembourg – je rappelle au passage que le chef de gouvernement de ce pays n’était pas le dernier à nous donner de bons conseils, d’ailleurs, de gestion de nos finances publiques ! –, elle s’est progressivement vidée de sa substance, une période transitoire ayant été négociée jusqu’en 2019 pour son entrée en vigueur !

Madame la ministre, il faut rapprocher ces deux échéances de 2015 et de 2019 et obtenir un glissement vers 2014 plutôt que 2015 pour une application, peut-être en sifflet, mais sur une durée plus réduite pour la collecte de la TVA. C’est important pour nos entreprises et pour l’équité fiscale chère à Philippe Marini !

S’agissant maintenant du G20 et de l’OCDE, on constate pour la première fois une convergence – Philippe Marini parlait tout à l’heure d’alignement des astres ou des planètes ! – qui est extraordinairement importante et qu’il nous faut saisir. Elle résulte d’une prise de conscience des grands pays occidentaux, notamment des États-Unis. En effet, on parle souvent, à propos de Google, du « sandwich irlandais » et d’une société aux Pays-Bas. Toutefois, il faut aller au bout du système ! Le transfert des bénéfices ne s’arrête pas aux États-Unis. Il se fait jusqu’aux Bermudes !

Ceux qui connaissent mieux la fiscalité que moi le savent, le système fiscal américain a un aspect extrêmement intéressant s’agissant d’optimisation fiscale. En effet, ce sont aujourd’hui près de 1 400 milliards de dollars qui sont bloqués dans des paradis fiscaux ! Aussi, les États-Unis veulent désormais mener une action extrêmement volontaire et ils seront nos alliés, tout comme la Grande-Bretagne, l’Allemagne et beaucoup d’autres pays.

Heureuse conjonction, si j’ose dire, à l’ouest, heureuse conjonction aussi à l’est et au sud, puisque les BRICS – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud – seront aussi nos alliés. En effet, ces grands pays émergents, s’ils reçoivent des capitaux, voient les dividendes ou les bénéfices leur échapper pour ces mêmes raisons d’optimisation fiscale.

Selon moi, le rapport de l’OCDE est fondamental. L’idée qui consiste à oublier les actifs, en tout cas à changer notre perception pour avoir une autre vision et à requalifier l’activité, pas seulement en fonction des biens matériels, des actifs corporels et des données d’ailleurs, comme le suggèrent Pierre Collin et Nicolas Colin, est une piste sérieuse. Elle pourrait enfin voir le jour, peut-être même par le biais de conventions multilatérales – la France en a déjà signé plus de 150 ! –, ce qui nous permettrait d’être plus efficaces et beaucoup plus rapides.

Nous devons vraiment faire preuve d’imagination et avoir une vision d’autant plus anticipatrice qu’il n’est pas possible de calquer sur la nouvelle économie les règles de l’ancienne !

Je terminerai comme j’ai commencé, en soulignant la pertinence de la proposition de loi de M. Philippe Marini. Rendons à César ce qui est à César et à Philippe Marini ce qui lui appartient : saluons sa persévérance, son côté précurseur et sa ténacité !

Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC, du RDSE et du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Domeizel

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les chiffres que vient de citer voilà un instant le rapporteur de la commission des finances, que je remercie ici de son exposé fort complet.

Pour les GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazon –, l’identité est différente, mais le constat demeure : la démesure des chiffres d’affaires et des bénéfices, le montant proportionnellement ridicule des impôts payés et, chaque fois, un manque à gagner pour les finances publiques des États et une distorsion de concurrence insoutenable pour les entreprises nationales.

Oui, les États sont aujourd’hui largement démunis face aux GAFA, ces géants de l’internet dont ils peinent à fiscaliser les activités, par définition dématérialisées et mondialisées.

Pourtant, nous ne devons pas renoncer à trouver la voie, les voies qui conduiront ces sociétés à participer à l’effort fiscal à la juste mesure des richesses créées sur un territoire.

La proposition de loi pour une fiscalité du numérique neutre et équitable, déposée par notre collègue Philippe Marini, constitue une réaction à ce constat d’impuissance et une tentative pour sortir de l’impasse, en proposant une taxation ad hoc de certaines transactions de l’économie numérique réalisées en France. Son initiative a été, à ce titre, saluée par l’ensemble de la commission de la culture.

À l’article 1er de la présente proposition de loi, il est prévu la création de deux taxes nouvelles sur la publicité en ligne et sur les services de commerce électronique, dont serait redevable toute entreprise tirant des revenus en France, au titre de l’une ou l’autre de ces activités. L’assiette de ces taxes serait calculée en fonction de la déclaration, volontaire ou par le biais d’un représentant fiscal, de ces revenus par l’entreprise.

Il est également proposé, à l’article 2, d’étendre aux entreprises établies hors du territoire national la taxe existante sur les ventes et locations de vidéogrammes à la demande, dont le produit, rappelons-le, bénéficie au Centre national du cinéma et de l’image animée, le CNC.

Par ailleurs, il est demandé au Gouvernement, à l’article 3 de la proposition de loi, de fournir un rapport au Parlement sur plusieurs pistes, plus ambitieuses, de réforme de la fiscalité numérique sur les plans tant national que communautaire et international.

La commission de la culture s’est saisie pour avis de l’ensemble de cette proposition de loi, en cohérence avec les travaux que nous avions menés sous la forme de plusieurs tables rondes tout au long de l’année 2012, en collaboration avec le groupe d’études « Médias et nouvelles technologies ».

Nous nous étions alors particulièrement intéressés aux enjeux de la fiscalité numérique sous l’angle de la rémunération des créateurs de contenus culturels diffusés en ligne et de la recherche de ressources dynamiques destinées au financement des industries culturelles.

La commission de la culture s’est donc attachée à analyser le dispositif figurant dans la proposition de loi à l’aune de ces préoccupations, laissant aux autres commissions saisies pour avis – affaires économiques et développement durable – le soin de se pencher sur les questions relatives à la taxation du e-commerce et au financement du haut débit et du très haut débit sur l’ensemble du territoire.

Les opérateurs de la culture, auxquels notre commission prête évidemment une attention particulière, ne peuvent en effet rester étrangers au débat sur la fiscalité numérique. L’essentiel de leurs ressources consiste en des taxes affectées, qui reposent d’ores et déjà sur les acteurs de l’industrie numérique. Toute modification de la réglementation fiscale applicable à ce secteur d’activité est donc de nature à avoir un impact sur les acteurs de la culture.

En outre, il ne vous aura pas échappé, mes chers collègues, que l’industrie numérique est une industrie de contenus, qui bénéficie de la valeur ajoutée et des revenus liés à l’édition et à la distribution des œuvres françaises, et plus largement européennes, qui ont un lourd besoin de financement.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Domeizel

Enfin, le changement des modes de consommation des contenus culturels entraîne une stabilisation, voire un ralentissement, des marchés classiques, donc une érosion de l’assiette de la taxation, qui met en péril le rendement des taxes affectées au financement de l’ensemble de la filière.

Or, pour intéressante que soit l’initiative prise par notre collègue Philippe Marini d’instaurer une taxation, même modeste, des revenus créés en France par l’économie numérique, elle n’en demeure pas moins inopérante quant à l’affectation d’une partie du produit de la fiscalité numérique au financement de la culture.

Ainsi, seul l’article 2 de la proposition de loi, qui étend la taxe sur la vente et la location de vidéogrammes à la demande aux sociétés étrangères réalisant ce type de transactions au bénéfice d’un consommateur établi en France, instaure un mécanisme qui bénéficie à un opérateur de la culture, en l’espèce le CNC.

A contrario, à l’article 1er, qui constitue le cœur de la proposition de loi en ce qu’il crée la taxe sur la publicité en ligne et celle sur le commerce électronique, il n’est pas prévu d’affecter, même en partie, ces nouvelles ressources aux industries culturelles. Elles iront au budget général de l’État pour la taxe sur la publicité en ligne et aux collectivités territoriales pour la TASCOE.

Pourtant, les besoins de financement des opérateurs de la culture sont considérables. Je citerai notamment le cas du Centre national du livre, le CNL, confronté aux difficultés des librairies indépendantes, ce qui, vous le savez, mes chers collègues, préoccupe particulièrement la commission de la culture. Toutefois, le CNL doit également répondre aux enjeux de la numérisation du patrimoine littéraire que constituent les « sous-droits », dans un contexte où les évolutions technologiques font peser une menace sur le rendement de la taxe sur la vente des appareils de reprographie, de reproduction et d’impression.

Je pense également aux défis qui attendent les acteurs français de la musique. Le succès de Deezer masque en effet la fragilité du secteur : en 2012, la FNAC a ainsi abandonné sa musique en ligne à iTunes et AlloMusic a fermé. Parallèlement, les ventes de supports physiques s’effondrent, ce qui met en grande difficulté tant les disquaires indépendants que les grandes enseignes.

Si le secteur de la musique ne dispose pas de son propre opérateur, depuis l’abandon du projet de création d’un Centre national de la musique, ou CNM, il n’en demeure pas moins qu’il a plus que jamais besoin de soutien financier. À cet égard, l’élargissement à la musique des missions du Centre national de la chanson, des variétés et du jazz me semblerait pouvoir être envisagé, dès lors qu’une nouvelle ressource est affectée au centre, ce qui avait manqué au projet de création du CNM.

Quoi qu’il en soit, le CNL et le CNV pourraient utilement bénéficier de nouvelles ressources issues de la fiscalité numérique, notamment de la taxe sur la publicité en ligne créée par l’article 1er de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. On rappellera que son rendement est estimé par l’auteur de ce texte à 20 millions d’euros par an, ce qui, divisé entre les deux opérateurs, permettrait de répondre à de nombreux besoins.

Si la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est incomplète sur le sujet du fléchage indispensable d’une partie des ressources issues de l’instauration d’une fiscalité numérique vers l’industrie culturelle, elle a en réalité pour principal défaut d’anticiper par trop les bouleversements qui pourraient intervenir en 2013 dans ce domaine.

À l’échelon national, tout d’abord, la mission confiée par le Gouvernement à Nicolas Colin et à Pierre Collin a rendu ses conclusions le 18 janvier dernier. Les propositions présentées sont ambitieuses et quelque peu iconoclastes. Il s’agit en effet pour les auteurs d’instaurer une fiscalité incitative assise sur la collecte et l’exploitation par les acteurs de l’internet des données personnelles des internautes.

Autre signe, s’il en était besoin, que le sujet constitue désormais une priorité gouvernementale : le même jour, vous organisiez, madame la ministre, une table ronde sur la fiscalité du numérique et la neutralité d’internet avec l’ensemble des acteurs concernés.

Enfin, la mission Lescure, qui concerne plus spécifiquement la politique culturelle à l’ère du numérique et les moyens qui y sont accordés, devrait, pour sa part, rendre ses conclusions au mois de mars prochain.

Le constat est identique aux échelons communautaire et international, tant il est vrai que la fiscalité numérique et son équité concernent l’ensemble des grands pays consommateurs de services en ligne, qui, tous, sont confrontés à la question du recouvrement de l’impôt et aux distorsions de concurrence.

La commission de la culture a donc également souhaité étayer son analyse en replaçant les propositions de notre collègue Philippe Marini dans un contexte de bouleversement à venir, aux plans national, européen et international.

De fait, si le législateur français a certainement vocation à porter un message fort sur l’instauration nécessaire d’une fiscalité numérique, il ne peut, à lui seul, en déterminer le contenu. Ainsi, en marge du G20 des 5 et 6 novembre 2012, les ministres des finances de l’Allemagne, du Royaume-Uni et de la France ont publié une déclaration commune appelant à une action coordonnée en vue de renforcer les normes fiscales internationales et ont conjointement demandé à l’OCDE de mener à bien une réflexion sur les mesures permettant de remédier à l’érosion des bases imposables, due au transfert des bénéfices vers des pays à basse fiscalité.

Dans un contexte budgétaire de plus en plus contraint, des propositions gouvernementales devraient donc prochainement voir le jour, afin de faire participer les grands acteurs du numérique à l’effort fiscal à due proportion des revenus importants qu’ils tirent de leurs activités sur le territoire national.

S’il paraît aujourd’hui prématuré d’envisager le contenu précis de telles dispositions, peut-être pourriez-vous, madame la ministre, nous en dévoiler ce matin les grandes lignes ? En tout état de cause, la commission de la culture veillera à ce que les mesures qui seront proposées prennent en compte les enjeux liés au financement des industries culturelles.

Dans l’attente des réformes nationales, communautaires et internationales qui seront adoptées, du moins nous l’espérons, dans les prochains mois en matière de fiscalité numérique, il nous semble qu’il est urgent d’attendre, avant de modifier unilatéralement et, du reste, de manière fort modeste au regard des enjeux, notre réglementation fiscale dans ce domaine.

C’est pourquoi, après avoir examiné, le 24 janvier dernier, la proposition de loi déposée par M. Marini, la commission de la culture a émis un avis favorable sur la motion tendant au renvoi à la commission.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Mes chers collègues, à la demande du Gouvernement, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à onze heures trente, est reprise à onze heures trente-cinq.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

La séance est reprise.

La parole est à M. Yves Rome, rapporteur pour avis.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Rome

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous devons, à titre liminaire, nous féliciter aujourd’hui de ce que le projet de réserver aux lois financières le monopole de la fiscalité, qui avait été tant défendu dans cette enceinte, n’a pas vu le jour. En effet, nous n’aurions pas l’occasion de débattre d’une proposition de loi qui, pour être perfectible, aborde un problème préoccupant appelant des solutions durables.

Sans doute aurions-nous pu caser au cours de la discussion des articles d’une loi de finances quelques échanges sur la fiscalité numérique, comme nous le fîmes dans un passé assez récent, mais nous aurions été contraints par le calendrier particulièrement serré de la discussion budgétaire et le vote de notre assemblée n’aurait pu bénéficier de l’éclairage apporté par le processus parlementaire aujourd’hui en œuvre.

L’abandon, voire l’échec, des tentatives précédentes de mise en ordre de notre fiscalité numérique n’a-t-il pas été dû, en partie, à la précipitation à laquelle nous oblige souvent la procédure budgétaire ?

Ainsi, de nouveau, félicitons-nous de pouvoir débattre de la proposition de loi de notre collègue au cours d’un processus parlementaire préservant notre pouvoir d’initiative, notre rôle et, finalement, notre raison d’être, puisqu’il nous offre le cadre d’un examen approfondi de notre législation fiscale.

La commission des finances nous fait la très sage proposition de prolonger le temps parlementaire. Mes chers collègues, votre commission du développement durable a décidé à l’unanimité d’émettre un avis favorable sur cette proposition.

Pour autant, ce n’est pas le souci de lenteur qui motive le ralliement de notre commission à la motion tendant au renvoi à la commission. Bien au contraire, l’affaire qui nous réunit est importante, et il est même plus qu’urgent que notre fiscalité soit adaptée non seulement à la nouvelle économie, mais aussi à des défis qu’elle incarne, certes, tout particulièrement, mais qui s’étendent à bien d’autres secteurs de notre économie. Je veux parler de l’évasion fiscale internationale.

La proposition de loi s’inscrit sans conteste dans un tel objectif. Elle témoigne que la concurrence fiscale internationale ne saurait être correctement régulée par le marché et qu’il est justifié de protéger la souveraineté fiscale des États contre la mise à l’encan à laquelle celle-ci est livrée du fait des défaillances des lois fiscales et de l’optimisation fiscale abusive pratiquée par de si nombreux grands acteurs de l’économie globalisée.

Toutefois, il faut bien tenir compte de l’excellent exposé des motifs de la motion présentée par notre collègue Yvon Collin, lequel fait valoir, à très juste titre, la nécessité de s’inscrire dans une perspective plus large, qui est celle du calendrier fourni et précis du Gouvernement sur les sujets qui nous occupent.

Par ailleurs, je voudrais évoquer quelques considérations qui, aux yeux de la commission du développement durable, apportent des justifications supplémentaires pour que la méritoire proposition de loi aujourd’hui en débat fasse l’objet d’un complément d’instruction par le Sénat.

L’adoption de la motion ne doit en rien diminuer la vigilance du Sénat et votre commission, à qui la multiplication des avis sur la proposition de loi n’a pas échappé, non plus que la diversité des rapports consacrés en tout ou partie à la fiscalité numérique, souhaite au contraire qu’elle débouche sur la perpétuation d’un investissement de la Haute Assemblée au regard des enjeux immenses soulevés par la neutralité fiscale du numérique. L’économie numérique occupe en effet une part croissante de la création de richesses, suivant très certainement une trajectoire que l’on peut qualifier d’exponentielle.

Le Gouvernement aurait d’ailleurs, je le crois, grand profit à une telle mobilisation au service d’une fiscalité plus juste. Car, ne nous le dissimulons pas, c’est de la plus grande détermination que nous devrons faire preuve pour parvenir à des solutions satisfaisantes.

Autant le dire tout de suite, les objectifs de la proposition de loi, dont l’intitulé, Pour une fiscalité numérique neutre et équitable, promet plus que ne tient le corps de la proposition, situent bien les enjeux.

La commission du développement durable partage la préoccupation que ce texte traduit ; elle est malgré tout préoccupée par certaines dispositions proposées et souhaite resituer les questions abordées dans le contexte particulier du financement de l’ambition du très haut débit pour tous, qui, conformément à l’engagement n° 4 du Président de la République, est l’horizon de notre politique d’équipement numérique des territoires : la fibre optique pour tous et partout, dans les dix ans !

Alors que, dans les versions initiales des dispositifs visant à assurer la neutralité fiscale du Net, celle-ci n’était atteinte que dans le cadre franco-français, il s’agit désormais d’une neutralité à deux dimensions : entre les secteurs traditionnels et l’économie numérique, d’une part, entre les acteurs résidant en France et ceux qui sont localisés en dehors de notre aire de souveraineté fiscale, d’autre part.

L’adjonction de cette seconde dimension est particulièrement opportune. Plus encore, elle est nécessaire tant les caractéristiques mêmes de l’économie numérique l’imposent.

Nous devons en effet nous garder de deux processus conjoints : le renforcement de la part dans notre PIB d’une économie numérique qui, exposée à un taux d’imposition effectif sensiblement inférieur à celui de l’économie traditionnelle, réduit en quelque sorte les dividendes fiscaux de la croissance ; l’évaporation fiscale résultant de la combinaison d’arrangements institutionnels défaillants et des pratiques d’optimisation fiscale de grands acteurs du secteur, pratiques éminemment abusives puisque, par exemple, elles conduisent une part de plus en plus considérable des dépenses de consommation de nos compatriotes à atterrir dans des paradis fiscaux, sous la forme de royalties, dont le trésor des États-Unis, de son côté, bénéficie un peu, mais qui alimentent surtout les comptes offshore des paradis fiscaux.

Cet « âge de l’offshore » est malheureusement nourri par des territoires appartenant à l’Union européenne, qui servent de conduits à une évasion fiscale internationale à laquelle la Haute Assemblée a consacré de longs travaux au premier semestre de l’année 2012.

Les enjeux d’une remise en ordre de l’économie numérique sont ainsi particulièrement essentiels. Il y va de la justice fiscale et, donc, de l’acceptabilité même de l’impôt ; il y va de l’équité fiscale et de l’égalité des conditions de concurrence.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Rome

Il y va du rendement fiscal et, donc, de notre capacité à remettre nos finances publiques sur une trajectoire soutenable et à maintenir notre modèle social et la possibilité de financer les biens publics indispensables à une croissance potentielle et équilibrée.

Par rapport à ces formidables enjeux, l’objet limité de la proposition de loi peut inspirer deux attitudes opposées.

Il va de soi, et l’auteur de la proposition en convient, que l’aménagement des trois taxes indirectes qu’il nous propose ne répond pas aux attentes d’un aggiornamento de la fiscalité du numérique. Sans doute peut-on être sensible à l’intention de combler les lacunes de la proposition de loi par la prescription faite au Gouvernement de rendre un rapport couvrant plus complètement les enjeux et embrassant notamment l’imposition des bénéfices et le régime de TVA appliqué à l’économie numérique.

C’est d’ailleurs un vœu qui se trouve en partie satisfait par la remise très récente du rapport de MM. Pierre Collin et Nicolas Colin, qui justifie pour partie l’ajournement de notre œuvre législative.

Mais enfin, on pourrait tout aussi bien décider de prendre ce qui ne serait plus à prendre et, ainsi, adopter les dispositifs de la proposition de loi ! La commission du développement durable a été d’avis de ne pas céder à cette tentation. Elle a considéré que l’exploration d’une démarche globale, dans laquelle le Gouvernement s’est justement engagé, devait prévaloir pour réussir la réforme fiscale qu’appelle le développement du numérique.

Il y a d’ailleurs des inconvénients non négligeables à procéder sur le mode de la proposition de loi.

La distorsion de notre système de prélèvements obligatoires, qui est le résultat du relais pris par les impositions indirectes devant les transferts des bases d’imposition directe destinés à les soustraire à l’impôt, n’est pas neutre pour nos équilibres économiques et sociaux.

Toutefois, et surtout, il existe des doutes sérieux quant à la solidité de la construction fiscale proposée par notre collègue. Certes, nous devons déplorer l’intégrisme manifesté par les juridictions européennes dès que sont en cause les libertés fondamentales inscrites dans les traités européens, mais nous ne pouvons pas le négliger. Et nous ne savons pas au juste si l’astucieuse alternative entre le régime de la représentation fiscale et celui de la déclaration, qui est censée permettre d’ancrer fiscalement les bases d’imposition couvertes par la proposition de loi, trouverait grâce aux yeux du droit européen.

Nous avons trop l’habitude de censures qui finissent par coûter cher à nos finances publiques. Qu’il s’agisse de certaines formes de retenue à la source ou de certaines taxes supposées assurer l’équilibre de notre paysage audiovisuel, nous sommes payés d’expérience !

Je ferai une remarque incidente à ce propos pour vous demander, madame la ministre, de faire part haut et fort de notre réprobation face à des attitudes ignorant l’état réel de la concurrence fiscale abusive qui fait rage dans l’Union européenne et qui tarit les financements si nécessaires à l’atteinte de l’objectif, aussi inlassablement martelé que désespérément reporté, de faire de l’Europe l’économie la plus compétitive du monde.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Rome

Entre la dilapidation des ressources au service de quelques professionnels de l’évasion fiscale et l’investissement dans l’avenir de l’Europe, il faut choisir ! J’y reviendrai dans un instant.

À supposer même que nous passions l’écueil juridique que je viens de mentionner, force est d’anticiper les difficultés d’application pratique des dispositifs envisagés.

On se doute bien que leur portée dépend de la bonne volonté des contribuables impliqués ou des États où ils sont localisés. Or nous pouvons nourrir des doutes raisonnables sur ce point, et le simple renvoi aux conditions de gestion du recouvrement de la TVA, non plus que la seule confiance mise dans des conventions fiscales dont il n’est pas sûr qu’elles s’appliqueraient aux cas d’espèce ne suffisent à nous rassurer.

Le risque est alors grand que le volet international de la neutralité fiscale à laquelle prétend la proposition de loi ne soit qu’une fausse fenêtre. Sans doute en subsisterait la dimension purement interne, mais il faudrait alors reprendre la discussion sur de tout autres bases et resurgirait le spectre de la concurrence fiscale.

En bref, l’objectif serait manqué, et plutôt que de résoudre le problème envisagé, on l’accentuerait peut-être.

Convenons qu’il s’agit d’une perspective qui invite à approfondir la réflexion. Explorons à fond les solutions de rechange, parmi lesquelles celles que proposent dans leur rapport MM. Pierre Collin et Nicolas Colin ; mobilisons notre diplomatie fiscale internationale pour que le processus mis en route à Los Cabos aboutisse ; plaçons au sommet de l’agenda européen la lutte contre l’évasion fiscale internationale et le combat en faveur d’une fiscalité juste et durable. Et que notre Haute Assemblée tienne toute la place qu’elle occupe depuis déjà longtemps dans la réalisation de cette tâche !

Voilà les vœux qu’on peut aujourd’hui former. Néanmoins, la commission du développement durable souhaite en ajouter un dernier, et pas le moindre, qu’elle regrette de ne pas voir traduit comme il faudrait par la proposition de loi.

La fiscalité numérique doit être un élément de résolution de l’équation à laquelle nous confronte l’urgence de mettre à niveau l’équipement numérique du territoire. L’ambition du très haut débit pour tous, portée par le Président de la République et que vous-même, madame la ministre, mais nous aussi, représentants des collectivités territoriales, avons la responsabilité historique de mettre en œuvre, exige une mise à niveau de ses moyens financiers. Une amélioration du fonctionnement de l’économie numérique doit créer les conditions d’une contribution juste de chaque partie prenante au financement des infrastructures du XXe siècle.

Aujourd’hui, les passagers clandestins des réseaux s’arrogent indûment une partie de la valeur économique du secteur. Cette rente d’accès, qui justifie un prélèvement destiné à la corriger et son affectation au financement des biens qui en permettent le constant développement, doit être appréhendée, alors même qu’elle est aujourd’hui distraite vers des territoires où elle est échappe à cette juste contribution.

Nous savons tous ici que les modalités retenues pour le déploiement des réseaux de troisième génération, parce qu’elles négligent la péréquation de premier niveau qu’aurait sans doute permis un paradigme de substitution, engageront les ressources publiques, celles de l’État, mais aussi celles de collectivités territoriales.

C’est dans ce contexte que l’internalisation de la rente de ceux qu’on nomme les GAFA est un impératif. Le contribuable national, et moins encore celui de notre France rurale, n’a à financer les dividendes ou les plus-values de l’habitant de Los Angeles ou ceux qui sont déversés sur un compte tenu dans quelque territoire timbre-poste. Cette valeur doit participer au financement des réseaux qu’elle conduit à développer et grâce auxquels elle se crée.

Cette affectation est logique, elle est donc indispensable. Imaginerait-on un seul instant que le contrôleur de la SNCF verse autrement qu’aux entreprises du rail le produit des billets contrôlés ?

C’est également parce que la proposition de loi néglige cette logique, qui doit être pleinement prise en compte dans nos projets de réforme de la fiscalité numérique, mais qui sans doute, j’y insiste, ne suffira pas à doter le financement de l’aménagement numérique du territoire des ressources pérennes et dynamiques, que la commission du développement durable vous invite, mes chers collègues, à adopter la motion de renvoi à la commission.

À titre personnel, je veux à mon tour saluer l’inspiration de ce texte, puisque, monsieur Retailleau, j’ai cru comprendre que le Vendée Globe avait soufflé en direction de la proposition de loi de Philippe Marini…

Sourires.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et de l'UMP.

Debut de section - Permalien
Fleur Pellerin

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis aujourd’hui afin d’examiner la proposition de loi de M. Marini, dont le but est de bâtir une fiscalité du numérique à la fois neutre et équitable.

Permettez-moi, à cette tribune, de saluer d’emblée la qualité des échanges auxquels nous avons procédé la semaine dernière au sein de la commission des finances. Nous avons eu, de mon point de vue, un débat de grande qualité, parfois technique, au terme duquel il me semble que nous avons abouti à une forme de consensus.

Une fiscalité « neutre et équitable »… C’est bien cela qui fait aujourd’hui défaut lorsque l’on regarde le paysage fiscal des entreprises de l’économie numérique. Je l’ai dit en commission des finances voilà quelques jours et je le répète aujourd’hui, le Gouvernement partage pleinement les préoccupations de M. Marini.

Monsieur le sénateur, vous avez porté ce sujet délicat en précurseur au sein de votre commission. Vous avez eu raison, car il fait aujourd’hui débat dans tous les pays d’Europe ou presque et il est inscrit à l’agenda de plusieurs grands rendez-vous internationaux à venir.

Je veux saluer ici votre travail de longue haleine et vos propositions visant à établir des taxes sur les géants de l’internet proposant des ventes et prestations en France, afin de mettre fin à la situation particulièrement choquante de franchise fiscale dont bénéficient, de fait, ces entreprises au regard des grands impôts tels que l’impôt sur les sociétés et la TVA.

Étant moi-même consciente que le changement radical de notre économie rend absolument nécessaire une adaptation urgente de notre fiscalité, j’ai demandé, avec Pierre Moscovici, Arnaud Montebourg et Jérôme Cahuzac, à Pierre Collin et à Nicolas Colin, dès le mois de juillet 2012, de formuler des propositions d’évolution de notre droit pour taxer les géants de l’internet qui échappent aujourd’hui à l’impôt.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il y a urgence à trouver les moyens d’assujettir les grandes multinationales du numérique aux impôts acquittés par toute entreprise qui commerce en France.

En tant que ministre chargée de l’économie numérique, je suis en effet quotidiennement alertée sur les problèmes de distorsions de concurrence liées au fait que les grands opérateurs du Net, américains notamment, mais pas seulement, échappent à la fiscalité de droit commun des entreprises européennes grâce à des montages juridiques leur permettant d’optimiser leurs impôts.

Au-delà des recettes de l’État, la fiscalité est devenue un facteur structurant pour la protection de notre tissu économique et la compétitivité des acteurs européens du numérique.

Or, trop souvent, les débats qui ont eu lieu autour de l’économie numérique se sont polarisés sur les seules problématiques culturelles. Celles-ci sont bien entendu importantes et sensibles et, effectivement, internet se nourrit de contenus culturels ou de productions de l’esprit, dont la diffusion a été facilitée et démultipliée grâce à la dématérialisation. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que le glissement de valeur provoqué par la numérisation touche tous les secteurs de la vie économique. Si l’on n’y prend pas garde, ce sont les fondements de l’assise territoriale de l’impôt qui peuvent être remis en cause.

Le constat dressé dans le rapport sur la fiscalité du numérique, qui a été remis au Gouvernement le 18 janvier 2013, ne doit pas être pris à la légère.

Aujourd’hui, ni les règles de droit interne ni le cadre communautaire ne permettent de répondre aux problèmes nouveaux que pose l’économie numérique.

Toutes les règles qui existaient jusqu’à présent en matière de domiciliation fiscale des entreprises n’ont plus d’accroche sur ces sociétés, et les schémas d’optimisation et d’évasion fiscales leur sont particulièrement accessibles. Il existe un décalage entre le lieu où se crée la valeur et celui où elle est monétisée.

Un véritable plan de sauvetage de l’impôt sur les sociétés s’impose donc avant tout si l’on veut rendre une assise territoriale à l’impôt, mettre fin aux ruptures d’équité et en finir avec le « siphonage » unilatéral de la valeur, tel qu’il est pratiqué aujourd’hui par les géants du net.

C’est pourquoi, après avoir passé en revue les principales propositions de ce texte, je vous exposerai le plan d’action gouvernemental.

La première proposition est la création d’une obligation de déclarer et de payer les taxes, soit par l’intermédiaire d’un représentant fiscal, soit selon le régime spécial de déclaration des services par voie électronique.

Cette proposition est intéressante pour asseoir les prélèvements sur notre territoire. Cela étant, pour justifier l’obligation de désigner un représentant fiscal, la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne rend nécessaire de démontrer des considérations ayant trait plutôt à l’ordre public, comme pour les jeux en ligne, par exemple.

Sur ce point, le rapport Collin et Colin nous donne une piste à travers les données personnelles. Car, après avoir démontré que la collecte des données se trouve au cœur même de la création de valeur des entreprises du numérique, il propose de l’utiliser comme critère de territorialité pour l’établissement stable.

Par ailleurs, nous nous engageons, avec le ministère du redressement productif, dans une stratégie de protection des données personnelles. Cette protection pourrait, à terme, justifier d’imposer une représentation en France pour les entreprises qui collectent des données.

À ce stade, il paraît cependant difficile de mettre en place cette obligation déclarative sans démontrer en premier lieu un motif qui dépasse la simple considération administrative.

Ensuite, la proposition de loi vise à créer deux taxes.

La première est la taxe sur les publicités en ligne, sur le modèle de celle qui avait été créée en 2011, mais portant sur les régies publicitaires et non plus sur les annonceurs.

Je vous le répète, le Gouvernement n’est pas favorable à la création de cette nouvelle taxe, qui, inévitablement, sera répercutée sur les annonceurs et souffrira donc des mêmes maux que la première taxe, dite « taxe Google ». Le risque serait notamment de frapper les PME qui accèdent au marché publicitaire grâce à des coûts d’entrée extrêmement bas.

Il existe d’ores et déjà de nombreuses taxes sur la publicité. En instaurant une nouvelle taxe, nous risquons de manquer la cible des géants de l’internet tout en ajoutant une couche de fiscalité sur des acteurs français déjà fragiles. C’est pourquoi ce projet de taxation de la publicité ne paraît pas constituer une voie exploitable en l’état.

La deuxième taxe proposée est la taxe sur les services de commerce électronique.

Cette taxe aurait là encore pour effet paradoxal de mettre à contribution des acteurs français sans que l’État ait réellement les moyens de taxer les entreprises sises à l’étranger.

Certes, la possibilité de déduire cette taxe de la taxe sur les surfaces commerciales, la TASCOM, vise à ne pas ajouter un nouveau prélèvement obligatoire sur des acteurs qui sont déjà soumis à la fiscalité de droit commun. Néanmoins, cette distinction entre les contribuables établirait, entre les résidents et les non-résidents, une différence de traitement qui paraît peu compatible avec le droit communautaire.

De surcroît, elle soumettrait les acteurs de la vente à distance à une nouvelle fiscalité, au moment où leur transition technologique est absolument nécessaire, sinon indispensable.

Les acteurs de ce secteur d’activité, comme plus largement d’ailleurs la plupart des représentants du commerce physique, ont fait part de leur forte inquiétude sur ce projet de taxe ; ces préoccupations me semblent parfaitement légitimes.

Le Gouvernement est défavorable en l’état à cette taxe, qui ne paraît pas propice au développement de notre économie numérique.

Enfin, la proposition de loi vise à instaurer une extension de la taxe sur les ventes et locations de vidéogrammes. Celle-ci étend aux opérateurs établis à l’étranger le champ de la taxe existante, qui est affectée au Conseil national du numérique.

Étendre cette taxe qui ne frappe aujourd’hui que les opérateurs établis en France est pertinent dès lors que les services rendus sont identiques. Cependant, là encore, il paraît difficile de la mettre en œuvre aujourd’hui, car l’administration ne disposerait d’aucun élément de recoupement pour s’assurer de la bonne estimation.

En revanche, à compter de 2015, seront établies de nouvelles règles de territorialité de la TVA, ainsi que le guichet unique. Les services seront alors en mesure d’avoir une estimation des recettes générées par les opérateurs sur les services en ligne.

L’extension de la taxe sur les vidéogrammes semble donc une bonne idée, mais, en l’état, et à échéance de 2013, elle paraît prématurée.

En définitive, le Gouvernement proposera de voter le renvoi à la commission de la présente proposition de loi, dont les propositions ne sont pas mûres à ce stade.

Le Gouvernement a cependant annoncé un plan d’action à la suite de la remise du rapport sur la fiscalité de l’économie numérique par MM. Collin et Colin. Je veux, à l’occasion de la discussion du présent texte, vous en donner les grandes lignes.

Ce plan d’action comporte en premier lieu un volet international.

Il s’agit d’une part, au sein de l’Union européenne, de faire adopter des règles communes afin que les États membres se dotent tous de réglementations permettant de mettre fin à l’évasion des produits et profits vers les paradis fiscaux. C’est la lutte contre les « États tunnels ».

Nous travaillons avec les services de la Commission européenne sur ce point. Benoît Hamon a indiqué, lors de l’Ecofin du 22 janvier 2013, que la France présenterait des propositions opérationnelles sur l’imposition des profits de l’économie numérique. Ces propos ont été salués par le commissaire Šemeta, qui nous invite à coordonner les solutions à l’échelon de l’Union européenne.

À ceux qui m’opposent que ce chemin est trop long, je rappellerai que, il y a trois ans, la Commission a tendu la main à la France pour l’élaboration d’un plan d’action à l’échelon européen sur ces problématiques d’impôt sur les sociétés. Le précédent gouvernement ne s’est toutefois pas saisi de cette proposition de la Commission, manquant ainsi, et je le regrette, une véritable occasion de lancer ce débat ; d’où le statu quo de ces dernières années.

Aujourd’hui, nous voyons que nos partenaires européens sont tous mobilisés pour faire évoluer les choses ; le Royaume-Uni lui-même en fait un axe prioritaire de son action à la présidence du G8.

Il est donc temps de définir une démarche commune au sein de l’Europe, mais également dans l’OCDE, pour établir une nouvelle définition de l’établissement stable. Les États-Unis eux-mêmes sont engagés dans la démarche BEPS, c’est-à-dire « érosion des bases et déplacement des profits », de l’OCDE pour mettre fin aux stratégies d’évasion fiscale dont ils souffrent également. Nous soutiendrons cette démarche activement. L’OCDE présentera son programme d’action dans le cadre du G20 qui se tiendra les 14 et 15 février prochain.

En matière de TVA, la France exigera de ses partenaires au moins un strict respect du calendrier concernant la mise en place du « mini-guichet » européen, qui doit permettre, dès 2015, de taxer la consommation de services en ligne dans l’État du consommateur.

Nous examinerons de quelle manière nous pourrons éventuellement peser sur une amélioration de ces perspectives et une accélération du calendrier, cette dernière se heurtant néanmoins à des objections de nature technique qui me paraissent valables. Nous nous engageons à envisager ce que nous pouvons faire dans ce domaine.

Ces deux axes sont absolument prioritaires. Tout projet de taxe sectorielle pour financer tel ou tel segment de l’économie ne nous paraît pas un bon moyen d’asseoir la crédibilité de la France auprès de ses partenaires européens.

Au-delà de l’intense campagne de conviction et d’influence que le Gouvernement entend mener sur la scène européenne et internationale, notre intention est d’expertiser toutes les voies de taxation qui sont aujourd’hui évoquées, et pas seulement dans cette proposition de loi. Je veux parler, notamment, de la taxe sur les données personnelles que le rapport Collin et Colin nous invite à créer, de la taxe au clic, de la rémunération de l’usage de bandes passantes.

Le Conseil national du numérique sera l’organe de concertation sur ces sujets. Je l’ai déjà, cette semaine, saisi des propositions du rapport Collin et Colin et des perspectives que j’ai évoquées.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il me semblait important de vous restituer, à l’occasion de la discussion de la présente proposition de loi, l’ambition gouvernementale sur un sujet qui renvoie à la place de la France dans la compétition économique mondiale.

En l’état, le Gouvernement vous invitera à voter la motion de renvoi à la commission de la proposition de loi.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Philippe Marini applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean Arthuis.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, je tiens en premier lieu à saluer la belle initiative et l’opiniâtreté de notre collègue Philippe Marini. Celui-ci a le mérite d’avoir permis l’inscription à l’ordre du jour du Sénat d’une question particulièrement sensible en ce début d’année.

Je remercie M. le rapporteur et MM. les rapporteurs pour avis de l’éclairage qu’ils viennent de nous donner. Je remercie également Mme la ministre des précisions qu’elle a apportées et les engagements qu’elle a pris devant le Sénat.

L’annonce récente de la fermeture du Virgin Megastore des Champs-Élysées, avec le plan social qui l’accompagne, est le signal brutal d’un bouleversement qui n’avance plus masqué et qui n’est pas assimilable à la seule crise économique que nous traversons.

Le numérique est, avec la finance, l’une des expressions les plus achevées et les plus abouties de la globalisation. En moins de vingt ans, ce sont toutes nos habitudes de consommation, d’accès aux biens culturels notamment, qui ont été bouleversées par la dématérialisation et la généralisation de la vente à distance.

Je ne cesserai de le dire, mes chers collègues, la mondialisation remet en cause des pans entiers de nos législations. En l’occurrence, le numérique est un défi majeur lancé à tous les États. Quelle que soit la rive de l’Atlantique ou du Pacifique concernée, l’activité de grandes firmes internationales, comme Google ou Amazon, interroge, et c’est peu dire, les Trésors publics des États et remet en cause la forme même de la territorialité de l’impôt.

À ce point du débat, un constat simple et élémentaire s’impose. Dans une économie globalisée, il est absurde de taxer la production. L’absurdité confine parfois même au suicidaire. Taxer sans relâche la production, c’est inciter purement et simplement aux délocalisations, à l’asphyxie de l’activité économique et, plus précisément, à la désindustrialisation.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

La France en fait amèrement l’expérience. Notre ratio « valeur ajoutée industrielle dans la valeur ajoutée totale » est tombé à 12, 55 %, nous plaçant juste devant Chypre et le Luxembourg parmi les dix-sept pays de la zone euro, contre plus de 26 % en Allemagne. Cessons donc, mes chers collègues, de taxer la production et taxons enfin ce qui est réellement imposable dans le cadre de nos frontières : les produits !

Je suis très réservé sur l’instauration de nouvelles taxes, car elles créeront de la complexité et ouvrir des voies à l’optimisation et à la fraude. À mes yeux, un seul impôt est adapté à cette fin : la TVA. Elle seule peut assurer aux États la conservation de leurs ressources et aux marchés la garantie de leur bon fonctionnement au regard des règles de concurrence et des exigences de compétitivité. Or, je ne peux que regretter que cette question de la TVA soit à ce point emblématique des incohérences européennes en matière de fiscalité du numérique, qu’elle soit à ce point révélatrice de nos contradictions et de nos frilosités sur le plan national !

En l’état actuel de la législation européenne, il est patent que les ventes à distances posent problème. Tout opérateur dont les ventes annuelles dans un pays autre que le sien n’excèdent pas 100 000 euros peut facturer la TVA au taux de son pays et en verser le montant au Trésor de son pays. Il est commode de le rappeler lorsque nous sommes interpelés dans l’une ou l’autre de nos assemblées. Néanmoins, mes chers collègues, le respect de ce plafond est invérifiable !

Cette tartuferie profite amplement au Luxembourg. Au surplus, le Grand-Duché a obtenu une dérogation pour les transactions immatérielles : musique, téléphonie, plateforme de vente aux enchères. Il va ainsi pouvoir exercer un véritable dumping fiscal jusqu’en 2019, au détriment de ses partenaires européens.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Au Luxembourg, je le rappelle, le taux normal de TVA est de 15 %. Je ne reviens pas sur les subtilités de l’assiette de la TVA sur le livre numérique telle qu’elle est pratiquée par ce pays.

Le régime actuellement applicable confère au Luxembourg des dérogations totalement injustifiées. Dans le même registre, l’Irlande pratique un taux d’imposition des bénéfices des sociétés étonnamment faible, 12, 5 %, contre une moyenne européenne supérieure à 30 %. L’Irlande, en difficulté budgétaire du fait de ce dumping, de cette pratique déloyale, n’hésitera pas à faire appel à l’Union européenne pour assurer l’équilibre de son budget !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Dans une telle guerre fiscale de chacun contre tous, il nous tarde de voir la directive de 2008 définissant les modalités du remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée, ou directive TVA, entrer en vigueur de manière à assoir la perception de la TVA selon le barème du pays du consommateur, l’impôt étant perçu par l’État de résidence du consommateur et non plus celui du seul opérateur, au profit de l’État de domiciliation de l’opérateur.

Évidemment, une fraction du produit de la TVA devra être allouée aux collectivités territoriales. Le commerce en ligne est un défi à la territorialisation de l’impôt. Nous devons donc concevoir un mécanisme équitable de répartition entre les États, les administrations locales et sans doute aussi des institutions culturelles.

Aussi, mes chers collègues, je veux profiter de ce débat pour dénoncer l’incohérence et l’inconséquence de la Commission européenne et du Conseil européen sur ces questions. Il est inadmissible de menacer la solidarité des États membres en les assujettissant ainsi à des règles qui mettent en péril les budgets nationaux, au seul profit des optimisateurs en tout genre, sans doute aussi des fraudeurs.

Cette complaisance insupportable est patente sur la TVA comme pour l’impôt sur les sociétés. Tartufferie encore ! Google est l’exemple absolu des pires comportements de passager clandestin de la fiscalité internationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Cette société, filiale irlandaise du groupe américain, profite de son établissement domicilié aux Bermudes, référencé comme un paradis fiscal, pour effacer près de 4, 5 milliards de dollars de son bénéfice déclaré en Europe, plus exactement en Irlande, bénéfice résiduel qui sera ensuite imposé à 12, 5 %. En outre, pour éviter des taxes sur le transfert de siège, elle imagine le passage par les Pays-Bas, qui contribuent complaisamment à ce fameux mécanisme du « double sandwich ».

C’est sans doute en raison de cette capacité à l’indulgence fiscale que les gouvernements de l’Eurogroupe ont désigné le ministre des finances néerlandais à la présidence de celui-ci… Certes, son prédécesseur était le ministre des finances du Luxembourg !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Madame la ministre, je fais grief au Gouvernement de cette indulgence à l’égard d’un ministre qui pratique si spontanément, si promptement la complaisance fiscale et qui devient le complice de Google pour transférer 4, 5 milliards d’euros aux Bermudes.

Ce « double sandwich » nous semble bien indigeste quand on sait qu’une grande part de la renommée et du succès de Google est due à sa position dominante, voire quasi-monopolistique sur le marché des moteurs de recherche en Europe.

Madame la ministre, mes chers collègues, osons le dire, l’absence de régulation européenne nous condamne à la gesticulation. Ce défi doit donc être assumé avec force et détermination par l’Union européenne. Peut-être parviendrons-nous à convaincre certains États membres de cesser de faire cavalier seul, notamment l’Autriche, qui s’apprête à signer avec les États-Unis une convention d’échange d’informations bancaires qu’elle refuse à ses partenaires européens.

L’économie du numérique n’en est qu’à ses balbutiements, et son marché est déjà vicié de monopoles en tout genre, de fraudes insupportables et de distorsions de concurrence tellement impitoyables que nos entreprises et nos PME du numérique sont évincées alors même que les entreprises plus classiques du secteur culturel souffrent : éditeurs, libraires, disquaires au premier chef.

Le mouvement que je viens d’esquisser ne constitue que les prémices d’une lame de fond, qui mettra à rude épreuve nos systèmes fiscaux. L’économie dématérialisée remet purement et simplement en cause le principe de la territorialité de l’impôt, et nous ne pouvons pas nous contenter de jeter un voile pudique sur cet enjeu majeur des décennies à venir.

De nombreux travaux sont en cours et bien d’autres questions restent en suspens. L’OCDE a créé en son sein un groupe de travail depuis 1999, mais celui-ci est assez peu fertile, tant nous sommes impatients de connaître ses propositions.

La mission demandée par le Gouvernement à Pierre Collin et Nicolas Colin a rendu des conclusions intéressantes, notamment en matière d’exploitation des données personnelles, mais elle peine encore, je le crois, à prendre la réelle mesure de la porosité de nos assiettes aux vagues de la mondialisation.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Enfin, je tiens à saluer l’engagement de nos collègues de la commission des affaires culturelles, plus particulièrement de Catherine Morin-Desailly.

L’Europe est le cadre naturel dans lequel ces questions doivent être résolues. Elle seule dispose de marchés numériques de taille suffisamment critique pour contraindre les entreprises telles que Google, Facebook ou encore Amazon à revenir à la table des négociations et à accepter une bonne fois pour toutes de contribuer, à juste proportion de leurs profits, au financement des politiques publiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

M. Jean Arthuis. Je terminerai en disant que nous nous associerons à la motion tendant au renvoi du texte à la commission. Je me permets toutefois d’insister sur un point : il est urgent que nous nous retrouvions, madame la ministre, pour constater les avancées de la fiscalité numérique effective.

Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier notre collègue et président de la commission des finances, M. Philippe Marini, de sa proposition de loi et de tous les travaux préalables et rapports qu’il a produits en amont sur l’économie numérique et sur sa fiscalité.

Au-delà des clivages politiques qui peuvent exister au sein de notre assemblée, il est bon de souligner l’importance et la qualité du travail qui a été effectué.

Cette proposition de loi ne nous offre pas seulement l’occasion de débattre de la fiscalité numérique ; elle nous permet également, et plus généralement, de réfléchir à notre capacité à financer, demain, les politiques publiques que nous aurons à mettre en œuvre pour répondre aux défis nouveaux qui bouleversent notre société et à leurs conséquences tant économiques que sociales.

L’objectif de rétablir une neutralité fiscale en taxant équitablement les géants américains de l’internet proportionnellement à leurs chiffres d’affaires en France est régulièrement débattu au Sénat depuis 2010.

La proposition de loi qui vise à introduire une nouvelle taxe sur les revenus publicitaires en ligne via une déclaration d’un représentant fiscal sur le territoire s’inscrit dans cette réflexion.

Elle constitue une piste intéressante pour recouvrer le pouvoir d’imposer des bénéfices qui sont réalisés sur notre territoire par les entreprises de l’économie numérique.

Elle est positive en ce qu’elle rééquilibre un peu la situation non concurrentielle des entreprises françaises victimes des stratégies d’optimisation fiscale des groupes Google, Amazon, Facebook, Apple – ceux que l’on appelle les GAFA –, du fait de l’établissement de leur siège social dans des pays européens pratiquant une forme de dumping fiscal.

Elle est également pertinente dans la mesure où elle affecte les taxes prélevées sur le budget général de l’État, et non sur un secteur particulier de l’économie, ce qui permet d’augmenter nos marges pour financer l’ensemble des politiques publiques que nous devons mettre en œuvre face à des mutations qui ont des effets sur notre économie et nos équilibres sociaux bien au-delà du seul domaine des industries culturelles.

Toutefois, elle n’est malheureusement, à notre sens, que trop partielle du fait qu’elle n’explore qu’une partie de l’économie numérique, en ciblant essentiellement les GAFA et en laissant de côté toutes les autres entreprises qui collectent des données personnelles ou agrègent des contenus produits par d’autres pour les redistribuer et les commercialiser à leur compte. Cela contribue à réduire considérablement l’assiette de l’impôt qui devrait normalement être prélevé et rend malheureusement assez marginale la ressource que devrait générer la fiscalité du numérique au regard de la fiscalité globale.

De ce point de vue, le rapport sur la fiscalité de l’économie numérique, remis au Gouvernement le 18 janvier dernier, apporte de nouvelles pistes pour élargir l’assiette fiscale dans ce domaine.

Le groupe écologiste estime donc indispensable de se donner le temps nécessaire pour étudier avec attention les conclusions du rapport de MM. Collin et Colin.

À cet égard, permettez-moi de souligner l’intérêt du dispositif d’incitation fiscale qui privilégie les bonnes pratiques en matière de protection des données personnelles. L’application du principe « prédateur-payeur » en matière de protection des libertés individuelles, telle qu’elle est préconisée par le rapport, s’inspire fort justement du dispositif « pollueur-payeur », qui sous-tend la fiscalité environnementale ; il s'agit d’une piste très intéressante.

Par conséquent, le groupe écologiste s’associera à la motion tendant au renvoi à la commission du texte, tout en insistant sur la nécessité d’instaurer, à un terme très rapproché, une régulation fiscale du secteur de l’économie numérique.

Au-delà de l’urgence qu’il y a à circonscrire l’optimisation fiscale massive des géants de l’industrie numérique, j’aimerais également souligner que nous ne pourrons pas nous dispenser, à moyen terme, d’appréhender plus généralement l’ampleur des mutations qui bouleversent nos sociétés en ce domaine.

Notre économie connaît depuis vingt ans une transformation rapide et profonde, mais la fiscalité qui s’y attache demeure, elle, très largement fondée sur les structures qui prévalaient dans l’économie d’hier.

Pour résumer, nous dirions que notre fiscalité reste encore très largement inscrite dans le cadre national d’une production matérielle et territorialisée, fondée sur une logique de stock, avec pour horizon l’idée d’une croissance illimitée se refusant à intégrer dans ses coûts les externalités négatives qui résultent de la surexploitation des richesses naturelles, de l’accaparement et de la privatisation de plus en plus systématique du bien commun.

Or la réalité d’aujourd’hui, c’est que notre économie évolue dans un cadre de plus en plus mondialisé, déterritorialisé, où les biens produits sont de plus en plus immatériels, où les relations humaines et les échanges commerciaux sont de plus en plus dématérialisés, où la frontière entre production et consommation devient de plus en plus difficile à établir, où la création de valeur et de richesse est toujours davantage déconnectée des actifs physiques et se fonde de plus en plus sur des logiques de flux et non plus de stocks, enfin où la destruction de notre environnement local et global, ainsi que la surexploitation des ressources naturelles de la planète, ont désormais des impacts considérables en termes de coûts immédiats sur l’économie et dans nos comptes publics.

On le voit, pour faire face à ces mutations profondes, c’est l’architecture globale de notre fiscalité que nous devons repenser.

Pour les écologistes, répondre à ces trois grands défis majeurs que sont la mondialisation économique et financière, la révolution numérique et l’impératif de transition écologique de notre économie suppose de mettre en place et de développer trois types de fiscalités nouvelles pour abonder nos moyens d’intervention, de régulation et d’accompagnement des changements qui s’opèrent dans notre société.

L’instauration d’une fiscalité numérique est l’un de ces trois piliers indispensables. Néanmoins, celle-ci doit aussi être compatible avec deux autres grandes initiatives en matière fiscale.

La première, c’est naturellement l’instauration rapide d’une véritable fiscalité écologique dans notre pays. Le Président de la République et le Gouvernement ont pris des engagements en ce sens, …

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

… mais le retard à combler est énorme, car notre pays figure actuellement dans les derniers rangs des États de l’Union européenne en la matière.

La seconde concerne la taxation des flux financiers à l’échelle nationale et internationale. Monsieur Marini, cela fait quinze ans que les écologistes soutiennent le principe d’une telle taxe, et le consensus politique qui semble aujourd’hui émerger en France sur cette question ne peut que nous satisfaire.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Toutefois, avouons-le, les assiettes fiscales actuellement retenues en la matière sont encore bien trop étroites pour donner aux pouvoirs publics les ressources nécessaires pour compenser les coûts économiques et sociaux induits par la mondialisation financière.

Pour conclure, je dirai que nous avons, dans les trois domaines que je viens d’évoquer, d’importants efforts à accomplir. Nous devons être très ambitieux en matière de contrôle, de taxation et de régulation des flux financiers comme en matière de fiscalité tant écologique que numérique.

Pour le dire très concrètement, je ne vois pas comment l’État pourrait raisonnablement faire face à tous les défis auxquels nous sommes confrontés si l’ensemble de ces trois domaines de fiscalité nouvelle ne correspondait pas, à horizon de dix ans, à au moins 15 % de ses recettes budgétaires.

M. Jean-Pierre Plancade applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Le Scouarnec

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, l’optimisation fiscale est au cœur de la stratégie de développement des grandes entreprises du Net, Google, Amazon, Facebook, etc.

Leur activité dématérialisée leur permet de développer des pratiques scandaleuses, notamment en s’installant dans des pays à fiscalité très allégée comme le Luxembourg, l’Irlande ou les Bermudes. Ces entreprises élaborent alors des montages fiscaux complexes pour échapper définitivement à tout impôt.

Il existe donc une véritable fuite des recettes fiscales liées à l’impôt sur les sociétés. Quand on sait que l’évasion fiscale annuelle a été évaluée, pour la France, à 50 milliards d’euros, il est temps de s’emparer de cette question.

Le Conseil national du numérique estime ainsi que les revenus des quatre grands acteurs du numérique oscillent entre 2, 5 milliards et 3 milliards d’euros par an. Or ceux-ci s’acquittent seulement de 4 millions d’euros par an d’impôt sur les sociétés, alors que, au regard du régime français, ils seraient redevables de 500 millions d’euros, soit 125 fois plus. Il est rare de pouvoir appliquer un tel coefficient multiplicateur !

La fiscalité se heurte donc à la révolution numérique. Dès lors, l’évolution technologique suscite des interrogations sur la territorialité des bénéfices et sur l’érosion des bases fiscales, fondée sur un plan international et européen.

À services égaux, les sociétés numériques échappent à l’impôt sur les sociétés, mais aussi à la TVA. Techniquement différentes, elles remplissent une même fonction, ce qui remet doublement en cause l’équité fiscale.

La publicité est taxée sur les médias télévisuels et radiophoniques, mais pas sur internet. Les surfaces commerciales sont soumises à la TASCOM, mais le commerce en ligne n’est assujetti à aucune taxe équivalente.

La perte concernant la TVA est évaluée à 300 millions d’euros pour 2008 en France, mais elle serait, selon une étude du cabinet Greenwich consulting, de 600 millions d’euros en 2014.

Une réflexion a donc été engagée concernant la TVA sur les services électroniques et de télécommunication en Europe. Elle est actuellement perçue en fonction du lieu où le prestataire est établi. À partir de 2015, en Europe, elle sera due au pays du consommateur final, même si, entre 2015 et 2019, un régime transitoire permettra au pays du prestataire de continuer à en percevoir une part.

Forte de ces constats, la présente proposition de loi entend lutter contre l’évasion fiscale des principaux géants d’internet, objectif auquel nous souscrivons pleinement. À cette fin, elle avance des pistes intéressantes.

Elle tend à créer un régime d’obligation de déclaration d’activité des acteurs de services en ligne qui ne sont pas établis en France. Ce régime s’appliquerait aux revenus de la publicité en ligne, du commerce électronique et de la vidéo à la demande.

Ce régime de déclaration sert à asseoir des taxes visant à rétablir l’équité fiscale : c’est bien notre objectif commun.

À cette fin, diverses impositions sont prévues : taxe sur la publicité en ligne assise sur les sommes payées par les annonceurs aux régies, pour les services dont l’audience est établie en France, quel que soit leur pays d’implantation ; taxe sur les services de commerce électronique due par les vendeurs qui effectuent une vente à destination d’un particulier établi en France dans le cas où le chiffre d’affaires est au moins égal à 460 000 euros ; extension de la taxe sur la fourniture de vidéogrammes à la demande, la VOD, aux entreprises établies hors de France.

Si nous soutenons ces impositions dans leur principe, nous nous interrogeons quant à leur montant. À nos yeux, le rendement de ces taxes est en effet insuffisant. Il est estimé à 20 millions d’euros au maximum pour la publicité et à 32 millions d’euros pour la VOD. Seul le produit de la taxe sur le commerce en ligne pourrait atteindre 100 millions d’euros en 2013 et 175 millions d’euros en 2015. Néanmoins, nous restons loin des 500 millions d’euros qu’évoque le Conseil national du numérique !

Comment ces taxes ont-elles été calibrées ? Selon quels critères ? Le taux et l’assiette méritent débat. Sur ce sujet également, il convient de choisir le bon coefficient multiplicateur. Yves Rome a insisté sur les besoins de la France en matière de haut débit, …

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Le Scouarnec

… qui recouvrent notamment des besoins en matière de culture.

Ceux que je me permettrai de nommer, pour aller vite, les « carrément Col[l]in »

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Le Scouarnec

Sans préjuger la pertinence ou l’efficacité de cette mesure, la réflexion en matière de fiscalité numérique mérite encore d’être approfondie. On ne peut faire l’économie d’aucune piste tant l’enjeu est énorme, comme l’a souligné Bruno Retailleau il y a quelques instants.

Tout en saluant les réflexions amorcées par la présente proposition de loi, il nous semble prématuré de porter un jugement définitif sur leur applicabilité, comme sur celle du rapport de la mission d’expertise. Aussi, il nous paraît nécessaire de prolonger l’étude engagée, afin d’envisager ces problématiques de la manière la plus globale et la plus adaptée possible.

Madame la ministre, concernant la fiscalité numérique, vous avez affirmé qu’il fallait cesser de centrer le débat sur les problématiques culturelles. Je crois, au contraire, que la force d’une loi en la matière résiderait dans sa capacité à aborder le sujet dans sa globalité, sans le segmenter entre fiscalité, contenus culturels et « tuyaux » techniques, comme nous avons l’habitude de le faire.

De fait, ces différentes problématiques constituent un ensemble cohérent sur lequel s’appuient et fonctionnent les grandes entreprises de l’internet, qui exploitent chaque faille.

La loi doit aborder la question du financement de la culture sur le Web, du respect des droits d’auteur, de la récupération et de la captation de la valeur des œuvres, notamment par Google, et ce sans contrepartie financière. Elle doit évoquer les problèmes d’utilisation des articles de presse dans les mêmes conditions et envisager la possibilité d’instaurer un droit voisin du droit d’auteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Le Scouarnec

Elle devrait traiter la question de l’utilisation des données personnelles comme source de profit, non seulement par l’institution d’une taxe sanction, comme le prévoit le rapport Collin et Colin, mais par une véritable réglementation de ses usages.

Enfin, placée au cœur de l’actualité avec le récent blocage des publicités par Free, la question de la neutralité du Net s’impose à nous. Free vise notamment l’entreprise Google, qui utilise les infrastructures des fournisseurs d’accès à internet sans les financer alors qu’elle en est bénéficiaire et utilisatrice, notamment à travers You Tube.

Cette situation n’est pas sans soulever des questions fondamentales, notamment sur le principe de neutralité d’internet, en vertu duquel les communications électroniques ne doivent subir aucune discrimination entre leurs émetteurs et leurs destinataires.

Dans un double souci de justice et d’efficacité, nous souhaitons que cette proposition de loi soit renvoyée à la commission afin qu’elle puisse être enrichie dans ce sens : elle sera ainsi pleinement opérante dès son adoption et, partant, totalement incontournable.

Tous ensemble, nous devons lutter contre l’évasion fiscale pour construire de nouvelles solidarités.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Plancade

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous intéressons aujourd’hui à la fiscalité du numérique, ou plutôt à l’ébauche d’une telle fiscalité, puisque celle-ci reste pour l’heure inexistante. Il s’agit d’un sujet aussi complexe que passionnant, qui dépasse largement les clivages politiques : nos débats, depuis plus d’une heure, l’ont bien montré.

Il s’agit également d’une problématique très transversale, comme l’illustre le nombre de commissions de la Haute Assemblée qui se sont penchées sur cette proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable de notre collègue Philippe Marini, dont je tiens à saluer la très grande expertise sur ce thème.

Monsieur le président de la commission des finances, vous avez été un véritable précurseur concernant la réflexion sur les défis que pose le numérique pour les finances publiques. Vous vous battez depuis plusieurs années pour que ce sujet, sur lequel vous avez accompli un travail important, fasse l’objet d’actions concrètes. C’est dans cette perspective que vous nous présentez aujourd’hui ce texte. Nous souscrivons tous, je le crois, aux objectifs qu’il vise.

Je n’aurai garde d’oublier Jean Arthuis, qui a de longue date fait sienne cette préoccupation générale, même si les solutions qu’il propose sont sensiblement différentes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Plancade

Je remercie Bruno Retailleau, qui a tenu des propos à la fois forts et pertinents, notamment en nous invitant à nous méfier des copier-coller fiscaux. Il nous faudra certainement faire preuve d’inventivité et nous montrer plus productifs.

Yves Rome a tout à fait raison d’évoquer la fracture territoriale. Je tiens à le féliciter pour ses propos. Souvenons-nous que, dans les années soixante, les départements ont apporté l’électricité jusque dans les cours de ferme.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Plancade

À nous de mener le même chantier pour le numérique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Plancade

Quant à Claude Domeizel, il a eu, au nom de la commission de la culture, des mots absolument formidables. Force est de reconnaître que nos collègues de la commission des finances, qui s’expriment naturellement en experts, ont parfois tendance à occulter les enjeux culturels. Mon cher collègue, il était donc bon de rappeler cette dimension du sujet, qui plus est dans les termes que vous avez choisis.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Plancade

Le numérique est parfois considéré comme une menace. Les rapporteurs de la mission d’expertise lancée par le Gouvernement en juillet dernier, MM. Pierre Collin et Nicolas Colin, qui viennent de remettre leur rapport, parlent à cet égard d’une « économie numérique vorace » qui « s’attaquera » demain à tous les secteurs. C’est bien vrai !

Certes, le numérique bouscule complètement notre système d’imposition et constitue un véritable défi pour notre droit fiscal, qui est totalement inadapté aux spécificités de la netéconomie. Mais il est en même temps porteur de croissance et d’emplois : à ce titre, il constitue bien une chance.

Il n’en reste pas moins que les stratégies fiscales des entreprises de ce secteur, et plus particulièrement des Big Four, également désignés par l’acronyme GAFA, ont totalement remis en cause les conditions de perception qui prévalaient jusqu’à présent pour des prélèvements comme l’impôt sur les sociétés ou la TVA.

Les stratégies déployées par ces grandes sociétés pour échapper à l’impôt, ou du moins pour en réduire considérablement le montant, sont d’une grande variété : localisation des sièges sociaux dans des pays à fiscalité basse – eBay en Suisse, Amazon au Luxembourg, Google en Irlande –, utilisation des prix de transfert, versements de royalties sur la propriété intellectuelle, etc. Ces méthodes sont choquantes, surtout au regard des bénéfices dégagés par ces mêmes sociétés.

Ainsi, Google qui vient de publier un chiffre d’affaires en hausse de 32 %, dépassant les 50 milliards de dollars, soit environ 37 milliards d’euros, paierait 5 millions d’euros d’impôt sur les sociétés.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Plancade

Ces chiffres ne sont pas surprenants lorsqu’on connaît la stratégie d’optimisation fiscale de cette entreprise, qui commence à Dublin pour se terminer aux Bermudes. M. Arthuis a exposé ce mécanisme avec grand soin et je l’en remercie.

Si l’on retrouve, en examinant la situation de ces entreprises, des pratiques classiques d’évasion et d’optimisation fiscales, communes à d’autres secteurs de l’économie, les enjeux et les difficultés sont démultipliés dans le cas de l’économie numérique, notamment à cause de la dématérialisation.

Notre droit fiscal doit donc développer d’urgence de nouveaux instruments pour appréhender l’économie numérique, qui lui échappe totalement à l’heure actuelle. C’est tout l’enjeu de la proposition de loi de Philippe Marini. Je le répète, ce texte a le mérite d’exister. Toutefois, comme l’a souligné Yvon Collin, il risque de ne pas atteindre son objectif. Il pourrait même, dans certains cas, avoir des effets contraires aux buts visés.

Ainsi, les deux impositions que la proposition de loi tend à créer – la taxe sur la publicité en ligne et la taxe sur les services de commerce électronique, la TASCOE –, plutôt que de renforcer la neutralité de la taxation par rapport à la technologie et l’équité fiscale entre opérateurs français et étrangers, risqueraient de peser essentiellement sur les acteurs nationaux et, partant, de les pénaliser.

Quant au volet non fiscal de la proposition de loi – l’obligation de déclaration d’activité par les entreprises de services en ligne au-delà de certains seuils d’activité –, il pose des difficultés pratiques de mise en œuvre, également soulignées par les différents rapporteurs.

Enfin, Mme la ministre l’a annoncé, le Gouvernement explore actuellement différentes pistes pour adapter notre système fiscal à l’économie numérique et parvenir à rétablir la justice en faisant contribuer les grandes entreprises de ce marché que sont les GAFA sans pénaliser les petits acteurs français ou européens, qui ont besoin de se développer. Je la remercie, à cet égard, des propos équilibrés et prospectifs qu’elle a tenus.

Bien sûr, la globalisation, associée à la dématérialisation – caractéristique de l’économie numérique –, rend nécessaires des solutions à l’échelle européenne et internationale. Nous pouvons d’ailleurs espérer des avancées en ce sens avec la saisine récente de l’OCDE par l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France sur le projet BEPS, pour lutter contre l’érosion des bases d’imposition et les transferts de bénéfices. La préparation de propositions sur ce sujet, dans la perspective du prochain G20, va également dans ce sens.

Toutefois, les possibles avancées au niveau international n’empêcheront pas, comme pour la taxe sur les transactions financières, la France d’être éventuellement conduite à mettre en place, dans un premier temps au niveau national, un certain nombre de mesures qui serviront ensuite d’exemple et de base pour une réflexion internationale sur la fiscalité numérique.

Dans cette perspective, le groupe du RDSE souscrit à l’analyse du rapporteur et votera donc la motion de renvoi à la commission qu’il a déposée, afin de permettre au Gouvernement de présenter prochainement des propositions concrètes qui viendront, je n’en doute pas, enrichir, améliorer et compléter celles de notre collègue Philippe Marini. §

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi s’inscrit dans une démarche et une réflexion engagées depuis 2009 par son auteur, au sein de la commission des finances. Naturellement, notre groupe tient à saluer la persévérance de Philippe Marini et la qualité de son travail, ainsi que celle des travaux que la Haute Assemblée consacre aujourd’hui à ce sujet sensible et complexe.

Le présent texte se fonde sur le constat suivant : les quatre grandes multinationales de services en ligne et de commerce électronique surnommées GAFA, installées en Irlande ou au Luxembourg, échappent à presque toute taxation de leurs bénéfices en France. Pour ces entreprises, l’optimisation fiscale est simple : elle revient avant tout à ignorer toute dimension territoriale de l’impôt. Cette pratique est d’autant plus regrettable qu’une partie non négligeable de leurs bénéfices mondiaux, qui atteignent des records, sont réalisés en Europe, notamment en France.

Normalement, à de nouvelles assiettes qui, au demeurant, en vident d’autres, correspondent de nouvelles taxations. Chaque année, Google réalise 100 milliards d’euros de chiffre d’affaires à travers le monde et 10 milliards d’euros de bénéfices. Or cette entreprise n’acquitte en France qu’un montant marginal d’imposition !

Au surplus, ces chiffres traduisent une position dominante, avec les abus qui en découlent, et cela a des conséquences logiques sur le marché. Ainsi, l’été dernier, le changement de l’algorithme Google a subitement provoqué l’éviction de quelques PME, notamment françaises, d’internet.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

La taxation de ces bénéfices pourrait rapporter près d’un demi-milliard d’euros au budget de la France, ce qui n’est pas anodin !

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui entend ouvrir des pistes qui permettraient d’assujettir fiscalement les GAFA en France.

Sous l’impulsion du président de la commission des finances, un amendement avait déjà été adopté dans le cadre de la loi de finances pour 2011. Cette disposition instaurait un dispositif dit « taxe Google », visant simplement à taxer la publicité en ligne. La taxe Google, qui devait entrer en vigueur le 1er juillet 2011, a été abrogée dans le collectif budgétaire discuté au mois de juin de la même année, car elle semblait mal calibrée pour atteindre sa cible. Faute de seuil, elle aurait du reste touché quelques PME françaises.

Un second amendement de Philippe Marini fut adopté par la commission des finances dans le projet de loi de finances pour 2011. Il proposait une taxe sur l’achat des services de commerce électronique, dite TASCOE, s’inspirant de la taxe sur les surfaces commerciales, la TASCOM. Il s’agissait d’un prélèvement de 0, 5 % sur le montant des dépenses engagées pour l’achat de biens ou services effectué au moyen d’une communication électronique.

Cet amendement fut retiré en séance à la suite de l’engagement du gouvernement de l’époque d’engager une réflexion globale. Nous y sommes !

C’est dans un contexte où étaient dépassées les frontières partisanes que le nouveau gouvernement a confié à un conseiller d’État et à un inspecteur des finances une mission d’expertise sur la fiscalité numérique ; leur rapport a été publié le 18 janvier dernier.

Ce rapport cerne parfaitement les enjeux du numérique et indique que nous ne sommes qu’au début d’une véritable révolution, qui sera facteur de transformation de toute l’économie. Il préconise donc une fiscalité neutre et équitable. À cette fin, il ouvre de nouvelles pistes de fiscalisation, notamment par une taxation qui serait fonction du comportement des acteurs numériques, plus précisément de leur manière de collecter les données et de les utiliser. C’est ce que les économistes et vous-même, cher Bruno Retailleau, appelez l’« externalité positive ».

Dans cette optique d’avancée de la réflexion sur la fiscalité numérique, Philippe Marini a déposé sa proposition de loi suggérant la mise en place d’une taxe s’inspirant notamment des dispositifs de taxation de la publicité en ligne, mais bénéficiant d’un meilleur calibrage.

Cette nouvelle taxe sur la publicité en ligne viserait ainsi désormais non plus les annonceurs mais les régies de publicité, établies en France comme à l’étranger, et introduirait un dispositif de seuils : un taux de 0, 5 % s’appliquerait à partir de 20 millions d’euros de chiffre d’affaires, taux qui passerait à 1 % au-delà de 250 millions d’euros.

Cette taxe pourrait ainsi s’appliquer au milliard d’euros de chiffre d’affaires dégagé sur le marché français par Google, dont les commerciaux distribuant la publicité dans notre pays sont basés en Irlande.

La TASCOE, quant à elle, s’appliquerait au vendeur professionnel au consommateur final et non plus, comme le prévoyait le dispositif envisagé dans le projet de loi de finances pour 2011, aux activités de commerce électronique entre professionnels.

S’il apparaît que le rendement de la taxe sur la publicité devrait être symbolique, se situant autour de 20 millions d’euros, la TASCOE pourrait procurer 200 millions d’euros de recettes en 2013 et 300 millions en 2015.

Dans les deux cas, les redevables de ces taxes, qu’ils soient basés en France ou à l’étranger, seraient soumis à une obligation de déclaration d’activité. Il s’agit de s’inspirer du modèle procédural de l’agrément accordé aux sites de paris en ligne, tout en respectant les principes de non-discrimination et de proportionnalité.

La proposition de loi prévoit également d’étendre aux acteurs étrangers de l’internet établis en France et à l’étranger la taxe actuelle sur la fourniture de vidéogrammes à la demande, afin de rétablir une forme d’équité fiscale.

Sur proposition de son excellent rapporteur, Yvon Collin, la commission des finances a voté à l’unanimité, le 23 janvier dernier, une motion de renvoi en commission. Le groupe UMP se rallie à cette position et votera cette motion afin de permettre à la proposition de loi de notre collègue de prospérer. Nous comptons sur tous les acteurs ici présents pour que les différentes inspirations qui ont guidé sa démarche figurent dans le texte final.

Madame la ministre, vous vous êtes engagée devant la commission des finances à ce que vos services poursuivent ce chantier, de manière à aboutir cet été à un texte inscrivant la démarche de la France dans le cadre des travaux mis en œuvre actuellement par l’OCDE et l’Union européenne.

À titre personnel, je crois beaucoup à l’instrument mis en place par l’OCDE. Lors des auditions menées dans le cadre de la commission d’enquête sur l’évaporation fiscale, ou plus exactement sur l’évasion des capitaux, nos interlocuteurs de l’OCDE nous sont apparus parfaitement au fait des sujets qui nous préoccupent. L’OCDE a déjà obtenu d’une trentaine de pays, dont les plus importants, qu’ils procèdent entre eux, sous son contrôle, à des échanges d’informations fiscales. C’est par ces échanges d’informations, plutôt que par des conventions, que nous pourrons régler le problème, au moins en partie.

Le prochain G20 sera également l’occasion d’avancer sur ce dossier.

Nous comptons sur vous, madame la ministre, pour respecter les engagements que vous avez pris.

S’agissant de l’assujettissement des GAFA à la TVA, nous partageons l’avis de notre collègue Jean Arthuis, qui y voit le socle principal de la fiscalité à leur appliquer, mais cela ne vaudra qu’à partir de 2015, c'est-à-dire quand la TVA, au sein de l’Union européenne, sera facturée dans le pays du consommateur.

Le groupe UMP soutient donc la démarche de la présente proposition de loi, non seulement parce que les recettes fiscales escomptées seront particulièrement bienvenues au regard de la situation de nos finances publiques, mais aussi au nom du principe de neutralité et d’équité fiscale.

Ce type de débats fait honneur à la Haute Assemblée. La seule réserve que nous pouvons exprimer concerne le ciblage de la future taxe, qu’il faudra préciser afin de ne pas pénaliser les PME françaises.

Nous considérons cette proposition de loi comme un rendez-vous d’étape avant des décisions concrètes. §

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Botrel

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi relative à la fiscalité numérique, déposée par le président de la commission des finances.

Nous auditionnions la semaine dernière, en commission, MM. Nicolas Colin et Pierre Collin, auteurs du rapport de la mission d’expertise sur la fiscalité de l’économie numérique, commandé par le Gouvernement. L’actualité du sujet est donc évidente.

Ces experts ont insisté sur l’importance fiscale et économique de cette question ainsi que sur l’impact de la révolution numérique, que nous n’avions pas perçu aussi précisément. Le président Marini, quant à lui, signale le fait depuis au moins trois ans – ce fut notamment le cas dans le rapport parlementaire publié en juin dernier. Il a donc été précurseur sur ce sujet, je lui en donne volontiers acte.

De son côté, en nommant une ministre dont l’expertise en ce domaine est indéniable et qui est, de surcroit, complètement vouée au sujet de l’économie numérique, le Président de la République a montré qu’il avait bien pris la mesure des actions stratégiques à mener dans ce domaine.

Dès le 12 juillet 2012, une mission d’expertise a donc été mise en place afin de « dégager des propositions en matière de localisation et d’imposition des bénéfices, du chiffre d’affaires, ou, éventuellement, sur d’autres assiettes taxables de l’activité numérique ».

L’action du Gouvernement à l’échelon national a trouvé un prolongement international lorsque, en novembre dernier, la France s’est associée à la saisine de l’OCDE sur la question de la territorialité des activités numériques. La Commission européenne a également été saisie afin de définir une approche européenne de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales dans le domaine de l’économie numérique. Cette question est donc aujourd’hui l’objet d’un intérêt général en Europe.

De la même manière, un consensus existe dans notre assemblée pour agir dans cette direction.

Sur le plan économique, la proposition de loi met en évidence la captation des marges des entreprises de production par les entreprises de services de l’économie numérique. Les propos de la ministre vont également dans ce sens.

Sur le plan fiscal, ces entreprises numériques se distinguent par un faible niveau d’imposition. Mettant en œuvre une stratégie d’optimisation, elles échappent à l’impôt dans les pays où elles réalisent leurs affaires et dégagent des bénéfices considérables et en perpétuelle expansion. Le quotidien Le Monde a publiéhier un article très éclairant à ce sujet, qui concernait Amazon.

Dans un souci d’équité fiscale, y compris à l’égard de nos propres entreprises, cela doit être combattu.

Toutefois, les rapporteurs soulignent combien il est difficile d’appréhender l’activité de ces entreprises pour définir précisément les bases d’imposition, tant la nature de cette activité est atypique en regard de ce qui existe.

Le rapport sur l’économie numérique précise d’ailleurs que « le droit fiscal, tant national qu’international, peine à s’adapter à la révolution numérique ». Dès lors, notre réponse doit prendre toutes les précautions et s’assurer du contexte européen. En un mot, nous devons agir sans précipitation, mais avec détermination et méthode, afin de garantir la sécurité du résultat, qui ne devra donner lieu à aucune espèce de contestation.

La proposition de loi et le rapport poursuivent donc un but identique, mais envisagent, il est vrai, des moyens différents. Le rapport préconise une fiscalité liée à l’exploitation des données issues du suivi des utilisateurs sur le territoire national. Ses auteurs estiment qu’à terme, d’ailleurs, l’impôt sur les sociétés serait l’outil le plus adapté, pourvu que l’on parvienne à ajuster précisément la notion d’établissement stable aux spécificités de l’économie numérique.

La proposition de loi, quant à elle, envisage deux taxes : l’une sur le commerce en ligne, l’autre sur la publicité en ligne, ainsi que l’extension aux opérateurs étrangers de la taxe relative à la vidéo à la demande. Ces réponses sont donc de nature différente.

Le Gouvernement a commandé un rapport sur l’économie numérique. Il a commencé à l’étudier et à réfléchir aux propositions qui vont en découler. Dès lors, il importe de lui laisser un délai raisonnable pour se prononcer. Nous devons également tenir compte des discussions engagées au niveau international et, en particulier, des observations qui seront formulées par le G20 « finances » sur la base d’un premier rapport de l’OCDE.

Mme la ministre s’est engagée avec clarté et netteté à ce que la fiscalité numérique soit un objectif prioritaire pour le Gouvernement. C’est pourquoi, au nom du groupe socialiste, je me rallie à la proposition du rapporteur d’adopter une motion de renvoi en commission de ce texte. Il s’agit, tout en saluant le travail accompli par notre collègue Philippe Marini, de ménager au Parlement comme au Gouvernement le temps nécessaire pour étudier des solutions, notamment celle d’une taxation de la collecte et de l’exploitation des données, cela dans le souci de la sécurité juridique de la démarche.

Telle est la position, qui me semble équilibrée, à laquelle est parvenu le groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

La suite de la discussion de la proposition de loi est renvoyée à la séance du 28 février 2013.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de Mme Bariza Khiari.