Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans son discours de clôture de la conférence contre la pauvreté, M. le Premier ministre a dressé, mardi 11 novembre dernier, un diagnostic réaliste et sans appel de la pauvreté en France, un diagnostic que, je crois, nous sommes nombreux à partager, quel que soit le côté de l’hémicycle où nous siégeons.
Le débat auquel nous invite cette proposition de loi visant à autoriser le cumul de l’allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus professionnels repose sur un constat irréfutable : à l’âge de la retraite, de plus en plus de Français sont obligés de reprendre une activité salariée. Le débat est donc légitime.
Selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, plus de 500 000 retraités, sur un total de 15 millions, travaillent tout en percevant une pension. Ce chiffre a presque triplé en moins de six ans, passant de 120 000 en 2005 à 310 000 en 2011. Une telle situation est alarmante en raison de tout ce qu’elle traduit.
Cette augmentation peut être en partie attribuée à la crise mais en partie également à la politique libérale menée depuis plusieurs années dans notre pays, laquelle va à l’encontre des politiques sociales. Ces dernières se doivent de combattre, mais aussi de prévenir, la pauvreté.
Ainsi, à l’âge de la retraite, certains seniors se trouvent dans la plus grande des précarités, souvent après un parcours de vie déjà difficile et chaotique.
Ces derniers mois, nous avons à juste titre beaucoup parlé des jeunes et de leurs difficultés à se former ou à s’insérer dans le marché du travail. La semaine prochaine, lors de la discussion sur les contrats de génération, nous parlerons des seniors. Mais n’oublions pas les retraités, car, avec les jeunes, ce sont eux qui sont les plus exposés !
Plus de 10 % des retraités – majoritairement des femmes vivant seules – perçoivent une pension inférieure à 600 euros par mois, bien en dessous du seuil de pauvreté. À la fin de l’année 2010, 576 300 personnes étaient bénéficiaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées et percevaient 709 euros par mois. Près des deux tiers de ces personnes étaient des femmes, pénalisées parce qu’elles n’avaient pas suffisamment cotisé durant leur vie professionnelle.
Les retraités représentent aujourd’hui 15 % des personnes venant solliciter auprès des organisations caritatives, une aide alimentaire ou un soutien financier pour régler un loyer, une facture d’électricité, de gaz ou de frais médicaux.
Maire d’une collectivité de 14 000 habitants et président du comité communal d’action sociale, le CCAS, j’observe le même phénomène. Il s’agit d’une constatation tout simplement inadmissible, mes chers collègues.
Alors, oui, dans ces conditions, il n’y a rien de surprenant à ce que les seniors soient de plus en plus nombreux à offrir leurs services pour distribuer publicités ou journaux.
Combien de sites spécialisés se sont-ils ainsi créés, sur lesquels on peut trouver toute une panoplie d’offres et de services qui échappent aux chiffres officiels, car ce sont bien souvent des activités non déclarées ?
Dans toute cette panoplie figurent le bricolage, le jardinage, la garde d’enfants, des heures de ménage, tout ce qui tourne autour des aides aux personnes âgées – et c’est d’ailleurs assez paradoxal…
Au travers de toutes ces annonces, ce sont des hommes, des femmes qui connaissent d’importantes difficultés et cherchent malgré tout à conserver une certaine dignité : « À la retraite depuis mars 2011 mais toujours de l’énergie à donner, cherchant des heures de bricolage, car il n’a qu’une très petite retraite », pouvait-on lire dans un quotidien régional de Bretagne ; ou bien encore cette femme qui propose « Petit ménage et repassage, qui lui permettront de trouver un complément de retraite avec le plaisir du contact avec de nouvelles personnes », proposait également une femme .
Ces annonces, ces témoignages se multiplient et reflètent à la fois la paupérisation d’une partie des retraités et leur isolement.
Alors oui, la question de permettre le cumul de l’ASPA avec des revenus professionnels peut sans doute se poser.
Je crois cependant qu’il faut trouver un équilibre afin de répondre aux difficultés de ces seniors et leur permettre de vivre une retraite digne.
Bien entendu, l’autorisation du cumul de l’ASPA avec des revenus professionnels permettrait de lutter contre le travail au noir, voire le travail « au gris », tout en rendant possible un meilleur état des lieux.
Mais souhaitons-nous vraiment voir le marché de l’emploi senior promis à un bel avenir ou, au contraire, préférons-nous répondre de nous-mêmes aux difficultés de ces seniors en augmentant leurs droits ? La question est posée, mes chers collègues.
Il est important de se rendre compte que, si la situation est certes délicate aujourd’hui, les prochaines vagues de retraités correspondront à des générations qui auront connu le chômage ou le temps partiel, autant de périodes où l’on cotise moins pour sa retraite.
Et que dire de tous ceux qui auraient dû bénéficier de l’allocation équivalent retraite, l’AER, et qui ont dû attendre ce mois de janvier et l’initiative heureuse du Premier ministre qui l’a rétablie par décret ? Je tiens à souligner au passage la persévérance de mon collègue Martial Bourquin sur cette question.
Ce n’est pas en maintenant les prestations en dessous du seuil de pauvreté que l’on pourra lutter contre cette paupérisation des retraités. Il convient d’analyser la situation dans sa globalité et, surtout, sur le long terme.
Madame la ministre, vous avez annoncé qu’un état des lieux précis de ces situations était en cours, que les résultats seraient rendus publics et que le Gouvernement mettrait ensuite en place un dispositif permettant de répondre durablement à l’urgence sociale dont nous héritons aujourd’hui. Je ne peux que m’en féliciter.
À partir de 2014, les pensions des retraités imposables seront soumises à un prélèvement annuel de 0, 15 % pour financer la perte d’autonomie. C’est un premier effort solidaire, mais je ne peux m’empêcher de m’insurger en voyant que, face à cette pauvreté croissante, les salaires des patrons du CAC 40, eux, ne connaissent pas la crise ! Toujours plus haut, toujours plus ! En 2011, les salaires des grands patrons ont progressé de 4, 7 % par rapport à 2010.
Où est ce juste équilibre, je vous le demande ? D’un côté, la pauvreté s’accroît, de l’autre les rémunérations s’envolent ! Tout cela sans parler des exilés fiscaux, ces personnes qui souhaitent devenir encore plus riches en s’exonérant de la solidarité envers les autres Français. Heureusement, ils sont encore peu nombreux. Cependant, nous nous devons de lutter maintenant contre toutes les formes de fraudes, et en particulier, en période de grande crise, contre la fraude fiscale. C’est une obligation, un devoir !
Le sentiment de pauvreté touche près d’un Français sur deux. Il est donc de notre devoir d’enrayer ce sentiment, qui est aussi une réalité. Nous devons proposer des dispositifs durables et en adéquation avec notre politique sociale. Aussi, comme l’a brillamment expliqué notre collègue René Teulade tout à l'heure, le groupe socialiste s’abstiendra-t-il sur ce texte. §