Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, beaucoup de choses ont déjà été dites. Je me contenterai donc de prendre l’exemple de deux personnes à la retraite.
La première personne est un homme, âgé de 60 à 70 ans. Il a connu une carrière continue depuis qu’il a commencé à travailler, il a gravi les échelons dans sa profession, terminé sa carrière et liquidé ses trimestres. Il dispose aujourd’hui d’une pension moyenne de 1 955 euros par mois, soit un niveau de vie supérieur à 25 930 euros. Il se situe, pour reprendre les termes de nos statisticiens, dans le quatrième quartile en termes de niveau de vie, soit le plus élevé. M. Watrin résume la situation en un mot : c’est un cadre. Il a raison.
La seconde personne est une femme. Elle a plus de 65 ans et a atteint l’âge de la retraite bien qu’elle n’ait pas liquidé tous ses trimestres. Pourquoi ? Parce que, comme beaucoup de femmes, elle a eu une carrière incomplète ; elle a parfois aidé son mari agriculteur, par exemple, sans avoir pu bénéficier du statut de conjoint exploitant. Elle a eu des enfants et a travaillé un temps comme salariée à temps partiel. Sa petite retraite ne lui permettant pas d’atteindre un niveau de vie suffisant, elle bénéficie aujourd’hui du niveau maximal de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, soit 777 euros par mois.
La première personne, le cadre, a choisi de continuer à travailler. Le travail lui plaît – quand on est cadre, le travail plaît en général davantage –, et sa femme continue à travailler. Il lui fallait une « occupation » et il en avait la possibilité grâce aux contacts conservés dans l’entreprise. Bref, il reprend une activité et, point positif pour lui, non seulement il en a la possibilité, mais encore ne perd-il aucun droit sur sa pension. Mieux : il peut, lui, cumuler revenu et pension. Certes, il ne s’ouvre pas de nouveaux droits à pension en reprenant l’activité qu’il avait déjà.
Elle aussi continue à travailler pour donner un coup de main, par exemple à son fils s’il a repris l’exploitation ; juste de temps en temps. Cependant, elle ne peut pas dégager de revenu puisqu’il n’est pas possible de cumuler un revenu d’activité avec la pension.
Nous voilà donc, d’une part, avec un cadre qui, lui, peut continuer à travailler et cumuler une retraite relativement importante avec le revenu d’activité, et, d’autre part, une personne ayant un revenu bien inférieur qui, même si elle travaille, ne peut pas bénéficier de ce cumul.
Vous me dites qu’il faut attendre des lendemains meilleurs pour régler cette situation… Cependant, vous ne pouvez pas ne pas voir combien il paraît injuste que la personne ayant la pension la plus basse ne puisse pas en cumuler le montant avec un revenu d’activité !
Alors, certes, il existe une difficulté liée au mécanisme même de l’ASPA : les revenus d’activité sont pris en compte pour déterminer l’éligibilité à ce dispositif et pour calculer le montant à percevoir. Dès lors que l’on travaille, on court le risque de perdre tout ou partie de cette allocation. C’est le cas aujourd’hui.
Mme Debré, rapporteur, propose de contourner cette difficulté en autorisant un cumul avec plafonds. Il s’agit d’une bonne chose même si, madame la ministre, il sera nécessaire de mener une réflexion plus large.
L’Inspection générale des affaires sociales a d’ailleurs souligné dans son évaluation du système de cumul emploi retraite que le système est complexe, source d’inégalités. Pour ma part, je vous l’ai démontré au travers de ces deux exemples. Ce système pourrait être amélioré en fusionnant les différents mécanismes existants, intra et inter-régime – il faudrait s’assurer que ce ne soit pas producteur de nouveaux droits –, en faisant en sorte qu’il devienne un atout pour la politique d’emploi des seniors.
Aujourd’hui, les carrières professionnelles ne sont plus une ligne continue – cela a été dit – ni un long fleuve tranquille ; elles sont constituées d’une succession d’emplois différents, d’une alternance de période d’emploi et de non-emploi. Les temps de la reconversion, de la formation, des stages, de l’installation sont autant de périodes considérées comme perdues pour préparer sa retraite ; ce sont autant de trimestres non acquis. Le risque est donc grand, au moment de la retraite, d’avoir une pension trop faible et de solliciter l’ASPA.
Et encore, je ne parle même pas des ruptures professionnelles subies en raison de la situation économique, de l’allongement de la durée des études, de la multiplication des stages et des premiers contrats précaires, entrecoupés de périodes de chômage souvent non indemnisées.
L’évolution permanente du marché du travail, conjuguée aux aspirations des personnes, va mécaniquement augmenter le nombre de personnes éligibles à l’ASPA, et donc celui des personnes âgées en situation financière difficile.
Ce qu’il faut, c’est la garantie d’un minimum à vivre. Sur ce point, je suis d’accord avec vous. Mais en attendant ces jours meilleurs, nous devons bien trouver des solutions. Aussi, dans l’attente d’un vrai débat sur la place du travail, sur son organisation, sur la garantie de revenus et de droits – c’est le plus important –, je m’en tiendrai à la question posée ce matin et vous confirme le vote favorable du groupe écologiste sur cette proposition de loi. §