Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons a pour ambition d’apporter une réponse à cette question qui nous alarme tous, celle de la pauvreté des personnes qui vivent avec le minimum vieillesse.
Pour ce faire, les auteurs de ce texte ont repris à leur compte cette piste de travail ouverte par Jean-Baptiste de Foucauld en 2010 : permettre aux titulaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées d’arrondir leurs fins de mois en cumulant leur pension avec les revenus qu’ils pourraient retirer d’un emploi déclaré. Selon lui, une telle mesure permettrait de corriger, en quelque sorte, un environnement incitatif au travail clandestin et en totale contradiction avec les politiques publiques destinées à promouvoir l’emploi des seniors. Plus globalement, sa réflexion s’inscrit dans le cadre de la lutte contre la pauvreté chez les personnes âgées. Voilà une cause juste ! Et comment ne pas en convenir ?
En outre, le système proposé comblerait une lacune. Effectivement, dans le droit actuel, seules deux catégories de retraités peuvent accéder au dispositif de cumul emploi-retraite. Aux termes de l’article 88 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, il s’agit, tout d’abord, des assurés âgés de plus de 65 ans disposant d’une carrière complète – parfois, certains peuvent en bénéficier dès 60 ans. Puis, avec la publication du décret n° 2011-62 du 14 janvier 2011, le dispositif a été étendu aux personnes ayant exercé des professions libérales. Dans ces conditions, comment refuser aux retraités les plus précaires la possibilité d’améliorer leur pouvoir d’achat tandis que d’autres, mieux lotis, bénéficient déjà de cette faculté ?
Pour trancher cette question, encore faut-il faire l’effort de prendre en considération la réalité du terrain. Qui sont ces personnes auxquelles il est proposé de se remettre au travail pour arrondir leurs fins de mois ? Qui sont les allocataires de l’ASPA ? Ce sont des personnes âgées de plus de 65 ans qui n’ont pas suffisamment cotisé pour pouvoir disposer d’un revenu d’existence une fois l’âge de la retraite venu, ou encore celles qui sont âgées de plus de 60 ans et qui ont été déclarées inaptes au travail.
De ce point de vue, l’enquête sur les allocations du minimum vieillesse, publiée à la fin de l’année 2010 par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, la DREES, permet de mieux comprendre de qui l’on parle. Voici comment y sont décrits les allocataires de l’ASPA : « Les personnes âgées de 80 ans ou plus et les personnes isolées sont surreprésentées parmi les bénéficiaires des allocations du “minimum vieillesse”. Les femmes, qui représentent les trois quarts des allocataires isolés, sont également largement majoritaires. Les bénéficiaires des allocations du minimum vieillesse sont proportionnellement plus nombreux dans les régions du sud de la France et les départements d’outre-mer. » Dans ces conditions, peut-on affirmer avec la plus grande sincérité que l’ouverture du cumul emploi-retraite aux allocataires de l’ASPA est de nature à constituer une solution nouvelle permettant à nos concitoyens les plus modestes de recouvrer plus de pouvoir d’achat, comme l’affirment les auteurs de la présente proposition de loi ? Nous ne le pensons pas.
Au-delà de son affichage ambitieux, cette proposition de loi cible une frange vraiment très étroite de la population, à savoir, parmi les bénéficiaires de l’ASPA, ceux qui sont encore en état de travailler, desquels il faut retrancher ceux qui parviendront effectivement à trouver un emploi. Je rappelle, mes chers collègues, que plus d’un tiers d’entre eux ont compté plus de quatre-vingts printemps ! De surcroît, les études relatives à l’évolution du nombre d’inscriptions à Pôle emploi publiées par la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, le démontrent : à partir de 50 ans déjà, les salariés sont éjectés du monde professionnel. En l’état actuel des choses, tout laisse accroire que ceux qui ont au minimum 65 ans ne seront pas mieux considérés !
In fine, seuls quelques rares bénéficiaires de l’ASPA pourraient profiter de la mesure proposée par nos collègues. Le présent texte pourrait effectivement permettre à ceux qui exercent actuellement des petits boulots au noir de bénéficier d’une protection juridique. On peut aussi arguer du fait qu’il corrigerait une injustice : si un retraité ayant accompli une carrière complète peut cumuler pension et revenu d’activité, pourquoi un bénéficiaire de l’ASPA, dont la situation est par définition bien plus précaire, ne pourrait-il pas lui aussi arrondir ses fins de mois ?
Tels sont les deux apports concrets et positifs de la proposition de loi que nous examinons qui ont retenu notre attention.
Mais certains membres de mon groupe s’interrogent : s’il adoptait ce texte, quel message le Sénat enverrait-il à tous les allocataires de l’ASPA dans l’incapacité de retrouver un travail ?
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, les membres du groupe du RDSE attendent de nos débats des éclaircissements. Nous déciderons donc de notre vote à l’issue de nos travaux. En cet instant, nous aurions plutôt tendance à opter pour une abstention positive.
Madame la ministre, je profiterai de cette intervention pour vous faire une remarque : il faut élargir le débat et mener une réelle réflexion car, dans les prochaines années, nous allons être confrontés à un problème de société, voire de démocratie. En effet, la situation actuelle de certains de nos concitoyens – et pas seulement celle des personnes qui sont visées par la présente proposition de loi – est très compliquée. Je pense aux jeunes qui sont aujourd'hui sans travail, qui n’ont aucune assurance quant à leur future pension de retraite mais qui sont censés payer les retraites de leurs aînés. Ils risquent de s’interroger un jour sur ces retraités privilégiés, majoritaires dans notre pays, qui ne travaillent pas et imposent, par exemple – c’est une hypothèse d’école –, un gouvernement qui n’a pas leur préférence… Je me permets d’attirer votre attention sur ce point important pour le devenir de notre démocratie.