Dans cette perspective, la proposition de loi que nous examinons ce matin me semble tout à fait utile.
Certes, nous avons été très attentifs aux conclusions du rapport de Pierre Collin et de Nicolas Colin qui, avant Yvon Collin, se sont emparés du dossier et ont engagé une démarche extrêmement intelligente – c’est le moins que l’on puisse attendre d’un conseiller d’État et d’un inspecteur des finances ! Notre commission et les rapporteurs pour avis ont beaucoup apprécié le caractère fondamental de leur démarche, car cette dernière aborde toutes les problématiques que je viens d’évoquer.
Les auteurs du rapport posent le diagnostic suivant : « L’économie numérique n’est pas un secteur de l’économie. Elle est un vecteur de transformation de tous les secteurs de l’économie, dans lesquels elle provoque de puissants déplacements de marges des entreprises traditionnelles vers les entreprises opérant des services logiciels en réseau ». Si ce devait être le seul apport de ce travail, celui-ci serait déjà essentiel, me semble-t-il, pour la prise de conscience des parlementaires. Les auteurs du rapport ajoutent que « le droit fiscal, tant national qu’international, peine à s’adapter aux effets de la révolution numérique ». Ces constats rejoignent les enseignements que la commission des finances a tirés des travaux qu’elle a engagés dès 2009 et 2010, sur l’initiative de son président, Jean Arthuis.
MM. Collin et Colin ont constaté que « le point commun à toutes les grandes entreprises de l’économie numérique est l’intensité de l’exploitation des données issues du suivi régulier et systématique de l’activité de leurs utilisateurs ».
Ils estiment que « la collecte des données […] est le seul fait générateur qui garantisse la neutralité du prélèvement », celui-ci n’ayant pas pour vocation d’imposer la collecte de données en tant que telle, mais d’inciter les entreprises à adopter des pratiques conformes à des objectifs d’intérêt général. En effet, vous le savez, mes chers collègues, MM. Pierre Collin et Nicolas Colin mettent en évidence le fait que la valeur de fonds de commerce des réseaux et des systèmes est créée par les internautes, grâce à l’apport des informations gratuites qu’ils produisent et font circuler sur la Toile.
Bien entendu, madame la ministre, créer un mécanisme fiscal frappant les données personnelles pour, en quelque sorte, sortir de cette aliénation économique que nous décrivent les auteurs du rapport, relève d’une démarche louable, intéressante, intelligente, mais comment définir l’assiette fiscale et les redevables ? J’espère que les excellents spécialistes de la direction de la législation fiscale pourront nous donner rapidement une réponse, car nous ne siégeons pas dans un colloque universitaire, mais au Parlement, et nous devons prendre des décisions !
Quelle traduction législative concrète donner à ces réflexions ? J’ai naturellement entendu émettre de nombreuses réserves à l’égard de ma proposition de loi : je sais que celle-ci n’est pas parfaite et qu’elle ne se propose de traiter que d’une toute petite partie d’un ensemble très contraint, à la fois par le droit communautaire et par le droit international public.
On m’a opposé qu’une obligation de déclaration de chiffre d’affaires publicitaire, pour Google, ou de commerce électronique, pour Amazon, serait difficile à faire appliquer et à contrôler. Toutefois, il me semble que ce problème existe déjà pour les sites extracommunautaires qui ne déclarent pas correctement la TVA dans le cadre de la procédure dite du « mini-guichet ».
Ce portail électronique mis en œuvre à l’échelle européenne a rapporté à la France en 2012 20 millions d’euros, un chiffre ridiculement faible eu égard au volume des échanges. Pour autant, on ne remet pas en cause le système de la TVA dans son ensemble. Or la critique que l’on m’adresse vaut aussi, me semble-t-il, pour le régime de la TVA !
On me dit aussi qu’une taxe sur la publicité en ligne, même modeste, tuerait l’écosystème français. Néanmoins, la taxe locale sur la publicité extérieure, la TLPE, qui est utile pour nos collectivités locales, a-t-elle tué la publicité sur la voie publique ? Je constate que cette forme de publicité fleurit toujours et que la taxe qui la frappe apporte quelques ressources budgétaires aux communes, ce qui n’est pas absolument négligeable. Par ailleurs, je rappelle que ma proposition de loi ne prévoit d’instaurer une taxation qu’au-delà d’un seuil d’activité tout à fait élevé.
Enfin, on m’oppose la nécessité, en droit communautaire, de défendre un motif d’intérêt général pour instaurer une procédure dérogatoire de déclaration de chiffre d’affaires, à l’exemple du régime de l’agrément des jeux en ligne.
Mes chers collègues, permettez-moi d’adopter à présent un ton un peu plus solennel : je défends l’idée que la sauvegarde des intérêts du marché intérieur et la lutte contre les abus de positions dominantes doivent être considérées comme des motifs d’intérêt général…