Intervention de Bruno Retailleau

Réunion du 31 janvier 2013 à 9h00
Fiscalité numérique neutre et équitable — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Bruno RetailleauBruno Retailleau :

Ces deux attitudes sont vouées à l’échec. D'ailleurs, aujourd’hui, dans les pays occidentaux les plus libéraux, les choses changent. Je citerai, pour illustrer cette situation, deux exemples symboliques.

Premièrement, en 1998, Bill Clinton faisait passer l’Internet Tax Freedom Act, l’ITFA, loi par laquelle il entendait prohiber toute intervention fiscale intempestive de la part des États fédéraux dans le domaine des transactions électroniques, au motif que l’économie numérique, notamment l’internet, représentait un gisement d’emplois et de productivité. Il avait raison sur ce point !

Deuxièmement, voilà une huitaine de jours, à Davos, David Cameron exposait ses trois priorités pour la présidence britannique du G8, parmi lesquelles figure en bonne place – Philippe Marini doit s’en réjouir ! – la lutte contre l’évasion et l’évitement fiscaux.

Rappelons à cet égard, même si cette affaire n’a rien à voir avec le numérique, qu’une polémique a récemment fait grand bruit en Grande-Bretagne, à la suite de la révélation par l’agence Reuters que l’entreprise multinationale Starbucks avait échappé, pendant trois années, à toute taxation sur le territoire du Royaume-Uni.

Si les choses changent aujourd’hui, c’est parce que Google, Apple, Facebook et Amazon, que l’on appelle aussi les GAFA, ces grandes sociétés qualifiées également d’« over the top », sont actuellement en position dominante dans de nombreux secteurs, profitant de l’intimité qu’elles ont su créer avec l’utilisateur final pour se déployer progressivement et remonter toute la chaîne de valeur.

Une autre raison de ce changement, c’est que tous les États, où qu’ils se trouvent, sont aujourd’hui menacés par la crise des dettes souveraines et souhaitent remplir leurs caisses.

Enfin, et c’est une raison supplémentaire, nous voyons se creuser une double fracture.

La première fracture a lieu entre l’ancienne économie, c’est-à-dire l’économie physique, et la nouvelle, l’économie numérique.

Comme le souligne Philippe Marini dans sa proposition de loi, cette fracture est d’abord fiscale. La TASCOM ne concerne ainsi que les entreprises qui disposent d’une surface physique de vente, mais non celles qui pratiquent le commerce en ligne. Par ailleurs, si l’on examine la situation du point de vue de l’équité fiscale, on observe que les grands groupes du secteur de l’internet sont taxés à moins de 0, 4 % de leur chiffre d’affaires, contre près de 6 % pour l’économie traditionnelle. La distorsion de concurrence est donc ici patente.

La seconde fracture a lieu au sein même de l’économie numérique. Ces grandes sociétés profitent en effet, et les représentants de la commission de la culture y reviendront sans doute, des contenus créés par nos créateurs, ce qui peut être considéré comme une externalité extrêmement positive.

Or elles bénéficient, aussi, des investissements réalisés par les opérateurs de télécommunications qui, eux, sont surfiscalisés par rapport aux entreprises traditionnelles, puisqu’ils sont taxés dans notre pays à 25 % de leur chiffre d’affaires, alors même qu’ils ont la charge de déployer les réseaux de nouvelle génération, c’est-à-dire la fibre optique pour le téléphone fixe et la 4G pour le téléphone mobile.

Ces groupes profitent donc de ces réseaux, de ces contenus, et même du soutien des collectivités territoriales – Yves Rome y reviendra sans doute –, puisque celles-ci sont appelées, nous le savons tous, à financer le déploiement des réseaux là où le marché est en état de carence, là où la rentabilité est insuffisante pour nos opérateurs de réseaux.

Il fallait donc faire quelque chose. Or la difficulté en ce domaine – le rapport de MM. Collin et Colin l’explique parfaitement – tient aux caractéristiques propres de ces grands groupes de l’internet, qui rendent si malaisée l’appréhension de l’équité et de la neutralité fiscales.

Ces sociétés sont très agiles fiscalement, parce qu’elles sont jeunes et ont su se conformer au dernier cri de l’optimisation fiscale, et aussi parce qu’elles jouent avec de l’immatériel et de l’incorporel. Elles sont également faciles à délocaliser, car rien n’est plus fluide que les données, qui sont le cœur de leur activité. La fiscalité française reposant sur le principe de territorialité, l’extraterritorialité qui s’attache à ces groupes pose donc un problème fondamental, en matière tant de fiscalité que de régulation générale. La fiscalité n’est pas seule affectée !

J’ai commencé par rendre hommage à Philippe Marini car je pense qu’il est temps, aujourd’hui, de faire quelque chose. Pour cela, il nous faut tenir, avec volontarisme, trois fronts à la fois, à commencer par le front national.

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