Intervention de Yves Rome

Réunion du 31 janvier 2013 à 9h00
Fiscalité numérique neutre et équitable — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Yves RomeYves Rome :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous devons, à titre liminaire, nous féliciter aujourd’hui de ce que le projet de réserver aux lois financières le monopole de la fiscalité, qui avait été tant défendu dans cette enceinte, n’a pas vu le jour. En effet, nous n’aurions pas l’occasion de débattre d’une proposition de loi qui, pour être perfectible, aborde un problème préoccupant appelant des solutions durables.

Sans doute aurions-nous pu caser au cours de la discussion des articles d’une loi de finances quelques échanges sur la fiscalité numérique, comme nous le fîmes dans un passé assez récent, mais nous aurions été contraints par le calendrier particulièrement serré de la discussion budgétaire et le vote de notre assemblée n’aurait pu bénéficier de l’éclairage apporté par le processus parlementaire aujourd’hui en œuvre.

L’abandon, voire l’échec, des tentatives précédentes de mise en ordre de notre fiscalité numérique n’a-t-il pas été dû, en partie, à la précipitation à laquelle nous oblige souvent la procédure budgétaire ?

Ainsi, de nouveau, félicitons-nous de pouvoir débattre de la proposition de loi de notre collègue au cours d’un processus parlementaire préservant notre pouvoir d’initiative, notre rôle et, finalement, notre raison d’être, puisqu’il nous offre le cadre d’un examen approfondi de notre législation fiscale.

La commission des finances nous fait la très sage proposition de prolonger le temps parlementaire. Mes chers collègues, votre commission du développement durable a décidé à l’unanimité d’émettre un avis favorable sur cette proposition.

Pour autant, ce n’est pas le souci de lenteur qui motive le ralliement de notre commission à la motion tendant au renvoi à la commission. Bien au contraire, l’affaire qui nous réunit est importante, et il est même plus qu’urgent que notre fiscalité soit adaptée non seulement à la nouvelle économie, mais aussi à des défis qu’elle incarne, certes, tout particulièrement, mais qui s’étendent à bien d’autres secteurs de notre économie. Je veux parler de l’évasion fiscale internationale.

La proposition de loi s’inscrit sans conteste dans un tel objectif. Elle témoigne que la concurrence fiscale internationale ne saurait être correctement régulée par le marché et qu’il est justifié de protéger la souveraineté fiscale des États contre la mise à l’encan à laquelle celle-ci est livrée du fait des défaillances des lois fiscales et de l’optimisation fiscale abusive pratiquée par de si nombreux grands acteurs de l’économie globalisée.

Toutefois, il faut bien tenir compte de l’excellent exposé des motifs de la motion présentée par notre collègue Yvon Collin, lequel fait valoir, à très juste titre, la nécessité de s’inscrire dans une perspective plus large, qui est celle du calendrier fourni et précis du Gouvernement sur les sujets qui nous occupent.

Par ailleurs, je voudrais évoquer quelques considérations qui, aux yeux de la commission du développement durable, apportent des justifications supplémentaires pour que la méritoire proposition de loi aujourd’hui en débat fasse l’objet d’un complément d’instruction par le Sénat.

L’adoption de la motion ne doit en rien diminuer la vigilance du Sénat et votre commission, à qui la multiplication des avis sur la proposition de loi n’a pas échappé, non plus que la diversité des rapports consacrés en tout ou partie à la fiscalité numérique, souhaite au contraire qu’elle débouche sur la perpétuation d’un investissement de la Haute Assemblée au regard des enjeux immenses soulevés par la neutralité fiscale du numérique. L’économie numérique occupe en effet une part croissante de la création de richesses, suivant très certainement une trajectoire que l’on peut qualifier d’exponentielle.

Le Gouvernement aurait d’ailleurs, je le crois, grand profit à une telle mobilisation au service d’une fiscalité plus juste. Car, ne nous le dissimulons pas, c’est de la plus grande détermination que nous devrons faire preuve pour parvenir à des solutions satisfaisantes.

Autant le dire tout de suite, les objectifs de la proposition de loi, dont l’intitulé, Pour une fiscalité numérique neutre et équitable, promet plus que ne tient le corps de la proposition, situent bien les enjeux.

La commission du développement durable partage la préoccupation que ce texte traduit ; elle est malgré tout préoccupée par certaines dispositions proposées et souhaite resituer les questions abordées dans le contexte particulier du financement de l’ambition du très haut débit pour tous, qui, conformément à l’engagement n° 4 du Président de la République, est l’horizon de notre politique d’équipement numérique des territoires : la fibre optique pour tous et partout, dans les dix ans !

Alors que, dans les versions initiales des dispositifs visant à assurer la neutralité fiscale du Net, celle-ci n’était atteinte que dans le cadre franco-français, il s’agit désormais d’une neutralité à deux dimensions : entre les secteurs traditionnels et l’économie numérique, d’une part, entre les acteurs résidant en France et ceux qui sont localisés en dehors de notre aire de souveraineté fiscale, d’autre part.

L’adjonction de cette seconde dimension est particulièrement opportune. Plus encore, elle est nécessaire tant les caractéristiques mêmes de l’économie numérique l’imposent.

Nous devons en effet nous garder de deux processus conjoints : le renforcement de la part dans notre PIB d’une économie numérique qui, exposée à un taux d’imposition effectif sensiblement inférieur à celui de l’économie traditionnelle, réduit en quelque sorte les dividendes fiscaux de la croissance ; l’évaporation fiscale résultant de la combinaison d’arrangements institutionnels défaillants et des pratiques d’optimisation fiscale de grands acteurs du secteur, pratiques éminemment abusives puisque, par exemple, elles conduisent une part de plus en plus considérable des dépenses de consommation de nos compatriotes à atterrir dans des paradis fiscaux, sous la forme de royalties, dont le trésor des États-Unis, de son côté, bénéficie un peu, mais qui alimentent surtout les comptes offshore des paradis fiscaux.

Cet « âge de l’offshore » est malheureusement nourri par des territoires appartenant à l’Union européenne, qui servent de conduits à une évasion fiscale internationale à laquelle la Haute Assemblée a consacré de longs travaux au premier semestre de l’année 2012.

Les enjeux d’une remise en ordre de l’économie numérique sont ainsi particulièrement essentiels. Il y va de la justice fiscale et, donc, de l’acceptabilité même de l’impôt ; il y va de l’équité fiscale et de l’égalité des conditions de concurrence.

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