Il y va du rendement fiscal et, donc, de notre capacité à remettre nos finances publiques sur une trajectoire soutenable et à maintenir notre modèle social et la possibilité de financer les biens publics indispensables à une croissance potentielle et équilibrée.
Par rapport à ces formidables enjeux, l’objet limité de la proposition de loi peut inspirer deux attitudes opposées.
Il va de soi, et l’auteur de la proposition en convient, que l’aménagement des trois taxes indirectes qu’il nous propose ne répond pas aux attentes d’un aggiornamento de la fiscalité du numérique. Sans doute peut-on être sensible à l’intention de combler les lacunes de la proposition de loi par la prescription faite au Gouvernement de rendre un rapport couvrant plus complètement les enjeux et embrassant notamment l’imposition des bénéfices et le régime de TVA appliqué à l’économie numérique.
C’est d’ailleurs un vœu qui se trouve en partie satisfait par la remise très récente du rapport de MM. Pierre Collin et Nicolas Colin, qui justifie pour partie l’ajournement de notre œuvre législative.
Mais enfin, on pourrait tout aussi bien décider de prendre ce qui ne serait plus à prendre et, ainsi, adopter les dispositifs de la proposition de loi ! La commission du développement durable a été d’avis de ne pas céder à cette tentation. Elle a considéré que l’exploration d’une démarche globale, dans laquelle le Gouvernement s’est justement engagé, devait prévaloir pour réussir la réforme fiscale qu’appelle le développement du numérique.
Il y a d’ailleurs des inconvénients non négligeables à procéder sur le mode de la proposition de loi.
La distorsion de notre système de prélèvements obligatoires, qui est le résultat du relais pris par les impositions indirectes devant les transferts des bases d’imposition directe destinés à les soustraire à l’impôt, n’est pas neutre pour nos équilibres économiques et sociaux.
Toutefois, et surtout, il existe des doutes sérieux quant à la solidité de la construction fiscale proposée par notre collègue. Certes, nous devons déplorer l’intégrisme manifesté par les juridictions européennes dès que sont en cause les libertés fondamentales inscrites dans les traités européens, mais nous ne pouvons pas le négliger. Et nous ne savons pas au juste si l’astucieuse alternative entre le régime de la représentation fiscale et celui de la déclaration, qui est censée permettre d’ancrer fiscalement les bases d’imposition couvertes par la proposition de loi, trouverait grâce aux yeux du droit européen.
Nous avons trop l’habitude de censures qui finissent par coûter cher à nos finances publiques. Qu’il s’agisse de certaines formes de retenue à la source ou de certaines taxes supposées assurer l’équilibre de notre paysage audiovisuel, nous sommes payés d’expérience !
Je ferai une remarque incidente à ce propos pour vous demander, madame la ministre, de faire part haut et fort de notre réprobation face à des attitudes ignorant l’état réel de la concurrence fiscale abusive qui fait rage dans l’Union européenne et qui tarit les financements si nécessaires à l’atteinte de l’objectif, aussi inlassablement martelé que désespérément reporté, de faire de l’Europe l’économie la plus compétitive du monde.