Entre la dilapidation des ressources au service de quelques professionnels de l’évasion fiscale et l’investissement dans l’avenir de l’Europe, il faut choisir ! J’y reviendrai dans un instant.
À supposer même que nous passions l’écueil juridique que je viens de mentionner, force est d’anticiper les difficultés d’application pratique des dispositifs envisagés.
On se doute bien que leur portée dépend de la bonne volonté des contribuables impliqués ou des États où ils sont localisés. Or nous pouvons nourrir des doutes raisonnables sur ce point, et le simple renvoi aux conditions de gestion du recouvrement de la TVA, non plus que la seule confiance mise dans des conventions fiscales dont il n’est pas sûr qu’elles s’appliqueraient aux cas d’espèce ne suffisent à nous rassurer.
Le risque est alors grand que le volet international de la neutralité fiscale à laquelle prétend la proposition de loi ne soit qu’une fausse fenêtre. Sans doute en subsisterait la dimension purement interne, mais il faudrait alors reprendre la discussion sur de tout autres bases et resurgirait le spectre de la concurrence fiscale.
En bref, l’objectif serait manqué, et plutôt que de résoudre le problème envisagé, on l’accentuerait peut-être.
Convenons qu’il s’agit d’une perspective qui invite à approfondir la réflexion. Explorons à fond les solutions de rechange, parmi lesquelles celles que proposent dans leur rapport MM. Pierre Collin et Nicolas Colin ; mobilisons notre diplomatie fiscale internationale pour que le processus mis en route à Los Cabos aboutisse ; plaçons au sommet de l’agenda européen la lutte contre l’évasion fiscale internationale et le combat en faveur d’une fiscalité juste et durable. Et que notre Haute Assemblée tienne toute la place qu’elle occupe depuis déjà longtemps dans la réalisation de cette tâche !
Voilà les vœux qu’on peut aujourd’hui former. Néanmoins, la commission du développement durable souhaite en ajouter un dernier, et pas le moindre, qu’elle regrette de ne pas voir traduit comme il faudrait par la proposition de loi.
La fiscalité numérique doit être un élément de résolution de l’équation à laquelle nous confronte l’urgence de mettre à niveau l’équipement numérique du territoire. L’ambition du très haut débit pour tous, portée par le Président de la République et que vous-même, madame la ministre, mais nous aussi, représentants des collectivités territoriales, avons la responsabilité historique de mettre en œuvre, exige une mise à niveau de ses moyens financiers. Une amélioration du fonctionnement de l’économie numérique doit créer les conditions d’une contribution juste de chaque partie prenante au financement des infrastructures du XXe siècle.
Aujourd’hui, les passagers clandestins des réseaux s’arrogent indûment une partie de la valeur économique du secteur. Cette rente d’accès, qui justifie un prélèvement destiné à la corriger et son affectation au financement des biens qui en permettent le constant développement, doit être appréhendée, alors même qu’elle est aujourd’hui distraite vers des territoires où elle est échappe à cette juste contribution.
Nous savons tous ici que les modalités retenues pour le déploiement des réseaux de troisième génération, parce qu’elles négligent la péréquation de premier niveau qu’aurait sans doute permis un paradigme de substitution, engageront les ressources publiques, celles de l’État, mais aussi celles de collectivités territoriales.
C’est dans ce contexte que l’internalisation de la rente de ceux qu’on nomme les GAFA est un impératif. Le contribuable national, et moins encore celui de notre France rurale, n’a à financer les dividendes ou les plus-values de l’habitant de Los Angeles ou ceux qui sont déversés sur un compte tenu dans quelque territoire timbre-poste. Cette valeur doit participer au financement des réseaux qu’elle conduit à développer et grâce auxquels elle se crée.
Cette affectation est logique, elle est donc indispensable. Imaginerait-on un seul instant que le contrôleur de la SNCF verse autrement qu’aux entreprises du rail le produit des billets contrôlés ?
C’est également parce que la proposition de loi néglige cette logique, qui doit être pleinement prise en compte dans nos projets de réforme de la fiscalité numérique, mais qui sans doute, j’y insiste, ne suffira pas à doter le financement de l’aménagement numérique du territoire des ressources pérennes et dynamiques, que la commission du développement durable vous invite, mes chers collègues, à adopter la motion de renvoi à la commission.
À titre personnel, je veux à mon tour saluer l’inspiration de ce texte, puisque, monsieur Retailleau, j’ai cru comprendre que le Vendée Globe avait soufflé en direction de la proposition de loi de Philippe Marini…