Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier notre collègue et président de la commission des finances, M. Philippe Marini, de sa proposition de loi et de tous les travaux préalables et rapports qu’il a produits en amont sur l’économie numérique et sur sa fiscalité.
Au-delà des clivages politiques qui peuvent exister au sein de notre assemblée, il est bon de souligner l’importance et la qualité du travail qui a été effectué.
Cette proposition de loi ne nous offre pas seulement l’occasion de débattre de la fiscalité numérique ; elle nous permet également, et plus généralement, de réfléchir à notre capacité à financer, demain, les politiques publiques que nous aurons à mettre en œuvre pour répondre aux défis nouveaux qui bouleversent notre société et à leurs conséquences tant économiques que sociales.
L’objectif de rétablir une neutralité fiscale en taxant équitablement les géants américains de l’internet proportionnellement à leurs chiffres d’affaires en France est régulièrement débattu au Sénat depuis 2010.
La proposition de loi qui vise à introduire une nouvelle taxe sur les revenus publicitaires en ligne via une déclaration d’un représentant fiscal sur le territoire s’inscrit dans cette réflexion.
Elle constitue une piste intéressante pour recouvrer le pouvoir d’imposer des bénéfices qui sont réalisés sur notre territoire par les entreprises de l’économie numérique.
Elle est positive en ce qu’elle rééquilibre un peu la situation non concurrentielle des entreprises françaises victimes des stratégies d’optimisation fiscale des groupes Google, Amazon, Facebook, Apple – ceux que l’on appelle les GAFA –, du fait de l’établissement de leur siège social dans des pays européens pratiquant une forme de dumping fiscal.
Elle est également pertinente dans la mesure où elle affecte les taxes prélevées sur le budget général de l’État, et non sur un secteur particulier de l’économie, ce qui permet d’augmenter nos marges pour financer l’ensemble des politiques publiques que nous devons mettre en œuvre face à des mutations qui ont des effets sur notre économie et nos équilibres sociaux bien au-delà du seul domaine des industries culturelles.
Toutefois, elle n’est malheureusement, à notre sens, que trop partielle du fait qu’elle n’explore qu’une partie de l’économie numérique, en ciblant essentiellement les GAFA et en laissant de côté toutes les autres entreprises qui collectent des données personnelles ou agrègent des contenus produits par d’autres pour les redistribuer et les commercialiser à leur compte. Cela contribue à réduire considérablement l’assiette de l’impôt qui devrait normalement être prélevé et rend malheureusement assez marginale la ressource que devrait générer la fiscalité du numérique au regard de la fiscalité globale.
De ce point de vue, le rapport sur la fiscalité de l’économie numérique, remis au Gouvernement le 18 janvier dernier, apporte de nouvelles pistes pour élargir l’assiette fiscale dans ce domaine.
Le groupe écologiste estime donc indispensable de se donner le temps nécessaire pour étudier avec attention les conclusions du rapport de MM. Collin et Colin.
À cet égard, permettez-moi de souligner l’intérêt du dispositif d’incitation fiscale qui privilégie les bonnes pratiques en matière de protection des données personnelles. L’application du principe « prédateur-payeur » en matière de protection des libertés individuelles, telle qu’elle est préconisée par le rapport, s’inspire fort justement du dispositif « pollueur-payeur », qui sous-tend la fiscalité environnementale ; il s'agit d’une piste très intéressante.
Par conséquent, le groupe écologiste s’associera à la motion tendant au renvoi à la commission du texte, tout en insistant sur la nécessité d’instaurer, à un terme très rapproché, une régulation fiscale du secteur de l’économie numérique.
Au-delà de l’urgence qu’il y a à circonscrire l’optimisation fiscale massive des géants de l’industrie numérique, j’aimerais également souligner que nous ne pourrons pas nous dispenser, à moyen terme, d’appréhender plus généralement l’ampleur des mutations qui bouleversent nos sociétés en ce domaine.
Notre économie connaît depuis vingt ans une transformation rapide et profonde, mais la fiscalité qui s’y attache demeure, elle, très largement fondée sur les structures qui prévalaient dans l’économie d’hier.
Pour résumer, nous dirions que notre fiscalité reste encore très largement inscrite dans le cadre national d’une production matérielle et territorialisée, fondée sur une logique de stock, avec pour horizon l’idée d’une croissance illimitée se refusant à intégrer dans ses coûts les externalités négatives qui résultent de la surexploitation des richesses naturelles, de l’accaparement et de la privatisation de plus en plus systématique du bien commun.
Or la réalité d’aujourd’hui, c’est que notre économie évolue dans un cadre de plus en plus mondialisé, déterritorialisé, où les biens produits sont de plus en plus immatériels, où les relations humaines et les échanges commerciaux sont de plus en plus dématérialisés, où la frontière entre production et consommation devient de plus en plus difficile à établir, où la création de valeur et de richesse est toujours davantage déconnectée des actifs physiques et se fonde de plus en plus sur des logiques de flux et non plus de stocks, enfin où la destruction de notre environnement local et global, ainsi que la surexploitation des ressources naturelles de la planète, ont désormais des impacts considérables en termes de coûts immédiats sur l’économie et dans nos comptes publics.
On le voit, pour faire face à ces mutations profondes, c’est l’architecture globale de notre fiscalité que nous devons repenser.
Pour les écologistes, répondre à ces trois grands défis majeurs que sont la mondialisation économique et financière, la révolution numérique et l’impératif de transition écologique de notre économie suppose de mettre en place et de développer trois types de fiscalités nouvelles pour abonder nos moyens d’intervention, de régulation et d’accompagnement des changements qui s’opèrent dans notre société.
L’instauration d’une fiscalité numérique est l’un de ces trois piliers indispensables. Néanmoins, celle-ci doit aussi être compatible avec deux autres grandes initiatives en matière fiscale.
La première, c’est naturellement l’instauration rapide d’une véritable fiscalité écologique dans notre pays. Le Président de la République et le Gouvernement ont pris des engagements en ce sens, …