Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi relative à la fiscalité numérique, déposée par le président de la commission des finances.
Nous auditionnions la semaine dernière, en commission, MM. Nicolas Colin et Pierre Collin, auteurs du rapport de la mission d’expertise sur la fiscalité de l’économie numérique, commandé par le Gouvernement. L’actualité du sujet est donc évidente.
Ces experts ont insisté sur l’importance fiscale et économique de cette question ainsi que sur l’impact de la révolution numérique, que nous n’avions pas perçu aussi précisément. Le président Marini, quant à lui, signale le fait depuis au moins trois ans – ce fut notamment le cas dans le rapport parlementaire publié en juin dernier. Il a donc été précurseur sur ce sujet, je lui en donne volontiers acte.
De son côté, en nommant une ministre dont l’expertise en ce domaine est indéniable et qui est, de surcroit, complètement vouée au sujet de l’économie numérique, le Président de la République a montré qu’il avait bien pris la mesure des actions stratégiques à mener dans ce domaine.
Dès le 12 juillet 2012, une mission d’expertise a donc été mise en place afin de « dégager des propositions en matière de localisation et d’imposition des bénéfices, du chiffre d’affaires, ou, éventuellement, sur d’autres assiettes taxables de l’activité numérique ».
L’action du Gouvernement à l’échelon national a trouvé un prolongement international lorsque, en novembre dernier, la France s’est associée à la saisine de l’OCDE sur la question de la territorialité des activités numériques. La Commission européenne a également été saisie afin de définir une approche européenne de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales dans le domaine de l’économie numérique. Cette question est donc aujourd’hui l’objet d’un intérêt général en Europe.
De la même manière, un consensus existe dans notre assemblée pour agir dans cette direction.
Sur le plan économique, la proposition de loi met en évidence la captation des marges des entreprises de production par les entreprises de services de l’économie numérique. Les propos de la ministre vont également dans ce sens.
Sur le plan fiscal, ces entreprises numériques se distinguent par un faible niveau d’imposition. Mettant en œuvre une stratégie d’optimisation, elles échappent à l’impôt dans les pays où elles réalisent leurs affaires et dégagent des bénéfices considérables et en perpétuelle expansion. Le quotidien Le Monde a publiéhier un article très éclairant à ce sujet, qui concernait Amazon.
Dans un souci d’équité fiscale, y compris à l’égard de nos propres entreprises, cela doit être combattu.
Toutefois, les rapporteurs soulignent combien il est difficile d’appréhender l’activité de ces entreprises pour définir précisément les bases d’imposition, tant la nature de cette activité est atypique en regard de ce qui existe.
Le rapport sur l’économie numérique précise d’ailleurs que « le droit fiscal, tant national qu’international, peine à s’adapter à la révolution numérique ». Dès lors, notre réponse doit prendre toutes les précautions et s’assurer du contexte européen. En un mot, nous devons agir sans précipitation, mais avec détermination et méthode, afin de garantir la sécurité du résultat, qui ne devra donner lieu à aucune espèce de contestation.
La proposition de loi et le rapport poursuivent donc un but identique, mais envisagent, il est vrai, des moyens différents. Le rapport préconise une fiscalité liée à l’exploitation des données issues du suivi des utilisateurs sur le territoire national. Ses auteurs estiment qu’à terme, d’ailleurs, l’impôt sur les sociétés serait l’outil le plus adapté, pourvu que l’on parvienne à ajuster précisément la notion d’établissement stable aux spécificités de l’économie numérique.
La proposition de loi, quant à elle, envisage deux taxes : l’une sur le commerce en ligne, l’autre sur la publicité en ligne, ainsi que l’extension aux opérateurs étrangers de la taxe relative à la vidéo à la demande. Ces réponses sont donc de nature différente.
Le Gouvernement a commandé un rapport sur l’économie numérique. Il a commencé à l’étudier et à réfléchir aux propositions qui vont en découler. Dès lors, il importe de lui laisser un délai raisonnable pour se prononcer. Nous devons également tenir compte des discussions engagées au niveau international et, en particulier, des observations qui seront formulées par le G20 « finances » sur la base d’un premier rapport de l’OCDE.
Mme la ministre s’est engagée avec clarté et netteté à ce que la fiscalité numérique soit un objectif prioritaire pour le Gouvernement. C’est pourquoi, au nom du groupe socialiste, je me rallie à la proposition du rapporteur d’adopter une motion de renvoi en commission de ce texte. Il s’agit, tout en saluant le travail accompli par notre collègue Philippe Marini, de ménager au Parlement comme au Gouvernement le temps nécessaire pour étudier des solutions, notamment celle d’une taxation de la collecte et de l’exploitation des données, cela dans le souci de la sécurité juridique de la démarche.
Telle est la position, qui me semble équilibrée, à laquelle est parvenu le groupe socialiste.