Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi déposée par les membres du groupe socialiste est, en quatre ans, le cinquième texte dont l’examen amène le Sénat à se pencher sur l’avenir de la biologie médicale. Elle fait suite à la proposition de loi de Valérie Boyer et Jean-Luc Préel, adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale voilà un an, le 26 janvier 2012. Comme cette dernière, le présent est exclusivement consacré à cette question.
Le souhait de voir ratifier l’ordonnance du 13 janvier 2010, qui s’applique depuis trois ans, est partagé de façon quasi unanime dans la profession et largement transpartisan.
Le texte qui nous est soumis reprend plusieurs dispositions de la proposition de loi Boyer-Préel tout en se rapprochant des positions du Sénat, notamment pour ce qui concerne l’interdiction des « ristournes ». Il a été élaboré en étroite concertation avec des collègues députés particulièrement impliqués en la matière. Un large processus de concertation avec les professionnels publics et privés et d’auditions a été mené pendant plusieurs mois.
L’objet de la présente proposition de loi est à la fois restreint et ambitieux. Il s’agit de garantir la sécurité des examens par l’accréditation et de limiter la financiarisation du secteur libéral, dont les bénéfices attirent des investisseurs extérieurs aux professions de santé.
Quelle que soit la qualité des professionnels qui exercent dans les laboratoires de biologie médicale, leur infaillibilité n’est pas plus démontrée que celle des autres professionnels de santé. Or le nombre d’actes de biologie médicale augmente de façon constante depuis 1998. Il faut donc garantir aux patients que les examens qu’ils subissent seront pratiqués d’une manière telle que les diagnostics et traitements prescrits sur leur fondement soient adaptés à leur pathologie.
Le système de contrôle antérieur à l’ordonnance précitée comportait des limites importantes. En moyenne, et selon les départements, un laboratoire ne faisait l’objet d’une visite d’inspection que tous les vingt ou quarante ans, ce qui ne permettait pas de garantir aux patients la qualité des examens. Or, malgré ce très petit nombre d’inspections, en France, sur un total d’environ 4 000 laboratoires de biologie médicale privés, dix à quinze sont fermés chaque année par les autorités sanitaires. On peut donc craindre que des laboratoires n’offrant pas toutes les garanties de qualité ne soient encore en exercice.
Par ailleurs, le renouvellement constant des technologies impose un effort continu de formation et d’adaptation de la part des laboratoires et des investissements lourds en capital.
À ces éléments s’ajoute le fait que la biologie médicale est particulièrement présente sur notre territoire : près de 10 500 biologistes, soit 16, 5 pour 100 000 habitants, alors que la moyenne communautaire est de 5, 8.
À la suite d’un rapport particulièrement sévère de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, de 2006, les pouvoirs publics ont confié à Michel Ballereau, conseiller général des établissements de santé, l’élaboration d’une réforme du secteur. Celle-ci, conduite en 2010, s’est appuyée sur plusieurs constats dressés dans le rapport qu’il a remis à la ministre de la santé de l’époque.
Il a tout d’abord été relevé que certains laboratoires de biologie médicale avaient une activité trop faible pour pouvoir s’adapter aux techniques d’analyse les plus modernes et qu’ils présentaient le plus grand nombre de défauts au contrôle national de qualité.
Il a toutefois été observé qu’il était nécessaire de lutter contre les situations monopolistiques, notamment en raison des risques qu’elles font peser sur l’organisation de l’offre de soins.
Le rapport constatait enfin qu’il fallait opérer un choix entre une biologie analytique, plus coûteuse et de moindre efficacité pour les patients, et une biologie médicale, davantage attachée à la fiabilité des examens et à l’efficience des pratiques. C’est cette dernière voie qui a été retenue dans la présente proposition de loi, dans la ligne de l’ordonnance de 2010.
Ce que l’on appelle généralement la « médicalisation » de la biologie médicale découle d’une double volonté : d’une part, garantir le plus haut niveau de qualité pour les examens, quelle que soit la structure publique ou privée qui les pratique ; d’autre part, limiter la possibilité pour des investisseurs, légitimement motivés d’abord par le taux de retour sur leur capital, de contrôler cette activité de plus en plus importante en volume.
La médicalisation doit néanmoins être appréciée dans le cadre du droit européen. En effet, les limites posées par le législateur à l’ouverture des cabinets de biologie médicale posent un problème au regard des principes de liberté d’installation et de prestation qui sont aux fondements du droit de l’Union européenne. Ainsi, la Commission européenne n’est pas habilitée à se prononcer sur l’opportunité du choix par un État membre de réserver l’exercice de certaines activités aux professions de santé. En revanche, elle peut exiger que cette restriction ne soit pas une entrave déguisée au droit de la concurrence.
Si la France ne se conformait pas aux exigences du droit de l’Union européenne et ne parvenait pas à justifier les restrictions qu’elle apporte à l’installation de laboratoires par des motifs de santé publique, elle pourrait se voir contrainte par la Cour de justice de l’Union européenne d’ouvrir la biologie médicale à la concurrence.
J’en viens au contenu de la proposition de loi tel qu’il a été modifié par la commission des affaires sociales.
L’ordonnance du 13 janvier 2010 s’applique depuis sa publication. Toutefois, tant qu’elle n’a pas été ratifiée, ses dispositions législatives sont susceptibles d’un recours devant le Conseil d’État. De fait, l’ordre des médecins, qui s’opposait à l’accréditation obligatoire, a déféré l’ordonnance devant le juge administratif qui n’a annulé qu’une seule de ses dispositions, jugée inintelligible. Dès lors, la stabilité juridique du dispositif peut être considérée comme largement acquise.
Il convient cependant de noter que, conformément à la jurisprudence du Conseil d’État, une mesure réglementaire prise sur le fondement de cette ordonnance mais contraire au droit européen reste susceptible d’annulation par le juge administratif.
Néanmoins, la ratification explicite de l’ordonnance est considérée par la profession comme une garantie de l’engagement des pouvoirs publics dans la réforme. C’est l’objet de l’article 1er de la présente proposition de loi.
La qualité des soins est la finalité fondamentale de la proposition de loi. Elle dépend de l’accréditation. La commission des affaires sociales a choisi de rétablir l’objectif d’une accréditation à 100 % en 2020.
Je considère que la mise en place de paliers imposant progressivement un taux d’accréditation de plus en plus élevé est nécessaire à la création d’un mouvement qui changera les mentalités en même temps que les pratiques dans les laboratoires. Cette évolution passera successivement par un palier d’accréditation à 50 % en 2016 et à 80 % en 2018, pour aboutir à un taux d’accréditation à 100 % en 2020. Ainsi que nous l’ont affirmé les chercheurs, ce mouvement n’entravera nullement l’innovation puisque celle-ci est prise en compte dans les procédures d’accréditation.
Je n’en suis pas moins conscient des problèmes spécifiques qui se posent pour la biologie spécialisée, par exemple dans le cadre de la recherche en génétique. Compte tenu de l’évolution très rapide des techniques dans ces domaines de pointe, les équipes de recherche n’ont parfois pas matériellement le temps de s’engager dans l’accréditation de procédures en constante évolution. J’attire donc l’attention de vos services, madame la ministre, ainsi que ceux de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, sur ces enjeux très particuliers.
Toute accréditation est conduite sous l’égide du Comité français d’accréditation, le COFRAC, qui est chargé d’une mission de service public et dispose d’un monopole national pour son action. En pratique, ce sont les pairs qui conduisent les accréditations et contrôlent la conformité des équipements et des pratiques à la norme définie par l’Association française des normes. On ne peut donc affirmer que le niveau de contrainte serait sans lien avec la pratique quotidienne et la réalité des procédures, car ce sont des praticiens de terrain qui exercent à temps partiel la fonction d’accréditeur.
J’insiste sur le fait que l’accréditation ne se substitue pas au contrôle que doivent exercer les agences régionales de santé, les ARS, sur les laboratoires. Madame la ministre, peut-être pourrez-vous nous apporter des précisions sur les moyens, notamment informatiques, qui seront mis à leur disposition pour exercer cette mission.
Par ailleurs, je ne pense pas que le choix du mode de garantie de la qualité des examens de biologie médicale recouvre une volonté de regroupement du secteur. Le regroupement des entités qui détiennent les laboratoires et la fermeture des sites des laboratoires de biologie médicale sont en effet deux choses différentes. L’obligation de concentration imposée par les appareils et leurs coûts est contrebalancée par deux éléments. D’abord, la pratique ancienne des industriels du secteur est de prêter les appareils aux laboratoires afin de vendre les consommables. Surtout, rien n’empêche des biologistes d’ouvrir, dans le respect des règles d’implantation, de nouveaux laboratoires accrédités utilisant des technologies plus compactes.
Des questions se posent néanmoins relativement au coût de l’accréditation. D’après la direction générale de la santé, celui-ci représenterait 1 % à 2 % du chiffre d’affaires ; l’ordre des médecins, dont nous avons auditionné des représentants, l’évalue plutôt au double. Ce débat et celui qui porte sur la nature juridique du COFRAC – ce comité est une simple association – m’ont conduit à demander à la commission des affaires sociales d’inscrire l’accréditation en santé humaine parmi les sujets dont elle confie l’examen à la Cour des comptes. Plusieurs amendements ont par ailleurs été déposés, et nous attendons des précisions du Gouvernement sur ce point.
Le refus de la financiarisation de la profession constitue la seconde priorité de la proposition de loi. Sans porter de jugement sur l’éthique des entreprises d’actionnaires détenant plusieurs laboratoires, l’indépendance des biologistes de laboratoire est mieux garantie par la possibilité pour eux d’acquérir une fraction, voire la totalité du laboratoire dans lequel ils travaillent. C’est le cas pour 85 % des laboratoires, et cette proportion devrait rester stable ou augmenter du fait de l’application des dispositions des articles 8 et 9 de la proposition de loi, qui limitent les formes juridiques que sont susceptibles de prendre les laboratoires de biologie médicale.
Plusieurs professionnels libéraux s’inquiètent des possibilités de contournement des restrictions qui seraient imposées par le législateur. Je considère cependant qu’il convient de ne pas rendre trop complexes les normes applicables à l’exercice libéral de la profession, sous peine d’augmenter le nombre de contentieux et, surtout, de risquer une condamnation sur le fondement du droit européen de la concurrence. Une telle condamnation priverait en effet les biologistes de toute protection.
De plus, conformément à la position constante du Sénat, l’article 5 de la proposition de loi interdit, en dehors du cadre des contrats de coopération passés entre laboratoires, de déroger au prix réglementé des actes, et donc de pratiquer des tarifs inférieurs, communément appelés « ristournes ». Il convient de noter que l’interdiction porte également sur la pratique des dépassements d’honoraires.
La proposition de loi traite également, à son article 6, de la question du recrutement de personnels enseignants et hospitaliers universitaires non titulaires du DES – diplôme d’études spécialisées – de biologie médicale. La position adoptée par la commission des affaires sociales est une position de compromis, qui permet de concilier les préoccupations des biologistes hospitaliers et des doyens de faculté, et qui ne saurait être remise en cause sans compromettre cet équilibre.
Il m’est apparu qu’un accès dérogatoire à ces postes était rendu nécessaire par les impératifs des activités spécifiques de soins, de recherche et d’enseignement des CHU. Le DES de biologie médicale permet en effet de former des biologistes généralistes compétents, mais ne forme pas spécifiquement aux surspécialités sur lesquelles repose la biologie médicale hospitalo-universitaire, telles que la biochimie-biologie moléculaire, la parasitologie ou encore l’immunologie. Il est donc crucial d’ouvrir les équipes hospitalo-universitaires à des personnels ayant une double compétence dans les spécialités cliniques et dans les surspécialités considérées, tant pour assurer la dimension médicale de l’enseignement en DES de biologie médicale que pour préserver la qualité des soins en CHU.
Il ne s’agit pas pour autant d’ouvrir ces postes à l’ensemble des scientifiques ; car cette demande nous a été faite. Seuls des médecins ou pharmaciens pourront y accéder, conformément à l’objectif de médicalisation qui guide cette proposition de loi, et ils ne pourront exercer que dans leur surspécialité.
Un dernier point me semble important. La réforme de 2010 impose les mêmes obligations aux secteurs public et privé. L’accréditation s’impose à tous et à tous les actes de biologie, ce qui signifie que les laboratoires hospitaliers ne disposent pas d’une présomption de conformité. Je note d’ailleurs que les laboratoires des hôpitaux publics sont en cours de restructuration rapide et qu’ils se sont pleinement engagés dans le processus d’accréditation. On peut néanmoins regretter que le dialogue entre secteurs public et privé reste difficile et marqué par le soupçon réciproque d’une volonté d’expansion.
Dans l’ensemble, l’ordonnance de 2010 est, malgré ses défauts, porteuse d’un renouveau de la biologie médicale, auquel nous pouvons tous adhérer et qui doit maintenant être consacré par la loi. J’estime que, après trois ans de débats, la procédure accélérée prend tout son sens, et je suis convaincu que nous parviendrons, au plus tard en commission mixte paritaire, à trouver une rédaction qui pourra être largement adoptée. §