Intervention de Laurence Cohen

Réunion du 31 janvier 2013 à 15h00
Réforme de la biologie médicale — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Laurence CohenLaurence Cohen :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par notre collègue Jacky Le Menn est d’une grande importance puisqu’elle a l’ambition de freiner la financiarisation du secteur libéral de la biologie médicale et de renforcer la sécurité des examens pratiqués.

Il s’agit d’un sujet techniquement complexe dont les enjeux sont essentiels non seulement en termes de santé publique, d’accès aux soins au sens large, de vie et de dynamisme de nos territoires, mais aussi pour tout ce qui touche au cadre même de l’exercice de la profession.

Cette pluralité d’enjeux explique sans doute le cheminement particulier, commencé par la voie d’une ordonnance et déjà passé par quatre textes, de la réforme de la biologie médicale. C’est ainsi que la présente proposition de loi est la cinquième occasion récente pour notre assemblée de se pencher sur ce sujet.

J’y vois, mes chers collègues, la validation du bien-fondé de notre opposition à l’utilisation de l’article 38 de la Constitution, qui, au lieu de permettre une application rapide de l’ordonnance du 13 janvier 2010, aura surtout permis de créer une instabilité juridique dont personne ne peut se réjouir.

Pour notre part, cette ordonnance n’est pas sans nous inquiéter ou, pour le moins, nous interroger. Notre groupe l’avait d’ailleurs explicitement dit en 2009, par la voix de notre ancien collègue François Autain, lors de la présentation du projet de loi de ratification par la ministre de l’époque, Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Nous avions accueilli avec satisfaction la disposition portant création d’un article 6213-2 au sein du code de la santé publique, article qui prévoyait que seul un titulaire du diplôme d’études spécialisées de biologie médicale pourrait exercer la responsabilité de biologiste médical.

Nous avons pris acte des modifications proposées à cet égard dans la présente proposition de loi. Notre groupe défendra un amendement identique à celui qui a été déposé par nos collègues du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste de l’Assemblée nationale lors de l’examen de la proposition de loi présentée par Mme Valérie Boyer.

En revanche, nous avions été et nous demeurerons particulièrement vigilants sur le fait qu’en application de l’ordonnance, que l’article 1er de la proposition de loi vise donc à ratifier, un laboratoire médical pourra demain être considéré comme une structure constituée d’un ou plusieurs sites où pourront être effectués les examens de biologie médicale.

Nous y voyons deux risques, qui inquiètent également de nombreux professionnels et patients.

Le premier de ces risques est la transformation de certains laboratoires médicaux existants en de simples structures de prélèvements dont les analyses seraient effectuées au sein d’une structure mère regroupant des machines particulièrement performantes, hautement techniques et coûteuses.

Cet éloignement entre le lieu de prélèvement et celui dans lequel est réalisé l’examen biologique à proprement parler peut engendrer certaines difficultés inhérentes à un traitement à grande échelle. Le transfert des prélèvements vers le centre d’analyse n’est pas sans supposer également quelques risques. Notre rapporteur partage en partie nos craintes puisqu’il a pris soin, en commission des affaires sociales, de présenter un amendement précisant que « les examens de biologie médicale sont pratiqués dans des conditions permettant le traitement des situations d’urgence ».

Chacun mesure, en effet, combien les analyses biologiques peuvent jouer un rôle majeur, voire vital, dans la détermination de la pathologie. Cette précision, utile face aux éventuels dangers, nous semble, certes, protectrice, mais assez faiblement, raison pour laquelle nous avons déposé de nouveaux amendements.

Le second risque est la financiarisation du secteur de la biologie médicale. Personne ne l’ignore, certains groupes financiers sont aux aguets et tentent, depuis plusieurs années, de conquérir la biologie médicale, comme ils l’ont déjà fait dans d’autres pays ou dans d’autres secteurs économiques. Pour eux, la santé n’est qu’un marché dont les différents acteurs ne sont que des opérateurs.

Disant cela, je pense particulièrement à l’action en justice introduite par la Commission européenne contre la France à la suite de la plainte de l’un de ces grands groupes financiers nous reprochant, ni plus ni moins, d’avoir une législation nationale incompatible avec la directive dite « services », qui exige la libre concurrence.

L’arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes, devenue, depuis, la Cour de justice de l’Union européenne, a conforté notre droit interne. L’alinéa 89 de cet arrêt, qui ne souffre aucune interprétation, autorise en effet clairement la France à prendre les mesures qu’elle estime nécessaires, y compris en réduisant l’applicabilité des principes de libre concurrence et de liberté d’installation, dès lors que ces restrictions sont justifiées par un objectif de santé publique.

C’est la pleine reconnaissance par la Cour européenne de l’application du principe de subsidiarité en matière de santé. C’est dire que nous n’avons pas à craindre qu’une éventuelle législation nationale limitant l’accès des groupes financiers au capital des laboratoires de biologie médicale ne soit sanctionnée.

Nous proposerons donc une série d’amendements à l’article 8 dont l’esprit est de réduire clairement, dans les laboratoires existants comme dans ceux qui se créeraient demain, soit ex nihilo, soit du fait d’une fusion ou d’un regroupement, la part totale de capital social et de droit de vote détenu par les groupes financiers.

Nous ne pouvons pas accepter que, par le biais de holdings et de sociétés en cascade, la quasi-totalité des parts de certains laboratoires de biologie médicale soit détenue par des personnes morales exerçant la biologie médicale, c’est-à-dire par des groupes financiers qui n’ont qu’un objectif, accroître leurs dividendes en « cannibalisant » le monde de la santé.

Enfin, je dois vous dire que les dispositions relatives à l’accréditation suscitent notre inquiétude. Bien entendu, comme notre rapporteur et comme le Gouvernement, comme d’ailleurs l’ensemble de nos concitoyennes et concitoyens, nous sommes vigilants en matière de sécurité sanitaire. Il n’y a pas, d’un côté, celles et ceux qui voudraient garantir la sécurité des patients et, de l’autre, ceux qui pourraient l’ignorer.

Pour autant, nous ne sommes pas dupes et savons pertinemment que, malgré les amendements présentés par notre rapporteur et adoptés par la commission des affaires sociales, un grand nombre d’établissements de proximité ne pourront pas entreprendre les travaux et mises aux normes exigées pour pouvoir être accrédités. Ces derniers n’auront alors plus que deux choix : fermer, en agrandissant encore un peu plus ces déserts sanitaires que nous combattons, ou bien vendre aux groupes financiers, au risque de voir l’activité des centres se réduire aux seuls prélèvements.

Fondé sur un principe de sécurité sanitaire, sans accompagnement particulier, notamment financier, le passage des normes existantes à l’accréditation pourrait ainsi participer, au final, à ce mouvement de financiarisation que la présente proposition de loi entend pourtant freiner. Je pense en particulier aux centres de santé.

Vous le voyez, mes chers collègues, nos inquiétudes sont grandes et les réponses apportées par cette proposition de loi n’y répondent pas totalement. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé plusieurs amendements, et c’est au regard du traitement qui leur sera réservé ainsi que de la nature de nos échanges que notre groupe se déterminera quant à son vote sur l’ensemble de la proposition de loi. §

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