Intervention de Laurence Cohen

Réunion du 5 février 2013 à 14h30
Réforme de la biologie médicale — Article 8, amendements 50 100

Photo de Laurence CohenLaurence Cohen :

L’article 8 de cette proposition de loi a pour vocation de freiner un mouvement dont nous refusons de croire qu’il est inéluctable, celui de la financiarisation de la biologie médicale et, à travers elle, de tout notre système de santé.

Un certain nombre d’acteurs, en réalité des groupes financiers plus intéressés par les dividendes qu’ils pourraient tirer des laboratoires de biologie médicale que par la satisfaction des besoins de santé des populations, sont à la manœuvre. Dans le secteur de la biologie médicale, cela a conduit à la saisine de la Commission européenne à l’encontre de la France.

Une procédure identique avait par ailleurs été engagée en Allemagne après qu’un ministre d’un Land eut autorisé une société anonyme néerlandaise à exploiter une pharmacie. Cette autorisation fut contestée devant le tribunal administratif du Land de la Sarre par plusieurs pharmaciens et leurs associations professionnelles pour non-conformité à la législation allemande. En effet, celle-ci, comme celle de nombreux autres pays, réserve aux seuls pharmaciens le droit de détenir et d’exploiter une pharmacie : une restriction justifiée – comme ici pour la biologie médicale – par des impératifs de santé publique.

La Cour de justice des Communautés européennes, qui voyait dans cette mesure une entrave à la liberté d’établissement et à la libre circulation des capitaux, a considéré qu’un État membre pouvait légitimement, sans enfreindre les règles européennes, prendre des mesures qui réduisent un risque pour la santé publique et décider du niveau de protection de la santé publique.

Cet exemple, couplé à l’action introduite par la France, nous permet de tirer deux enseignements.

Tout d’abord, les États membres peuvent prendre les mesures qu’ils estiment nécessaires – ce qui est peut-être de nature à rassurer notre rapporteur. Nous proposerons donc, sans crainte de méconnaître les obligations européennes, une série d’amendements sur ce sujet.

Ensuite, cela nous montre comment les groupes financiers tentent parfois d’accaparer, en Europe, le domaine de la santé, dans lequel ils ne voient qu’un marché à conquérir.

Dès lors, il convient de tout mettre en œuvre non seulement pour freiner la financiarisation mais également pour y mettre un terme. Nous savons pertinemment que les mesures prévues dans cet article, si elles sont salutaires pour les laboratoires qui pourraient se créer après la promulgation de la loi, ne sont pas suffisantes.

Nous avons soutenu l’amendement déposé par notre rapporteur en commission et tendant à compléter l’article par un rappel des dispositions de l’article 5 de la loi du 31 décembre 1990, à savoir que la majorité du capital social d’une société exploitant un laboratoire de biologie médicale doit être détenu par les biologistes exerçant au sein de la société d’exercice libéral. Toutefois, cet amendement ne fait pas la distinction entre des biologistes personnes morales et les biologistes personnes physiques. Or c’est un point essentiel. Un groupe financier espagnol ou portugais prenant la forme d’une société reconnue dans leurs pays respectifs comme exerçant la biologie médicale pourrait ainsi détenir 50 %, voire 100 % du capital social et des droits de vote.

Qui plus est, l’alinéa 4 de cet article exclut l’application de cette mesure aux laboratoires existants. Or ces derniers sont bien plus nombreux que ceux qui pourraient se constituer dans le futur, notamment en raison des contraintes liées à la procédure d’accréditation. Là encore, ce risque a été mis en avant par les professionnels : je pense particulièrement aux jeunes biologistes qui, pour reprendre leurs propos, « n’auraient en effet plus la possibilité de devenir propriétaires de leur outil de travail ». Leur horizon se restreindrait alors à deux options : le salariat ou l’extension du statut particulièrement précaire de travailleur non salarié.

Cette financiarisation, mes chers collègues, est déjà une réalité. Une holding, celle qui est à l’origine de la plainte devant la Commission européenne, détient déjà plus de 130 laboratoires en France et nous craignons que, par un jeu de propriété en cascade, ce mouvement ne continue de s’amplifier, même si sa progression n’est pas aussi rapide que les groupes l’espèrent.

Cela nous a conduits à déposer des amendements, considérant qu’il faut apporter à cet article, et d’une manière générale à la protection de notre système de santé, des protections plus nettes que celles qui sont actuellement prévues dans cette proposition de loi.

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