Intervention de Hervé Maurey

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 5 février 2013 : 1ère réunion
Présence médicale sur l'ensemble du territoire — Examen du rapport d'information

Photo de Hervé MaureyHervé Maurey, rapporteur :

Outre les auditions que nous avons réalisées, nous avons recueilli une cinquantaine de contributions via l'« espace participatif » mis en place sur le site internet du Sénat et nous avons adressé des questionnaires aux médecins de nos départements respectifs. Le rapport, intitulé « Déserts médicaux : agir vraiment », a été adopté à l'unanimité au sein du groupe de travail.

Des inégalités dans la répartition territoriale de l'offre de soins existent, qui tendent à s'accroître. Paradoxalement, le nombre des professions de santé est globalement suffisant, puisque la France compte près de 200 000 médecins et, avec une densité moyenne de 330 médecins pour 100 000 habitants, se classe au-dessus de la moyenne des pays de l'OCDE. Le problème vient des inégalités de répartition, avec des densités qui varient, d'un département à l'autre, de un à deux pour les médecins généralistes libéraux, de un à huit pour les spécialistes, ou de un à neuf pour les infirmiers libéraux. Ces inégalités sont encore plus criantes à un niveau infra-départemental : même des départements bien dotés en professions de santé, comme les Alpes-Maritimes, comptent des déserts médicaux.

En outre, l'accès aux soins est souvent difficile pour nos concitoyens. Selon la direction générale de l'offre de soins du ministère de la santé, 95 % de la population métropolitaine se trouve à moins de 15 minutes de trajet des soins de proximité fournis par les médecins généralistes, les infirmiers, les masseurs-kinésithérapeutes et les chirurgiens-dentistes libéraux. Mais qu'en est-il pour les 5 % restants, soit plus de trois millions d'habitants ? Surtout, plus que la distance, c'est le temps d'attente pour obtenir une consultation qu'il faut considérer : 4 jours en moyenne pour consulter un généraliste, mais de 3 à 4 mois pour un ophtalmologue, et parfois jusqu'à 18 mois selon une enquête de l'UFC Que Choisir. Ainsi, 58 % des Français auraient déjà renoncé à des soins en raison de la difficulté d'obtenir un rendez-vous.

Enfin, les perspectives sont inquiétantes. L'impact décalé dans le temps du resserrement du numerus clausus jusque dans les années quatre-vingt-dix se traduira par une diminution de près de 10 % du nombre des médecins entre 2010 et 2020, alors que la demande de soins augmente, notamment en raison du vieillissement de la population. Diminution du nombre des médecins, mais aussi réduction du temps d'exercice médical : d'une part, les jeunes générations de médecins ne sont plus disposées à travailler 60 ou 70 heures par semaine - d'où leur préférence pour l'exercice salarié -, d'autre part, la charge des tâches administratives s'alourdit. De plus, selon une enquête réalisée pour le conseil national de l'Ordre des médecins, 63 % des étudiants en médecine n'envisagent pas d'exercer en zone rurale.

Les mesures mises en place par les gouvernements successifs pour remédier à l'existence de déserts médicaux, qu'elles soient d'ordre structurel ou incitatif, n'ont pas eu les effets escomptés.

La planification régionale de l'offre de soins a été élaborée sous la responsabilité des agences régionales de la santé (ARS) créées par la loi « hôpital, patients, santé et territoires », dite HPST, du 21 juillet 2009. Mais dans les schémas régionaux de l'offre de soins (SROS) seul le volet hospitalier demeure opposable, le volet ambulatoire ne l'est plus depuis la « loi Fourcade » de 2011.

La permanence des soins n'apporte de réponse aux besoins des patients qu'aux heures de fermeture des cabinets médicaux et ne résout pas la question de la désertification.

Le soutien au développement des maisons et pôles de santé est une autre réponse : il existe déjà environ 400 structures de ce genre et 1 000 projets seraient en cours. Toutefois, leurs coûts de fonctionnement sont plus élevés que ceux d'un cabinet médical traditionnel, et le mode de rémunération à l'acte est inadapté à un exercice pluriprofessionnel coordonné. Ces structures contribuent à accélérer le processus de concentration géographique des professionnels de santé. Enfin, certaines maisons de santé ne disposent pas de médecin !

La dernière réponse structurelle consiste en une régulation des installations. Le dispositif le plus ancien concerne les pharmacies. Le mécanisme a été appliqué aux infirmiers en 2008 et pérennisé en 2011. Il a été étendu en 2012 aux masseurs-kinésithérapeutes, aux sages-femmes, aux chirurgiens-dentistes et aux orthophonistes. Le principe est celui de la liberté d'installation, mais si la zone est déjà sur-dotée, le nouveau venu ne peut bénéficier du régime de conventionnement. Grâce à cette mesure, depuis 2008, le nombre d'installations d'infirmiers en zones sous-dotées a augmenté.

Il existe un ensemble de dispositifs incitatifs financés par l'État, l'assurance maladie, ou les collectivités territoriales. La Cour des comptes a souligné leur absence de lisibilité. Elle n'est pas parvenue à en évaluer les coûts globaux, même si certaines mesures sont très onéreuses : de l'ordre de 50 000 euros en exonérations fiscales et sociales à la charge de l'État pour chaque installation en zone de revitalisation urbaine ou rurale. De même, aux termes de l'avenant n° 20 à la convention médicale de 2005, l'assurance maladie garantit une majoration de 20 % des honoraires des médecins s'installant dans les zones sous-dotées. Selon la Cour des comptes, cette mesure, qui a coûté 20 millions d'euros, pour 773 bénéficiaires en 2010, ne s'est traduite que par un apport net de l'ordre de 50 médecins dans les zones déficitaires depuis 2007. Elle a surtout produit un effet d'aubaine.

La loi HPST a créé un contrat d'engagement de service public (CESP). Il s'agit d'une allocation de 1 200 euros par mois offerte aux étudiants en médecine en échange de leur engagement d'exercer dans des zones sous-dotées. Seuls 350 CESP ont été signés : non seulement le dispositif est insuffisamment connu mais les étudiants en médecine sont de plus en plus issus d'un milieu aisé ; et tous hésitent à s'engager avant même d'avoir choisi une spécialité et une région d'installation.

Enfin, depuis la loi de 2005, les collectivités territoriales sont autorisées à attribuer des aides aux maisons médicales, ou à octroyer des bourses d'étude aux étudiants qui s'engagent à exercer dans une zone déficitaire. Mais ces systèmes sont opaques. J'ai écrit aux vingt-six ARS pour leur demander des éléments d'évaluation ; dans leur très grande majorité, elles n'ont pas été en mesure de me communiquer de chiffres.

Ces résultats peu encourageants nous incitent à faire montre de volonté et de courage pour agir, sans tabou ni a priori. Il est nécessaire d'intervenir sur tous les registres.

Le premier registre concerne les études de médecine : celles-ci forment des praticiens hospitaliers plus que des médecins. Il faut engager une réflexion approfondie sur la sélection initiale, brutale, fondée sur les disciplines scientifiques et qui favorise les étudiants des milieux urbains et aisés, car le passage par une « prépa » privée est devenu indispensable. Et les jeunes citadins ont peu d'appétence pour s'installer en milieu rural ! Diversifions les matières enseignées, avec des cours de gestion, de communication, de psychologie, d'éthique, d'économie de la santé.

Moins de la moitié des étudiants accomplissent effectivement, en cours de deuxième cycle, le stage d'initiation à la médecine générale qui est pourtant obligatoire. Je propose que ce stage conditionne la validation du deuxième cycle des études médicales. Encore faut-il prévoir des aides au logement, un accompagnement, un accueil approprié des stagiaires.

Enfin il est nécessaire de régionaliser les épreuves classantes, en adaptant le nombre de postes ouverts aux besoins de chaque région. Aujourd'hui, la liste est nationale. Et des étudiants préfèrent redoubler plutôt que de devenir généraliste. Un décret de 2011 a cependant limité les possibilités de redoublement. L'instauration d'une quatrième année, professionnalisante, dans le cadre du troisième cycle de médecine générale, comme l'a suggéré l'Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG), est également intéressante, surtout si elle se déroule dans des territoires sous-dotés.

Un autre registre dans la lutte contre les déserts médicaux consiste à raisonner à l'échelle de territoires. Notre collègue Pierre Camani nous a présenté l'expérience exemplaire du Lot-et-Garonne qui a mis en place une commission de la démographie médicale associant l'ARS, le conseil départemental de l'Ordre des médecins et l'assurance maladie. Le territoire du département a été réparti en quinze « aires de santé », dans le cadre desquelles la commission valide les projets de pôles ou maisons de santé, en fonction des besoins.

Favorisons les délégations de tâches des médecins vers d'autres professions de santé, comme les infirmières ou les pharmaciens. Les médecins généralistes auront ainsi un peu plus de temps d'activité médicale, ils pourront prendre en charge certains des actes aujourd'hui réalisés par les spécialistes.

Encourageons l'exercice regroupé pluriprofessionnel, dans le cadre de maisons de santé. De nouveaux modes de rémunération forfaitaire sont indispensables, comme des « forfaits structure » pour couvrir les frais induits. Revoyons aussi le mode de rémunération à l'acte : ainsi, pour les pathologies lourdes, un mandat de santé publique, avec rémunération forfaitaire, serait plus pertinent.

Améliorons le statut du médecin retraité actif : ceux qui poursuivent leur activité cotisent à la retraite sans en retirer un quelconque bénéfice. Dans les zones sous-dotées, une exonération de cotisations serait bienvenue.

Encourageons également le recours à la médecine salariée, à l'image du centre de santé de La Ferté-Bernard, que son maire nous a décrit, ou à la télémédecine, qui nécessite une couverture en haut débit adaptée et l'établissement d'une cotation tarifaire spécifique aux actes de télémédecine.

Troisième registre : il apparaît nécessaire de procéder à un audit approfondi de l'ensemble des mesures d'incitation. Inutile de financer des maisons de santé qui ne comptent pas de médecins ! Les agences régionales de santé doivent constituer, comme le propose le ministère de la santé, le point d'entrée unique des aides financières. Un référent en leur sein sera le garant de la coordination des aides et d'une bonne information à l'attention des étudiants, souvent ignorants les dispositifs en vigueur.

Enfin, la régulation. Les mesures progressivement mises en place depuis 2008 ont eu des résultats probants. Nous nous sommes rendus à Berlin pour étudier le fonctionnement du système allemand, où la régulation a été introduite en 1992. Je propose d'étendre aux médecins le conventionnement sélectif en fonction des zones d'installation, tel qu'il s'applique déjà aux principales autres professions de santé. Le conventionnement serait réservé aux zones sous-dotées définies par les ARS, sauf reprise d'un cabinet en cas de départ à la retraite ; les dispositifs incitatifs seraient recentrés sur les zones sous-dotées.

Doit-on aller au-delà ? Instaurer une obligation de service des médecins en début de carrière dans les zones sous-dotées ? Subordonner à une autorisation des ARS l'installation dans les zones surdenses, comme le proposait Jean-Marc Ayrault, en 2011, dans une proposition de loi ? Nous avons conclu qu'il fallait d'abord prendre des mesures fortes concernant les spécialistes. Dans certains départements dépourvus de CHU, on n'en trouve plus. A Châteauroux, il n'y a plus de cardiologue et l'hôpital surpaie des vacations ponctuelles de spécialistes ou recrute des médecins étrangers qui ne maîtrisent pas toujours notre langue ou dont le diplôme n'est pas reconnu - on les laisse tout de même exercer, car on a besoin d'eux... Je préconise d'instaurer pour les médecins spécialistes une obligation d'exercer pendant une période de deux ans dans les hôpitaux de chef-lieu, si une pénurie a été constatée par l'ARS.

En ce qui concerne les médecins généralistes, il est important que les étudiants prennent conscience qu'une telle régulation est susceptible d'être mise en place dans l'avenir et que les règles du jeu peuvent changer. Certes cette mesure créerait une inéquité entre générations, mais à s'en tenir à cet argument, toute réforme serait impossible en France !

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