Comme l'a souligné devant nous Frédéric Cuvillier, le projet de loi portant « diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transports » comporte, dans ses vingt-cinq articles, des mesures « diverses », mais qui n'en sont pas moins importantes.
C'est vrai pour la majoration des tarifs du transport routier prévue à l'article 7 pour accompagner l'écotaxe poids lourds. C'est vrai, encore, pour l'application des conditions sociales de travail françaises sur les navires effectuant des services dans les eaux territoriales nationales : le Gouvernement va aux limites « eurocompatibles » de ce qu'il lui est possible de faire pour protéger les marins français et l'emploi maritime dans son ensemble.
Ces « diverses dispositions », également, apportent des solutions pratiques à des problèmes identifiés de longue date et qui trouvent parfois leur source dans le génie administratif consistant - trop souvent - à compliquer la gestion des choses. Incohérences ou contradictions entre les textes, applications incomplètes, transpositions imparfaites, procédures brillant par leur complexité, tel est le bréviaire trop commun des tracasseries qu'il faut régulièrement lever, par des textes eux-mêmes peu digestes mais fort utiles en pratique.
Dans leur ensemble, les mesures présentées ici servent l'objectif général de rendre nos transports plus « propres » et plus efficaces, au service de la transition écologique de notre économie. Je les présenterai par grand thème et dans l'ordre des articles.
Les mesures relatives au ferroviaire, soit les articles 1er à 4, sont techniques et n'empiètent pas sur la grande réforme annoncée pour la fin du premier semestre. Elles précisent les textes pour mieux protéger le domaine public ferroviaire, assurer plus de transparence des comptes de la SNCF et faciliter la coopération transfrontalière en matière de transport de voyageurs. Je vous proposerai de les adopter conformes, en y ajoutant un amendement accentuant la transparence des comptes de la SNCF sur les lignes ferroviaires régionales.
Les mesures relatives aux transports routiers concernent les articles 5 à 12. L'article 5 prévoit le reclassement dans la voirie départementale et communale de 250 kilomètres de courtes sections de routes nationales, contre compensation financière.
La mesure principale est le mécanisme de majoration des prix du transport lié à l'écotaxe poids lourds. Engagement du Grenelle de l'environnement, l'écotaxe a été adoptée dans la loi de finances pour 2009, mais son mécanisme a été revu à plusieurs reprises, à l'occasion des lois de finances pour 2011 et pour 2013.
Comme Francis Grignon l'a rappelé lors de l'audition du ministre, l'idée d'une taxe poids lourds est d'abord venue d'Alsace, région qui a subi les reports de poids lourds liés à l'instauration d'une taxe kilométrique en Allemagne. Pour cette raison on a envisagé, par la suite, qu'une « expérimentation » alsacienne devrait précéder la mise en place de la taxe sur l'ensemble du territoire national.
La collecte de ces deux taxes - alsacienne et nationale - a fait l'objet d'un partenariat public privé remporté par le prestataire Ecomouv', non sans quelques péripéties juridiques qui ont fait perdre du temps. L'écotaxe devrait être opérationnelle le 20 juillet 2013 et la taxe alsacienne seulement trois mois avant, le 20 avril. Dans ce cadre, il n'est plus possible de considérer cette taxe alsacienne comme une expérimentation préalable à la taxe nationale, d'autant plus que leurs assiettes diffèrent. La taxe alsacienne ne concerne que les poids lourds de plus de douze tonnes, à l'instar de la taxe kilométrique allemande, alors que la taxe nationale concernera les poids lourds de plus de 3,5 tonnes. La taxe alsacienne ne se justifie plus et elle porte atteinte à l'égalité de nos territoires. Je suis donc plutôt favorable à son abrogation. Son maintien mettrait en difficulté les transporteurs bien au-delà du périmètre alsacien, puisqu'il les obligerait à équiper, par anticipation, tout leur parc, dans la mesure où ils ne savent pas toujours à l'avance lesquels de leurs véhicules traverseront la région Alsace pendant les trois mois où cette taxe sera en vigueur.
L'article 7 aborde le sujet de la prise en compte de cette écotaxe dans le tarif des transports, question d'autant plus aiguë que son entrée en vigueur est imminente. Il s'agit d'un engagement du Grenelle : l'écotaxe ne doit pas se faire au détriment des transporteurs routiers. L'application du principe de « l'utilisateur-payeur », permet de peser le moins possible sur l'équilibre économique déjà fragile du transport routier de marchandises. Les modalités de ce mécanisme de répercussion ont été précisées par le précédent Gouvernement dans un décret publié le 6 mai 2012 - date ô combien symbolique...
Ce décret a fait l'unanimité contre lui. Véritable « usine à gaz », le dispositif crée une surcharge administrative sans précédent et difficile à assumer pour les entreprises de transport, alors que 82 % d'entre elles ont moins de dix salariés ! Ensuite, il rend plus incertains les tarifs du transport, ce qui est une gêne pour les chargeurs. Les transporteurs ont, pour leur part, regretté que leurs frais de gestion liés à la taxe ne soient pas pris en compte.
Rejeté par tous, le décret a fait l'objet d'un recours devant le Conseil d'État. Le mécanisme de majoration forfaitaire automatique, instauré par cet article, a pour objet de le remplacer. Certes, ce dispositif comporte des limites. Il ne répercute pas directement, au réel, la taxe payée par le transporteur pour un transport de marchandises en particulier : figurant dans le dispositif antérieur, cette mesure est impossible à mettre en oeuvre dans les faits.
La majoration forfaitaire est, au fond, la seule modalité d'application qui « tient la route » : elle est simple et lisible, puisque la majoration s'applique à tous les tarifs de transport a priori ; elle est complète, puisqu'elle prend en compte les frais de gestion de l'écotaxe et, surtout, elle est directement opérationnelle. J'ai entendu les craintes des déménageurs, des grossistes, et encore des coopératives, si importantes pour l'activité dans les territoires ruraux. Une nouvelle taxe n'est jamais une bonne nouvelle pour celui qui la paie, mais il convient de ramener les choses à leur juste proportion. Je vous proposerai que le Gouvernement remette au Parlement un rapport détaillé sur les effets de ce dispositif, d'ici la fin 2014.
Ce texte, ensuite, comporte trois articles sur le transport fluvial, qui répondent, là encore, à ce génie « complicateur » de la codification, en réparant par exemple un oubli en matière de droit de ports pour le Port autonome de Paris. L'article 12 renouvelle la procédure de déplacement d'office des bateaux et autres engins flottants dont le stationnement compromet la sécurité ou gêne l'exercice de la navigation sur les voies d'eau. Ce sera très utile pour régler le problème des épaves fluviales et autres engins « ventouses », qui sont souvent habités. Je fais confiance au gestionnaire de la voie d'eau pour utiliser les nouvelles procédures à bon escient, dans l'intérêt de la voie d'eau et de ses usagers, y compris de ceux qui ont fait le choix d'habiter sur l'eau. De mauvaises habitudes ont été prises ici et là, à la faveur d'une certaine impunité. La voie d'eau doit servir davantage au transport, et être mieux valorisée. Je vous proposerai cependant deux amendements précisant que les frais de garde du bateau déplacé sont bien à la charge de son propriétaire.
Les neuf articles consacrés aux transports maritimes portent des réformes importantes. L'article 15 renouvelle les moyens d'actions envers les navires abandonnés, en accélérant la déchéance de propriété et en identifiant clairement les responsabilités et la répartition des charges entre autorités publiques. Chaque année, des navires retenus à quai, pour des motifs de sécurité ou économiques, sont abandonnés par leurs propriétaires, véritables « voyous des mers », souvent avec leur équipage et des arriérés de salaires. Les autorités locales sont confrontées à un véritable casse-tête ; le navire à quai se détériore jusqu'à devenir une source de pollution, un problème pour la vie de tous les jours. L'immobilisation représente un coût, la vente du navire pour démantèlement s'annonce parfois déficitaire, on ne sait pas bien qui doit payer : quand plusieurs centaines de milliers d'euros sont en jeu et que les responsabilités s'entrecroisent entre l'État et les collectivités locales, l'action publique devient elle-même une source de retard. A Brest, par exemple, un navire poubelle est à quai depuis quatre ans... L'article 15 précise utilement les responsabilités ; ces nouvelles règles sont très attendues dans les ports maritimes : je vous proposerai de les adopter sans modification.
Deuxième réforme attendue : l'application des grands principes de notre droit social aux navires qui viennent travailler dans nos eaux intérieures et territoriales. Le droit social applicable aux navires battant pavillon étranger relève d'une casuistique complexe, selon leur espèce, selon leur taille et selon le service maritime qu'ils effectuent, en particulier dans le cas du cabotage, selon que celui-ci est continental, national ou encore dit « avec les îles ». L'Europe y a consacré deux règlements, la France plusieurs lois et un décret important en 1999, la jurisprudence européenne et nationale est abondante. Les États européens ont libéralisé le transport maritime en 1986. En 1992, ils ont traité à part le cas du cabotage avec les îles, c'est-à-dire les ferries, mais, faute d'harmonisation sociale et d'un «pavillon européen », des conditions de concurrence parfaitement déloyales s'exercent, au profit de navires battant le pavillon d'États de l'Union européenne qui jouent sur l'ambiguïté, sinon l'ambivalence, des règles européennes. La matière ne nous est pas inconnue : souvenons-nous de la « directive Services », dite « Bolkestein », et du succès que « le plombier polonais » a eu dans l'opinion... La question est plus radicale, car le droit maritime est bien plus libéral et difficile à contrôler que le droit social sur le territoire national.
Nous avons déjà évoqué ce sujet lorsqu'Evelyne Didier nous a présenté, en novembre dernier, une proposition de loi de son groupe sur le cabotage maritime.
Avec l'article 23, le Gouvernement va aussi loin que les règles européennes l'y autorisent, pour protéger l'emploi marin français. Ces mesures sont attendues par les marins : « les conditions de l'État d'accueil », c'est-à-dire les règles sociales et de sécurité que la France peut imposer aux navires des pavillons étrangers, sont étendues à tout le personnel navigant, et pas seulement aux membres de l'équipage, c'est un progrès évident pour la compétitivité des services délivrés à bord. Ensuite, et c'est audacieux, l'article 23 impose ces règles à tous les navires « utilisés pour fournir dans les eaux territoriales ou intérieures françaises des prestations de services ». D'après le ministère, cette notion très large de « services » englobe le remorquage, le lamanage, les travaux portuaires, les travaux publics en mer, comme l'installation d'éoliennes, l'extraction de matériaux et, d'une manière générale, toutes les activités à caractère commercial. Les navires qui rendent un service de façon tout à fait occasionnelle seront-ils concernés ? J'interrogerai plus précisément le ministre sur ce point, mais je me félicite d'ores et déjà de ces progrès importants.
En complément, avec l'article 20, le Gouvernement renforce les outils de contrôle, avec une nouvelle enquête nautique de nature administrative, plus facile à mobiliser que l'enquête judiciaire, et avec des amendes plus élevées.
Enfin, ce texte vise le transport aérien par un article de précision qui sécurise juridiquement les vols d'hélicoptères au dessus des villes pour leurs missions de secours et d'urgence, c'est bienvenu.
Ces mesures renforcent l'efficacité de nos transports. Nous poursuivons le travail de longue haleine entrepris depuis le Grenelle de l'environnement pour faire changer nos modes de transports ; nous aménageons les modalités de l'écotaxe poids lourds pour qu'elle pèse le moins possible sur les transporteurs eux-mêmes ; nous prenons des mesures très attendues dans nos ports maritimes. Je vous proposerai d'adopter ce texte utile, ainsi que quelques amendements, la plupart de pure forme.