Je répondrai de manière précise aux questions qui viennent d’être posées et qui, je pense, intéressent le Sénat dans son ensemble.
Quelle est la situation d’où nous partons ? Deux corps de contrôle et d’inspection interviennent dans le domaine de la surveillance des entreprises et de la protection des salariés : les inspecteurs et les contrôleurs du travail.
Cette division en deux corps est une spécificité française. La plupart des autres grands pays qui appliquent les conventions sur le droit du travail de l'Organisation internationale du travail, l’OIT, ne disposent que d’un seul corps, en général équivalent à notre corps de catégorie A, compte tenu de la technicité et de la qualification requises.
La France vit donc avec les inspecteurs et les contrôleurs. Un critère, que vous avez évoqué, monsieur Kerdraon, distingue les deux corps : la taille des entreprises qu’ils surveillent. La compétence des inspecteurs du travail porte sur les entreprises de plus de 50 salariés ; les contrôleurs travaillent dans les entreprises dont l’effectif est inférieur à ce seuil. Le raisonnement qui avait présidé à cette distinction a longtemps été valable : plus l’entreprise est grande, plus le travail est compliqué ; plus elle est petite, plus il est simple.
Cette distinction n’est plus pertinente aujourd’hui. En effet, de nombreuses modifications sont intervenues, beaucoup de grandes entreprises ont externalisé des activités vers des entreprises plus petites et le lien entre la petite et la grande entreprise est beaucoup plus serré. Le travail d’inspection ou de contrôle doit aujourd’hui être mené sur un réseau, un ensemble d’entreprises, et non pas simplement être divisé entre entreprises de plus ou moins 50 salariés. Il est donc absolument indispensable de mettre en place une autre manière de travailler.
Depuis longtemps, le corps des contrôleurs ressent comme une injustice profonde cette différence de statut et de rémunération, alors que son travail est souvent aussi compliqué, parfois même plus, que celui des inspecteurs, compte tenu de ces relations complexes entre petites et grandes entreprise. Ces dernières fonctionnent souvent, en outre, avec d’importants services de DRH, donc selon des mécanismes beaucoup plus simples. L’un de mes prédécesseurs au ministère du travail, M. Gérard Larcher, attachait d'ailleurs une grande importance aussi bien au corps des inspecteurs qu’au corps des contrôleurs ; il acquiescerait à mon observation s’il m’entendait.
Cette situation n’a donc plus de raison d’être. Elle crée chez les contrôleurs une frustration profonde, qui s’exprime depuis longtemps. Des tentatives de réforme ont déjà été menées, qui ont été évoquées, comme la création du nouvel espace salarial, le NES, que les personnels ont refusé. J’ai donc rouvert la discussion et la négociation pour trouver une solution.
Ce processus est également lié à une question posée par ce projet de loi, celle des moyens, qui est reprise par nombre d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs. Le nouveau dispositif va créer de nouvelles nécessités de contrôle, d’homologation, de vérification de la qualité des négociations et des plans mis en place. Il faudra bien contrôler que le contrat de génération en lui-même est bien respecté, en particulier en ce qui concerne les obligations en termes de formation des uns et des autres.
Un lien étroit existe donc entre la réforme qui vous est proposée dans cet article 5 bis, mesdames, messieurs les sénateurs, et la mise en œuvre, dans de bonnes conditions, de l’ensemble du projet de contrat de génération. C’est vrai également pour d’autres textes passés, sur les emplois d’avenir, ou à venir, concernant d’autres mesures.
Ce constat suscite deux questions, que vous avez posées l’un et l’autre, monsieur Watrin, monsieur Kerdraon.
Premièrement, s’agissant des contrôleurs eux-mêmes, nul ne peut refuser, vous l’avez dit, la possibilité qui est ouverte à 130 contrôleurs cette année et à 540 en l’espace de trois ans d’accéder au poste d’inspecteur du travail.
Néanmoins, vous posez avec raison la question inverse. Quel destin est-il prévu pour les autres ? Bien évidemment, je n’ai pas proposé de faire de faire de cet effectif de 540 le terme ultime de la réforme. Je l’ai déjà expliqué aux organisations syndicales, avec lesquelles des négociations continuent sur les modalités du processus.
Je propose 540 passages dans le corps des inspecteurs tout de suite, et pour cela cette disposition de caractère législatif est nécessaire, puis nous nous placerons dans un processus plus global de réforme au sein de la fonction publique. Le secteur qui nous occupe n’est en effet pas le seul où la différenciation entre inspecteurs et contrôleurs, entre corps de catégorie B+, comme l’on dit, et de catégorie A, pose question. D’autres corps de contrôle ou d’inspection, dans d’autres secteurs de l’État, sont confrontés à cette question, et une réforme globale sera donc mise en œuvre.
Selon moi, la disposition qu’il vous est demandé d’adopter, mesdames, messieurs les sénateurs, répond à l’urgence d’une revendication profonde et légitime du corps des contrôleurs. Toutefois, nous devons également nous placer dans la durée. Dans ce cadre, tous les postes de contrôleur du travail seront concernés dans les dix prochaines années. Nous proposons 130 passages en 2013, 540 dans les trois ans, et 3 234, en équivalents temps plein de contrôleurs, dans les dix ans.
Nous devons faire cette réforme progressivement, parce qu’il faut organiser un certain nombre d’examens professionnels et mettre en place des formations. En effet, il ne s’agit pas simplement d’un passage de contrôleur à inspecteur : il faut aussi vérifier que les agents concernés disposent bien des compétences nécessaires pour occuper ces nouveaux postes.
Telle était donc la première question. Ma réponse est que le processus ne concerne pas 540 contrôleurs puis plus personne, mais bien tout le monde, de façon progressive.
La seconde question concerne ma vision de l’inspection du travail. Certains – je ne mets pas en cause leur bonne foi – considèrent que cette démarche dissimule une certaine vision de l’avenir de l’inspection du travail.
C’est vrai, j’ai une vision de l’inspection du travail. Je me limiterai à quelques mots à cet égard, même si je puis être intarissable sur le sujet, compte tenu de la reprise du dialogue avec ces organisations syndicales. En effet, je préside moi-même les comités techniques paritaires ministériels et j’y attache beaucoup d’importance.
Toutes les organisations syndicales sont présentes autour de la table, alors que, auparavant, le dialogue était rompu et la situation extrêmement difficile. Je ne veux pas trop insister sur ce point, mais nous avons connu des situations dramatiques, comme des suicides d’inspecteurs du travail, qui ont considérablement meurtri l’ensemble des corps et des personnels concernés.
Quelle est donc ma vision ?
Elle consiste à partir de ce que l’inspection du travail fait aujourd’hui. Elle est territorialisée et sa compétence est générale. C’est très important parce que cela veut dire que chaque entreprise a un référent et qu’à chaque inspecteur du travail correspond un territoire sur lequel il intervient. Cette territorialisation et cette compétence générale sont la base du métier et il n’est pas question d’y toucher.
Doit-on en rester là ? Non, et je considère – c’est le deuxième élément de ma vision – que des évolutions sont nécessaires. Je prendrai deux exemples qui démontrent cette nécessité.
En premier lieu, puisque nous voulons que, contrairement à ce qui se passe aujourd’hui, les plans d’action relatifs à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes soient respectés dans les entreprises, notamment en matière salariale, nous devons être capables, sur l’ensemble d’un territoire ou à l’échelle d’un groupe implanté en différents points du territoire, de procéder à des contrôles et d’exercer la pression nécessaire pour que l’égalité salariale soit respectée à l’échelle du groupe. Or, pour mettre en œuvre cette politique que nous souhaitons tous, les inspecteurs du travail doivent être en mesure de travailler au-delà des limites de leur territoire.
En second lieu, nous devons nous donner les moyens de lutter contre le travail illégal, ce que me demandent toutes les organisations syndicales, sans exception, en particulier au niveau confédéral. Nous savons tous que des abus sont commis à travers le recours aux personnels dits « détachés ». Les conditions de travail de ces salariés venus d’un autre pays de l’Union européenne sont censées respecter les règles sociales en vigueur dans notre pays, notamment en termes de rémunération et d’hébergement. Dans les faits, cependant, il y a souvent intérêt à aller y regarder de plus près…