Dès lors, que faire ? Exactement ce qu'aurait fait un investisseur unique de bonne volonté, à ceci près que nous ne disposons pas de tous les instruments qu'il aurait eus. Il faudrait une sorte de new deal : c'est ainsi que les grands investissements sont le mieux conduits, même dans les économies les plus libérales. C'est bien autour du président de la République que s'est conclu l'accord entre Google et les éditeurs de presse...
De même, le THD vaut bien une grand-messe ! A défaut, il faut se rapprocher d'un modèle coordonné. Cette problématique étant déterminante pour l'avenir, il faut définir une véritable politique technologique. Le THD est aussi un processus industriel qui doit être organisé. Ce sera l'occasion de revitaliser notre base industrielle et de stimuler notre créativité numérique. Sachons faire la différence entre les investisseurs actifs et les coucous, ou les passagers clandestins : il est anormal que les stratégies de court terme soient récompensées. Instaurons des mécanismes qui corrigeront les distorsions du jeu du marché afin de restaurer le pouvoir des incitations.
Le système de prix sur l'offre numérique en France n'est pas cohérent avec une maximisation de l'utilité de cette offre à long terme et il aboutit à sacrifier les générations futures au profit du consommateur actuel. Il faut tenir ce discours de vérité à nos concitoyens, tout en exigeant des entreprises, qui bénéficieraient des modifications qui s'imposent, qu'elles réinvestissent une partie du profit qui en résultera.
Nos recommandations sont simples : elles visent à élever la propension à investir dans le THD. Pour cela, il nous faut clarifier nos choix technologiques. La fibre optique s'impose : c'est actuellement la seule technologie offrant du vrai très haut débit. Les technologies alternatives peuvent être utiles, mais ne nous leurrons pas : la succession ou le panachage de technologies ont un coût pour les investisseurs. A ce propos, le projet de feuille de route présenté le mois dernier doit clarifier la doctrine d'intervention au regard des solutions proposées à partir du réseau câblé. Il faut choisir les modalités de déploiement les plus robustes et les moins coûteuses, en précisant les enjeux d'un passage par les fourreaux existants, par de nouveaux fourreaux ou encore par voie aérienne.
Le choix de la fibre, c'est l'abandon du fil de cuivre. La coexistence des réseaux entraîne des surcoûts et le cuivre dissuade les investisseurs d'oser la nouvelle infrastructure. Il faut lever cette hypothèque, qui pèse sur les investissements en Ftth - il est dommage que des fonds publics aient été engagés avant cette clarification. Cet abandon réduirait le coût du programme en diminuant la prime de risque et les délais de portage financier. Comment le mettre en oeuvre, d'un point de vue technique ? C'est une question épineuse. L'expérimentation conduite à Palaiseau mériterait d'être reproduite ailleurs. Si le réseau historique ne doit pas prendre en otage le projet THD, son obsolescence ne doit pas occasionner une dévalorisation des actifs de l'opérateur historique. Et l'État a raison de souhaiter préserver sa base industrielle. Il dispose de moyens de pression : la diminution des tarifs de dégroupage pourrait réduire la rentabilité du réseau. Toutefois, cela entamerait la capacité financière de l'opérateur dominant à investir sur le nouveau réseau, et inciterait les concurrents à exploiter l'ancien. Une solution fiscale favoriserait davantage le basculement : le produit d'une taxe sur l'utilisation de l'ancien réseau serait affecté au financement du nouveau.
Ces mesures ne seraient pas nécessaires si l'opérateur historique s'engageait à investir à proportion du supplément de revenus issu du renchérissement du prix du dégroupage. Cela nécessiterait une modification du cadre dans lequel s'exerce la concurrence : nous en revenons au problème du jeu des opérateurs. Le système actuel est peu satisfaisant, puisqu'il élève le coût du THD, en éloigne l'horizon de réalisation et comporte des risques pour l'écosystème des gestionnaires de réseau.
Les investisseurs privés s'épuisent en se livrant une féroce concurrence dans la zone dense et ils délaissent le reste du territoire tout en fragilisant les perspectives de revenus commerciaux des RIP, en particulier de ceux qui incluent le THD. Cette situation est lourde de menaces pour les réseaux publics. Ecartons-les en sortant du cercle de l'inertie et en procédant à l'aggiornamento de la fibre optique, sans pertes durables pour l'opérateur historique. Si les opérateurs refusent de s'engager, il faudra entreprendre des réaménagements - régulation géographique, voire réorganisations industrielles - susceptibles de conférer aux RIP une véritable puissance commerciale. Ces enchaînements sont finalement assez proches de ceux qu'un opérateur intégré aurait mis en oeuvre. Il convient de leur adjoindre une élévation raisonnable des prix, comme je l'ai indiqué.
Restaurer une équation économique cohérente résoudrait la plus grande partie des questions financières : la propension à investir augmenterait, l'extension des investissements privés et l'élévation du consentement à payer soulageraient les finances publiques et l'accroissement du taux de péréquation n'entraînerait pas de surcoûts. Même les coûts financiers diminueraient. Le besoin de financement public pourrait être davantage couvert par de la dette et moins par des ressources fiscales. Il faudrait aussi exploiter toutes les ressources pour restaurer une péréquation de premier rang en sanctionnant l'inertie des opérateurs privés dans les zones Amii. Enfin, il serait nécessaire de doter à un niveau plus élevé l'indispensable fonds de péréquation, dont la doctrine d'emploi devrait être adaptée aux capacités fiscales des collectivités.
Ainsi nous sortirons du scénario de l'inacceptable et nous restaurerons les conditions de l'égalité des territoires.
Quelques mots enfin de la gouvernance du programme national. L'État doit revenir dans le jeu et assumer ses responsabilités de régulateur, d'aménageur et de financeur, mais les collectivités territoriales doivent pour leur part être reconnues comme un acteur de plein droit : on ne peut pas les mettre en première ligne pour calmer une demande sociale exigeante et les reléguer à l'arrière-plan quand il s'agit de concevoir les grands équilibres permettant de la satisfaire ! Capitalisons au contraire sur leur savoir-faire, bien supérieur à celui de l'État. Elles attendent des opérateurs une attitude coopérative - les situations invraisemblables de confiscation de l'information et d'opacité sur les réseaux montrent que nous en sommes très loin. Il convient de concilier le choix d'une plus grande décentralisation de l'initiative qui a été fait, avec la coordination indispensable pour que les projets de réseaux atteignent la taille critique nécessaire à une bonne commercialisation. Notre Haute Assemblée, représentative de la richesse et de la diversité de nos collectivités territoriales, et plus généralement le Parlement, devraient se saisir annuellement d'un sujet aussi fondamental, pour contrôler l'application des règles définies par le législateur ainsi que l'action des autorités administratives. Le projet du gouvernement exige des ajustements.