Le rapport sur l'action des collectivités territoriales dans le domaine du numérique terrestre, de nos collègues MM. Rome et Hérisson, dresse un bilan de l'application des lois du 21 juin 2004, du 4 août 2008 et du 17 décembre 2009, en particulier dans le domaine de la couverture haut débit. Cette réunion commune de nos deux commissions illustre les synergies qui peuvent exister entre commissions et que nous devons développer. Dans la commission que je préside, des sénateurs s'investissent dans des sujets qui sont hors de leur champ habituel. Ces dynamiques transversales sont excellentes pour renforcer notre fonction de contrôle, désormais plus visible - elle est inscrite dans la Constitution, mais pas encore assez dans les moeurs...
Nos rapports associent chaque fois que possible un sénateur de la majorité et un de l'opposition : un diagnostic partagé, des observations communes, leur donnent plus de force et de crédibilité.
Nous traitons aujourd'hui d'un sujet majeur, sur lequel plusieurs d'entre nous sont arc-boutés depuis plusieurs mois, je les en remercie. Les auditions auxquelles nous avons procédé, ministres, opérateurs historiques, nous ont laissés sur notre faim. Il faut que le Sénat fasse entendre sa voix, avant même que le Gouvernement ne donne sa feuille de route, car les infrastructures numériques sont déterminantes pour l'égalité des territoires.
Je demanderai demain, en conférence des présidents, que ce rapport soit mis à l'ordre du jour de la prochaine semaine de contrôle. Chacun de nos rapports est ainsi porté en séance publique, ce qui est une bonne chose. Ecoutons à présent nos deux rapporteurs !
Qu'il s'agisse de fiscalité, de régulation économique ou de télécommunications, l'action de notre commission de contrôle de l'application des lois a toute sa place. Car si nous savons ce que nous faisons, nous ne savons pas toujours ce que les autres en feront ! Les lois sont de plus en plus nombreuses et variées, et fréquemment mises en oeuvre, non pas par le Gouvernement, mais par des autorités de régulation - qui, ne l'oublions pas, doivent agir sous notre contrôle ! Nos textes nationaux proviennent de plus en plus souvent de décisions prises au niveau européen, qui nous dépossèdent un peu de notre pouvoir. Cette commission fait donc bien d'étudier les suites données aux lois votées par le Sénat sur les compétences des collectivités territoriales en matière d'équipement numérique du territoire. Le travail conduit à l'époque a été de très grande qualité, je me souviens des contributions précieuses de MM. Maurey, Leroy, Teston, Retailleau, Sido et d'autres ; et M. Marini nous a donné récemment l'occasion de débattre sur la fiscalité du numérique. Le sujet est aujourd'hui d'actualité puisque le Gouvernement s'apprête à mettre en oeuvre l'engagement n° 4 du candidat Hollande : doter le pays du très haut débit (THD).
En peu de temps, nous avons procédé à une vingtaine d'auditions, reçu de nombreuses contributions, notamment sur l'espace participatif ouvert sur internet : le sujet passionne nos compatriotes ! Nous nous sommes déplacés dans un département de montagne, dont on ne peut donc pas dire qu'il appartient à la France d'en bas, - si je me réfère à une altitude moyenne, mais bien à une France qui souffre d'une fracture non pas liée au ski, mais au numérique ! (sourires)
L'article 1425-1 de la loi de 2004, certains articles de la LME de 2008 et la loi Pintat de 2009 confèrent aux collectivités territoriales un rôle éminent dans l'investissement et dans l'économie numérique. Peuvent-elles l'assumer sur des bases durables, soutenables et garanties ? C'est tout le sujet du rapport. Les enjeux de la révolution numérique sont si importants, en termes de compétitivité économique, de développement social et individuel ! Les infrastructures de nouvelle génération sont le tronc sans lequel rien ne poussera : il ne s'enracinera pas si les collectivités territoriales ne sont pas à même de l'implanter. Elles sont prêtes à se mettre au service de cette cause nationale, à condition que l'État joue son rôle de régulateur et de financeur.
Le droit européen, en ce domaine, est envahissant. Il a façonné le droit national des télécommunications. Celui-ci autorise a priori divers modèles ; mais le traité européen et son application - je songe au rôle des juges - en faisant prévaloir une conception radicale selon laquelle l'intervention publique est suspecte a priori et la concurrence portée à son comble, ont prohibé les aides d'Etat et paralysé l'investissement public.
Cet encadrement européen, dans lequel le régulateur national s'est inscrit, est encore plus rigoureux pour les réseaux de nouvelle génération, car leurs caractéristiques sont jugées porteuses de distorsions de concurrence encore plus fortes. Cette analyse néglige la situation concrète des opérateurs économiques et financiers, tout comme les caractéristiques de l'investissement dans le secteur. Le raisonnement sous-jacent - un modèle d'investissement à retour rapide - n'est plus adapté au très haut débit (THD), innovation radicale qui impose de rompre avec une situation de départ plutôt que d'en prolonger la logique. L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) a cherché à atténuer ces exigences, à corriger le pire. La place de l'Arcep dans l'édiction des normes est si considérable, au point que l'on peut s'interroger sur la réalité de l'homologation de ses décisions par les ministres. Du reste, l'annonce gouvernementale d'un Programme national très haut débit (PNTHD) est intervenue après que l'Arcep a défini la colonne vertébrale de toute action publique, non avant.
Le système institutionnel actuel repose sur deux équilibres. D'abord, un partage du territoire entre zones d'intérêt privé, où l'intervention publique, au sens strict, est proscrite et la concurrence, totale ; et zones sans intérêt privé, où les réseaux déployés par les investisseurs publics doivent toutefois encore être ouverts. Ensuite, un modèle d'activation des opérateurs tels qu'ils existent : ceux-ci sont censés procéder aux investissements nécessaires à l'équipement en THD. Le législateur a aussi institué une obligation de fibrage vertical dans les immeubles neufs, qui devait susciter des déploiements horizontaux du réseau ; il a autorisé les opérateurs à conclure entre eux certains types d'accords de répartition des investissements. Enfin, le régulateur a favorisé le cofinancement. Ce système institutionnel est complété par un fonds national pour la société numérique (FSN), doté d'une enveloppe de 2,5 milliards d'euros et destiné à soutenir les investissements dans les zones d'appel à manifestation d'intentions d'investissement (Amii).
Ce système ne repose donc pas uniquement sur les mécanismes du marché mais principalement sur ceux-ci et sur des initiatives décentralisées. Il ne fonctionne pas bien : les investissements dans le nouveau réseau sont à la traîne, les investissements déjà effectués ont donné lieu à des gaspillages, les investissements publics sont exposés à des risques économiques et financiers élevés. Certes, toute l'Europe est en retard, puisqu'elle ne compte que 4 % des abonnés mondiaux au THD, contre 11 % aux États-Unis et plus de 70 % en Asie. L'Europe occidentale est en retard sur l'Europe de l'Est.
Et pour le taux de pénétration du THD, la France occuperait le 23ème rang sur 27 en Europe. L'Arcep indique que le nombre de prises éligibles au « fiber to the home » (Ftth) y est passé de 1,35 million à 2 millions en un an et demi. Mais cette progression concerne surtout les zones très denses (1,6 million de prises). Les investissements sont redondants : le réseau Ftth ne progresse vraiment que dans les zones où le THD était déjà accessible par câble, et des investissements en fibre dorment sous les trottoirs et dans les immeubles parisiens faute de commercialisation. Les options d'investissement qui ont été distribuées dans les zones Amii sont levées à un rythme et dans des conditions qui excluent que la couverture progresse comme annoncé. Sur le reste du territoire, les collectivités territoriales mettent en place des projets de réseaux d'initiative publique (RIP), mais l'équilibre financier est difficile à atteindre en raison des régulations actuelles qui laissent subsister des risques élevés - ce qui contraste avec les RIP du haut débit, qui avaient joué un rôle très positif dans l'équipement du territoire. Comment créer des conditions favorables aux investissements publics bloqués par la régulation actuelle ?
La logique d'économie mixte qui a inspiré le système d'incitations n'a pas suffisamment pris en compte le jeu des acteurs. Les opérateurs privés en concurrence entre eux visent naturellement à maximiser leurs profits, et leurs situations sont diverses. Ils choisissent en priorité les investissements les plus rentables (la zone très dense) et saisissent les occasions pour élargir leurs parts de marché dans la zone Amii, ou plutôt une partie de cette zone. Ils cherchent également à s'assurer pour l'avenir des positions de force sur le segment mobile et non seulement sur le fixe.
On peut considérer que l'opérateur dominant peut avoir les coudées plus franches que les autres, puisqu'il est propriétaire des infrastructures avec lesquelles il s'agit de rompre et qu'il dispose d'une capacité de financement considérablement supérieure à celles de ses concurrents. Il impose donc le rythme de l'investissement dans la nouvelle infrastructure, et passe avec ses concurrents des accords qui prévoient une reconfiguration des parts de marché à son profit dans la zone très dense - accords qui du reste ne fonctionnent pas bien. Il est véritablement maître du programme de déploiement du THD, y compris dans les zones couvertes par les RIP, où sa puissance entrave l'action des collectivités territoriales. Mais sans doute ses positions sont-elles plus fragiles. En tout cas, toute l'économie du système comporte des incohérences par rapport à l'objectif visé : elle nous rend tributaires d'un jeu de stratégies que nous ne maîtrisons pas.
Le régulateur devrait, sans se retrancher derrière le principe de neutralité technologique, adopter des règles orientant le jeu des acteurs et incitant à l'investissement dans le THD : la mutualisation, ou le cofinancement, qu'il promeut, risquent d'être inefficaces. Mais ces choix ne lui appartiennent pas toujours : on voit mal l'Arcep décider elle-même d'éteindre le réseau existant. Puis, les pouvoirs publics ont choisi d'approuver le cadre proposé par l'Autorité : le modèle d'un gestionnaire unique de réseau, qui avait été retenu pour le fil de cuivre, a été écarté au profit d'un modèle concurrentiel et segmenté qui est celui du THD. C'est dommage, car le basculement technologique aurait pu être programmé, la péréquation aurait été aussi naturelle qu'elle le fut pour les lignes téléphoniques, et le coût global moindre, notamment pour le contribuable. Nous devons nous inspirer de ce modèle. Enfin, la tâche du régulateur est complexe, car il lui est difficile de prévoir les effets exacts des incitations. Il est temps de corriger le fonctionnement de ce modèle.
Dès lors, que faire ? Exactement ce qu'aurait fait un investisseur unique de bonne volonté, à ceci près que nous ne disposons pas de tous les instruments qu'il aurait eus. Il faudrait une sorte de new deal : c'est ainsi que les grands investissements sont le mieux conduits, même dans les économies les plus libérales. C'est bien autour du président de la République que s'est conclu l'accord entre Google et les éditeurs de presse...
De même, le THD vaut bien une grand-messe ! A défaut, il faut se rapprocher d'un modèle coordonné. Cette problématique étant déterminante pour l'avenir, il faut définir une véritable politique technologique. Le THD est aussi un processus industriel qui doit être organisé. Ce sera l'occasion de revitaliser notre base industrielle et de stimuler notre créativité numérique. Sachons faire la différence entre les investisseurs actifs et les coucous, ou les passagers clandestins : il est anormal que les stratégies de court terme soient récompensées. Instaurons des mécanismes qui corrigeront les distorsions du jeu du marché afin de restaurer le pouvoir des incitations.
Le système de prix sur l'offre numérique en France n'est pas cohérent avec une maximisation de l'utilité de cette offre à long terme et il aboutit à sacrifier les générations futures au profit du consommateur actuel. Il faut tenir ce discours de vérité à nos concitoyens, tout en exigeant des entreprises, qui bénéficieraient des modifications qui s'imposent, qu'elles réinvestissent une partie du profit qui en résultera.
Nos recommandations sont simples : elles visent à élever la propension à investir dans le THD. Pour cela, il nous faut clarifier nos choix technologiques. La fibre optique s'impose : c'est actuellement la seule technologie offrant du vrai très haut débit. Les technologies alternatives peuvent être utiles, mais ne nous leurrons pas : la succession ou le panachage de technologies ont un coût pour les investisseurs. A ce propos, le projet de feuille de route présenté le mois dernier doit clarifier la doctrine d'intervention au regard des solutions proposées à partir du réseau câblé. Il faut choisir les modalités de déploiement les plus robustes et les moins coûteuses, en précisant les enjeux d'un passage par les fourreaux existants, par de nouveaux fourreaux ou encore par voie aérienne.
Le choix de la fibre, c'est l'abandon du fil de cuivre. La coexistence des réseaux entraîne des surcoûts et le cuivre dissuade les investisseurs d'oser la nouvelle infrastructure. Il faut lever cette hypothèque, qui pèse sur les investissements en Ftth - il est dommage que des fonds publics aient été engagés avant cette clarification. Cet abandon réduirait le coût du programme en diminuant la prime de risque et les délais de portage financier. Comment le mettre en oeuvre, d'un point de vue technique ? C'est une question épineuse. L'expérimentation conduite à Palaiseau mériterait d'être reproduite ailleurs. Si le réseau historique ne doit pas prendre en otage le projet THD, son obsolescence ne doit pas occasionner une dévalorisation des actifs de l'opérateur historique. Et l'État a raison de souhaiter préserver sa base industrielle. Il dispose de moyens de pression : la diminution des tarifs de dégroupage pourrait réduire la rentabilité du réseau. Toutefois, cela entamerait la capacité financière de l'opérateur dominant à investir sur le nouveau réseau, et inciterait les concurrents à exploiter l'ancien. Une solution fiscale favoriserait davantage le basculement : le produit d'une taxe sur l'utilisation de l'ancien réseau serait affecté au financement du nouveau.
Ces mesures ne seraient pas nécessaires si l'opérateur historique s'engageait à investir à proportion du supplément de revenus issu du renchérissement du prix du dégroupage. Cela nécessiterait une modification du cadre dans lequel s'exerce la concurrence : nous en revenons au problème du jeu des opérateurs. Le système actuel est peu satisfaisant, puisqu'il élève le coût du THD, en éloigne l'horizon de réalisation et comporte des risques pour l'écosystème des gestionnaires de réseau.
Les investisseurs privés s'épuisent en se livrant une féroce concurrence dans la zone dense et ils délaissent le reste du territoire tout en fragilisant les perspectives de revenus commerciaux des RIP, en particulier de ceux qui incluent le THD. Cette situation est lourde de menaces pour les réseaux publics. Ecartons-les en sortant du cercle de l'inertie et en procédant à l'aggiornamento de la fibre optique, sans pertes durables pour l'opérateur historique. Si les opérateurs refusent de s'engager, il faudra entreprendre des réaménagements - régulation géographique, voire réorganisations industrielles - susceptibles de conférer aux RIP une véritable puissance commerciale. Ces enchaînements sont finalement assez proches de ceux qu'un opérateur intégré aurait mis en oeuvre. Il convient de leur adjoindre une élévation raisonnable des prix, comme je l'ai indiqué.
Restaurer une équation économique cohérente résoudrait la plus grande partie des questions financières : la propension à investir augmenterait, l'extension des investissements privés et l'élévation du consentement à payer soulageraient les finances publiques et l'accroissement du taux de péréquation n'entraînerait pas de surcoûts. Même les coûts financiers diminueraient. Le besoin de financement public pourrait être davantage couvert par de la dette et moins par des ressources fiscales. Il faudrait aussi exploiter toutes les ressources pour restaurer une péréquation de premier rang en sanctionnant l'inertie des opérateurs privés dans les zones Amii. Enfin, il serait nécessaire de doter à un niveau plus élevé l'indispensable fonds de péréquation, dont la doctrine d'emploi devrait être adaptée aux capacités fiscales des collectivités.
Ainsi nous sortirons du scénario de l'inacceptable et nous restaurerons les conditions de l'égalité des territoires.
Quelques mots enfin de la gouvernance du programme national. L'État doit revenir dans le jeu et assumer ses responsabilités de régulateur, d'aménageur et de financeur, mais les collectivités territoriales doivent pour leur part être reconnues comme un acteur de plein droit : on ne peut pas les mettre en première ligne pour calmer une demande sociale exigeante et les reléguer à l'arrière-plan quand il s'agit de concevoir les grands équilibres permettant de la satisfaire ! Capitalisons au contraire sur leur savoir-faire, bien supérieur à celui de l'État. Elles attendent des opérateurs une attitude coopérative - les situations invraisemblables de confiscation de l'information et d'opacité sur les réseaux montrent que nous en sommes très loin. Il convient de concilier le choix d'une plus grande décentralisation de l'initiative qui a été fait, avec la coordination indispensable pour que les projets de réseaux atteignent la taille critique nécessaire à une bonne commercialisation. Notre Haute Assemblée, représentative de la richesse et de la diversité de nos collectivités territoriales, et plus généralement le Parlement, devraient se saisir annuellement d'un sujet aussi fondamental, pour contrôler l'application des règles définies par le législateur ainsi que l'action des autorités administratives. Le projet du gouvernement exige des ajustements.
Pourriez-vous préciser quelles modifications, législatives en particulier, vous suggérez ? Les lois à venir pourraient les inclure...
L'une des premières mesures à prendre me semble être de réagir contre la confiscation de l'information. Le Sénat doit exiger d'avoir une connaissance précise de la cartographie des infrastructures existantes, qui ont été en partie financées par le contribuable. Quelle n'a pas été ma surprise d'apprendre que dans mon département la fibre optique était installée depuis des années, mais inutilisée ! Et pendant ce temps, nous nous battons pour créer des maisons de santé où la télémédecine serait bien utile, nous tentons d'endiguer les délocalisations d'entreprises qui connaissent des difficultés faute d'accès au haut débit... Avant donc de se préoccuper de financements nouveaux, songeons à sauver ce qui existe en exploitant les installations existantes. Et s'il le faut, employons les moyens coercitifs dont nous pouvons disposer pour que l'information nous soit donnée.
C'est parce que le l'État et le législateur ne se sont pas suffisamment saisis du dossier que le régulateur, l'Arcep, a été amené à prendre la maîtrise du système. De nombreux contentieux sont en cours devant les juridictions administratives, et entre les opérateurs eux-mêmes. Nous devons ménager davantage de transparence, grâce à une meilleure connaissance des réseaux, en sachant la conjuguer avec la légitime protection du secret des affaires... et avec cette concurrence totale que nous impose l'Europe.
Merci pour ce travail de qualité, qui dresse un constat et propose des pistes de réflexion. Le constat rejoint celui dressé dans mon rapport de 2011, intitulé Aménagement numérique des territoires : passer des paroles aux actes. Les choix qui ont été faits pour le déploiement du THD n'ont pas été pertinents. Laisser le déploiement au bon vouloir des opérateurs privés est illusoire : ceux-ci vont au plus rentable - ce dont on ne saurait les blâmer, c'est leur vocation - et laissent aux collectivités locales le soin d'aller ailleurs ; c'est le privé qui dicte sa volonté au public. De surcroît, les engagements des opérateurs ne lient que les collectivités locales : c'est une relation complètement déséquilibrée, dont on peinerait à trouver l'équivalent ailleurs. Il ne faut pas incriminer l'Europe, mais l'Etat : car les projets intégrés peuvent tout à fait être menés à bien dès lors qu'ils s'inscrivent dans le cadre européen.
J'étais sceptique quand M. Sarkozy annonçait le très haut débit pour tous en 2025 ; je le suis encore plus quand M. Hollande l'annonce pour 2022 ! Si l'on veut atteindre cet objectif, il faut vraiment accélérer : pour le coup, le changement, ce doit être maintenant ! Pour avoir assisté à une réunion de concertation la semaine dernière au ministère de l'économie, je n'ai pas l'impression que ce soit le cas...
J'approuve les pistes proposées par les rapporteurs, notamment l'idée de privilégier la fibre. Mais la feuille de route gouvernementale semble ambigüe : la fibre est présentée comme la meilleure solution mais on nous dit que ce ne sera pas par la fibre que le THD pour tous sera installé dans dix ans. La feuille de route prévoit des investissements publics hors fibre ; faisons donc attention à ne financer que des infrastructures réutilisables pour le THD.
Certes, on ne pourra maintenir durablement deux réseaux mais, pour l'extinction du cuivre, la feuille de route ne fixe aucun objectif. Le gouvernement se contente d'attendre les résultats de l'expérience de Palaiseau. La feuille de route ne comporte pas non plus de sanctions à l'encontre des opérateurs qui ne respectent pas leurs engagements. Aucun changement non plus dans les relations entre les opérateurs et les RIP. Les collectivités veulent avoir l'assurance que les opérateurs utiliseront les réseaux déployés !
Même flou en matière de financement et de péréquation. Comment parvient-on au chiffre de 8 milliards, 4 pour le public et 4 pour le privé ? Quelle est la répartition prévue au sein de la part publique ? Que représentent ces 8 milliards, alors qu'il en faudra dix fois plus pour couvrir le territoire et que c'est en milieu rural que les investissements sont les plus coûteux ? Quid de la péréquation sur laquelle nous n'avons aucune information ?
Comme Yves Rome, j'estime qu'il faut sortir de l'inacceptable et que l'Etat doit faire son retour. Au vu de la réunion de la semaine dernière, j'en doute. Nous verrons ce qu'il en sera le 28 février.
Nos rapporteurs ont parlé de grand-messe. Quant à moi je crois, après cette réunion tenue à Bercy, que la messe est dite... Qu'on le regrette ou non, le cadre ne sera pas modifié, on ne reviendra pas à un opérateur unique et il n'y aura pas d'extinction très rapide du cuivre. Notre responsabilité est donc de faire avec ce que l'on a, tout en l'améliorant.
En matière de gouvernance, dans un rapport écrit pour les dix ans de l'Arcep, je proposais la création d'un commissariat au numérique, comme il en existe un pour le nucléaire. Oui, l'Etat doit revenir en force sur ce grand chantier et peser de tout son poids. Pour sa part, l'Arcep applique les règles de gouvernance, notamment européennes. Pas de marges pour les aides publiques ? Mais il y a l'arrêt Altmark, qui a ouvert la possibilité d'invoquer un service d'intérêt économique général (SIEG). Le département des Hauts-de-Seine s'en est servi pour déployer un RIP ! Reste que les contraintes européennes imposent leur dogmatisme concurrentiel, qui découle des traités successifs.
Au niveau local, alors que nous étions tous d'accord sur les schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique (Sdtan), la ministre a annoncé vouloir compléter l'action des comités régionaux pour l'aménagement numérique (Coran) par celle de comités locaux d'aménagement numérique (Clan). Si l'on ajoute des bidules aux machins, nous ne sommes pas près de voir la ligne d'arrivée !
Le cadre existe : c'est la loi Pintat. Comment l'améliorer ? En durcissant certains de ses éléments et en assurant, au sein du Sdtan, une gouvernance coordonnée, pour éviter la concurrence entre collectivités et avec les opérateurs privés. Ce qui n'est pas compatible avec le Sdtan doit être proscrit. Ce secteur économique hautement capitalistique, dont le cadre est déjà bien compliqué, a besoin de stabilité. Stop à la bougeotte législative et réglementaire !
Tandis que l'Etat annonce une diminution de 3 milliards d'euros des concours aux collectivités territoriales, les grandes sacrifiées du budget européen pour 2014-2020 sont les dépenses d'infrastructures. Il est indispensable que le guichet A bénéficie aux collectivités, mais avec des financements allant jusqu'à 50 % des projets, faute de quoi ces derniers ne trouveront pas leur équilibre. Le fonds d'aménagement numérique des territoires (Fant) devra être abondé et l'on ne devrait pas déployer la fibre sans prévoir un mécanisme de péréquation.
La France occupe en Europe le 23ème rang. En juillet 2011, notre collègue Maurey déclarait que notre pays était « en passe de manquer le virage du numérique ». La fracture numérique est-elle devenue faille ? Notre position internationale se détériore-t-elle encore ? En période de crise, n'est-ce pas un peu provocateur de prévoir comme vous le faites une hausse des prix pour les usagers ?
Au-delà de l'idée - que je salue - du bilan annuel, ainsi que du droit de suite et de contrôle, ne pourrait-on avancer des propositions de modification du cadre législatif, si cela se révèle nécessaire ? On entend les mêmes critiques depuis trois ou quatre ans. Qu'attend-on ?
Voici un excellent rapport, qui débouche sur des propositions pouvant concerner l'ensemble des sénateurs. L'Europe fait prévaloir une conception très libérale et une forte dérégulation dans le secteur des télécommunications, malgré une position de la Cour de justice de l'Union européenne divergente de celle de la Commission européenne. Le combat de quelques-uns ici - le mien depuis quinze ans - pour la reconnaissance de la téléphonie mobile puis du très haut débit comme services universels n'a hélas pas abouti au niveau européen. En revanche, si l'Arcep a appliqué fidèlement la réglementation européenne, elle en a tout de même freiné la dérive ultralibérale. L'intervention des collectivités locales est strictement encadrée, alors que le législateur est intervenu à plusieurs reprises en leur faveur. L'article L.1425-1 issu de la loi de 2004 et la loi Pintat ont ouvert un champ plus large aux collectivités.
Mais, hélas, la part trop belle faite par le PNTHD aux opérateurs privés et l'absence d'abondement du Fant pèsent sur les projets locaux. Certes, comme en témoigne le cas d'Ardèche Drôme numérique, ils se déploient, mais pas autant qu'on l'aurait espéré. De plus, on l'a dit, des opérateurs privés bloquent les investissements des collectivités sans être sanctionnés. Bref, les textes que nous avons adoptés n'ont donc pas eu les effets escomptés.
Face à cette situation, l'État doit reprendre la main qu'il a perdue avec le PNTHD. Il doit à la fois orienter la politique de désenclavement numérique et, avec d'autres, la financer. Nous devons faire appel à des financements publics et privés, à la contractualisation et la péréquation, afin de couvrir l'ensemble du territoire en THD, à rebours de la logique des opérateurs qui ne s'intéressent qu'aux zones rentables.
Bien que la fibre paraisse le meilleur choix technique, les zones très rurales continueront à utiliser le cuivre coaxial pendant longtemps encore. Mettons en place un plan de suppression progressive du cuivre sans déstabiliser l'opérateur historique : au-delà des compétiteurs nationaux, celui-ci affronte ses équivalents étrangers qui, face aux mêmes problèmes, peuvent bénéficier de conditions plus favorables dans leurs pays.
Une question très pratique : ne pourrait-on reproduire pour le THD ce que nous avions fait, notamment chez moi, dans le comité de massif, pour identifier et couvrir les zones d'ombre de réception de la télévision dans les Pyrénées ? Ne peut-on relever tous les points de connexion possibles ? A Perpignan, nous disposons d'anciens réseaux câblés modernisés, cédés par France Télécom à Numéricâble, d'une capacité allant jusqu'à 100 mégabits. Comment prendre en compte ces réseaux qui représentent tout de même 10 millions de prises ?
Je note un accord sur le constat et les orientations. Ce rapport n'a pas vocation à faire plaisir au Gouvernement ou aux opérateurs. Il démontre que les collectivités territoriales peuvent être des alliées précieuses de l'Etat, pour atteindre l'objectif national. Nous cherchons à enrichir la feuille de route, afin que la fracture ne se transforme pas en faille. Ce que nous avons constaté sur le haut débit se reproduira, amplifié, sur le THD. Le dommage deviendra irréparable. Créons un cadre meilleur, un système dans lequel les opérateurs ne dictent pas leur loi. Quant à l'opérateur historique, les dividendes qu'il sert à l'Etat ne sauraient constituer la seule préoccupation. Il doit aussi coopérer avec les collectivités : elles n'acceptent plus de voir le réseau fibre passer à deux pas de la mairie ou d'une zone d'activités, sans pouvoir obtenir de connexion.
Fort de mon expérience d'élu au Sénat depuis une vingtaine d'années, je crois pouvoir dire que nous avons fait là un pas important. Nous pouvons intégrer toutes vos remarques dans le rapport, afin d'obtenir un vote dépassant les clivages politiques.
Un grand quotidien national publie aujourd'hui un article intitulé « Le retour en force des câblo-opérateurs ». Veillons, dans les évolutions législatives à venir, à les intégrer dans nos exigences. Nous avons manqué jusqu'ici d'une approche globale du sujet. Trouvons une voie plus équilibrée que le dogmatisme de la fibre de bout en bout. Plutôt que de promettre une couverture totale à échéance 2025 ou 2022 en fonction d'impératifs électoraux, privilégions une couverture essentielle du territoire à l'horizon d'une douzaine ou d'une quinzaine d'années, en complétant le réseau actuel avec différentes technologies pour offrir le meilleur débit possible.
Je souhaiterais que nos rapporteurs réfléchissent au problème que François Calvet et moi-même avons soulevé. Dans les territoires qui disposent déjà d'une infrastructure et d'un opérateur identifié, trouvons une solution afin de sauver l'existant.
Comme c'est l'usage pour ce type de rapport d'information, nous allons nous prononcer sur l'autorisation de sa publication. Les rapporteurs nous ont indiqué que les remarques formulées par les uns et les autres figureraient dans le rapport. Je pense qu'ils pourront aussi faire apparaître très clairement leurs propositions de modifications législatives ou réglementaires.