Intervention de Pascal Saint-Amans

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 20 février 2013 : 2ème réunion
Audition de M. Pascal Saint-amans directeur du centre de politique et d'administration fiscales de l'ocde

Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'Organisation de Coopération et de Développement Economiques :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre invitation. Je suis ravi d'être avec vous ce matin et que les travaux de l'OCDE puissent être utilisés pour nourrir le débat sur la fiscalité en France. Vous m'avez demandé de parler de deux sujets. Le premier fait l'objet d'une large couverture médiatique ; il s'agit du rapport « BEPS » sur l'érosion des bases d'imposition et les transferts de bénéfices. Le second sujet, la fiscalité environnementale, est bien moins couvert par les médias mais je crois que l'OCDE fournit des informations de base utiles pour élaborer les politiques publiques les plus adéquates.

Pourquoi travaille-t-on sur le sujet de l'érosion des bases fiscales et de quoi s'agit-il ? La plupart des trente-quatre pays membres de l'OCDE est confrontée, depuis de nombreuses années, au phénomène de réduction de la charge fiscale pesant sur les grands groupes multinationaux. Nous avons lancé en 2009 des travaux très productifs sur la lutte contre le secret bancaire. On peut considérer désormais qu'il n'existe plus de secret bancaire dans le monde. Un Forum mondial sur la transparence et l'échange d'informations à des fins fiscales, composé de cent vingt pays membres, s'assure de l'application des engagements pris par les Etats.

Néanmoins, un autre volet des « paradis fiscaux » restait en suspens, à savoir l'utilisation d'entités, plus ou moins « vides », localisées dans des juridictions à faible fiscalité. Ce thème a donné lieu à des campagnes de presse révélant que les taux effectifs d'imposition de certaines firmes multinationales présentaient un écart de dix, vingt voire trente points avec les taux nominaux d'imposition. Ces campagnes de presse ont trouvé un écho particulier au moment de la crise financière, qui a conduit la plupart des Etats membres de l'OCDE à vouloir collecter davantage d'impôts. Ceci s'est traduit par un mouvement général de hausse des impôts sur les personnes physiques et sur les petites et moyennes entreprises. Un exemple très frappant est le fait que la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), qui existe dans trente-trois des trente-quatre pays membres de l'OCDE, ait augmenté dans vingt-cinq des Etats membres de l'OCDE. Cet écart entre la taxation effective de certains grands groupes et celle des petites et moyennes entreprises pose un problème politique, budgétaire mais aussi économique puisque les entreprises opérant dans un cadre strictement national sont pénalisées par rapport aux entreprises qui peuvent faire diminuer leur taux effectif d'imposition grâce à des transactions financières internationales. Il s'agit d'une distorsion de concurrence qui n'est pas bonne économiquement.

Il y a peu, ce problème a surgi sur le devant de la scène politique. Cela faisait plusieurs années que l'OCDE travaillait sur les règles de prix de transfert, avec la mise en place d'un groupe de travail d'une vingtaine de pays membres, se réunissant deux fois par an, au niveau des directeurs des impôts, afin d'échanger leurs connaissances relatives aux schémas fiscaux agressifs. Le projet « BEPS » sur l'érosion des bases fiscales a été lancé en avril 2012, lors du sommet du G 20 de Los Cabos, mais le sujet est vraiment devenu politique avec la médiatisation, au Royaume-Uni, des affaires concernant le taux d'imposition effectif de Google ou de Starbucks.

Comme l'a dit le président dans son propos liminaire, à plus long terme, c'est l'existence même de l'impôt sur les sociétés (IS) qui est en jeu. Le rapport explique qu'il existe tout d'abord un problème de mesure du phénomène d'érosion des bases d'imposition. Il y a, de plus, des données contradictoires : la part de l'impôt sur les sociétés dans les recettes fiscales globales n'a pas baissé au cours des vingt dernières années alors que les taux d'imposition ont baissé, ce qui fait dire à certains qu'il n'y a pas de problème avec l'IS. En réalité, le fait que la contribution de l'impôt sur les sociétés n'a pas beaucoup varié peut s'expliquer par la baisse des taux, l'augmentation des bases et le fait qu'une partie des entreprises individuelles se sont constituées en société, afin de profiter d'un taux plus favorable que celui de l'impôt sur le revenu.

En revanche, il y a un faisceau d'indicateurs montrant qu'il existe bel et bien un problème. En premier lieu, le taux effectif d'imposition de certaines sociétés est extrêmement bas, aux alentours de 3 %. En second lieu, les flux d'investissements directs à l'étranger (IDE) ont fortement augmenté. Il ne paraît pas tout-à-fait normal que les îles Vierges britanniques soient parmi les dix premiers investisseurs en Russie, ni que les Pays-Bas accueillent trois fois le volume de leur produit intérieur brut (PIB) en flux entrants et en flux sortants d'IDE.

La seconde partie du rapport sur l'érosion des bases fiscales (BEPS) s'interroge sur la nature du problème. Une donnée importante est la souveraineté fiscale des Etats, intimement liée à leur souveraineté territoriale. Depuis le premier modèle de convention fiscale, dans le cadre de la Société des Nations en 1927, les Etats ont cherché à se mettre d'accord pour éliminer les doubles impositions, en se partageant les droits d'imposer : l'Etat de la source prélève une retenue, tandis que l'Etat de résidence du bénéficiaire de ce dividende va taxer ce dividende et créditer le montant de la retenue à la source. Ces règles de fiscalité internationale, notamment les règles de prix de transfert fixant comment les groupes se facturent en interne les prestations de service ou les ventes de biens, ont été adaptées par l'OCDE et l'Organisation des Nations Unies (ONU) au cours des trente dernières années. La difficulté vient du fait que ces règles sont aujourd'hui utilisées pour organiser des doubles « non-impositions » des sociétés. Elles fonctionnaient lorsque les négociations avaient lieu entre deux Etats ayant un niveau d'imposition équivalent, mais la mondialisation a permis l'interposition de structures situées dans des Etats tiers. Un exemple bien connu est la pratique de la localisation d'une marque dans une société aux Bermudes, qui va « refacturer » l'ensemble des entreprises du groupe utilisant cette marque. En vertu des règles de prix de transfert et grâce à l'utilisation de produits hybrides, tels que les obligations convertibles en actions, il est possible de faire disparaître les profits dans le premier Etat, sans augmenter les profits dans l'autre. Les effets de cette combinaison de produits hybrides et de conventions fiscales sont aujourd'hui amplifiés par le fait que les Etats ont eu tendance à réduire leurs dispositifs anti-abus, dans un souci de préservation de la compétitivité. L'article 209 B du code général des impôts a, par exemple, été considérablement allégé.

Avec les difficultés budgétaires actuelles, les Etats souhaitent sortir de cette logique et c'est pour cela qu'ils se tournent vers l'OCDE. Plutôt que de changer quelques éléments dans les modèles de convention existants, peut-être faut-il revoir fondamentalement ces instruments, réviser le principe de pleine concurrence, mettre en place des dispositifs pour lutter contre les produits hybrides, qui facilitent l'arbitrage au sein des groupes multinationaux et peut-être modifier quelques définitions, telles que celle de l'établissement stable, en particulier dans le cadre de l'économie numérique.

Le G 20 a donné mandat à l'OCDE pour fournir, d'ici juin 2013, un plan d'action définissant la direction dans laquelle nous souhaitons aller et présentant de nouveaux instruments. Par exemple, la négociation d'une convention fiscale multilatérale, qui viendrait remplacer certaines dispositions des conventions bilatérales, serait pertinente. Cette option serait plus rapide que l'élaboration d'un nouveau modèle de convention et la renégociation de l'ensemble des conventions bilatérales existantes.

L'objectif est de mettre en oeuvre les mesures du plan d'action dans les deux ans à venir. Pourquoi cette rapidité ? Si l'on veut bouger, il faut parfois court-circuiter les mécanismes existants et savoir tirer parti de la pression politique. Les risques de ne pas aboutir sont nombreux, en raison de la souveraineté des Etats, des conséquences éventuelles en matière de déséquilibre entre la résidence et la source et une certaine forme de conservatisme au niveau international. Cette situation très complexe ne peut être résolue que grâce à un soutien politique fort et une approche « de haut en bas », car ce n'est pas au niveau des administrations que les règles vont pouvoir changer. C'est le message principal que je souhaitais vous faire passer sur cette question.

Le second volet de la discussion de ce jour concerne la fiscalité environnementale, sujet sur lequel l'OCDE travaille beaucoup.

L'Organisation a ainsi publié en 2011 un rapport intitulé « Fiscalité, innovation et environnement », qui évalue les différents instruments fiscaux. De plus, nous avons réactualisé en janvier 2013 l'inventaire des mécanismes de soutien en faveur de la consommation des combustibles fossiles dans les pays de l'OCDE. Car avant d'envisager une fiscalité « verte », peut-être faudrait-il commencer par démanteler la fiscalité « noire » ou les mesures qui incitent à la consommation et à la production d'énergies fossiles. Nous avons recensé 550 mesures en faveur de la consommation d'énergies fossiles dans les pays de l'OCDE. Certains de ces soutiens sont justifiés, notamment pour compenser l'augmentation du prix de l'énergie pour les ménages les plus pauvres. Mais le coût total de l'ensemble de ces mesures était compris entre 55 et 90 milliards de dollars américains entre 2005 et 2011. On est donc en présence de subventions aux énergies fossiles massives, mais qui sont désormais répertoriées.

Nous avons également publié en janvier dernier un rapport qui, pour la première fois, mesure le taux effectif d'imposition des différentes sources d'énergie, en fonction de la valeur énergétique consommée ou des émissions. Les différents schémas montrent aussi le coût des subventions selon les secteurs et les sources d'énergie. C'est un travail très factuel et il vous appartient d'en tirer les conclusions que vous voudrez. Les données collectées montrent que la fiscalité de l'énergie concerne aujourd'hui principalement le secteur des transports, tandis que les installations de chauffage sont très peu taxées et que la production d'électricité fait l'objet d'une imposition très variable selon les pays. Le rapport révèle aussi quelques paradoxes, par exemple le fait que le charbon a un taux d'imposition effectif bien plus faible que le pétrole ou le gaz naturel. De même, les industries de pêche sont systématiquement exonérées dans presque tous les pays de l'OCDE, en contradiction avec les objectifs environnementaux.

Ces données ont le mérite de venir alimenter le débat, il appartiendra au Parlement d'en tirer éventuellement des conclusions.

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