Intervention de Dominique Baudis

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 20 février 2013 : 2ème réunion
Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe — Audition de M. Dominique Baudis défenseur des droits

Dominique Baudis, Défenseur des droits :

Merci à vous de m'avoir convié. Je me suis exprimé en novembre devant la commission des lois de l'Assemblée nationale. Je vais présenter les interrogations et l'analyse de l'institution du Défenseur des droits. Celle-ci, qui est inscrite dans la Constitution, a quatre missions : les relations entre citoyens et services publics, la défense des enfants, la déontologie de la sécurité et la lutte contre les discriminations. C'est cette dernière et l'intérêt supérieur de l'enfant, qui nous occupent dans l'examen du projet de loi ouvrant le mariage aux couples homosexuels. J'ai consulté, comme l'exigent nos statuts, les quatorze personnalités qualifiées qui siègent dans le collège chargé de la lutte contre les discriminations et dans celui chargé de la promotion et de la défense des droits de l'enfants, ainsi que différentes institutions ou associations concernées .

Le Défenseur des droits, comme la Halde auparavant, a constaté que l'impossibilité pour les couples de même sexe de se marier créait des inégalités. Pour autant, les plus hautes juridictions, le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation et la Cour européenne des droits de l'homme, n'avaient pas jugé que cette impossibilité constituait une discrimination. Dans l'affaire dite du mariage de Bègles, la Cour de cassation a jugé en 2007 que « La situation présente ne constitue pas une discrimination ». Le Conseil constitutionnel ajoutait : « seule l'adoption d'une loi nouvelle pourrait faire changer l'état du droit en vigueur. » La Cour européenne des droits de l'homme, considérant que la convention européenne ne fait pas obligation d'autoriser le mariage homosexuel, renvoie toute décision au législateur national. Enfin, la charte des droits fondamentaux, entrée en vigueur en 2009, dispose : « Le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l'exercice » : ce texte renvoie également la décision au législateur.

Si cette interdiction n'a pas été jugée discriminatoire, la Halde, puis le Défenseur des droits, ont considéré qu'elle créait des discriminations indirectes, puisque les couples de même sexe n'ont d'autre choix pour organiser leur vie commune que le Pacs. Or celui-ci n'ouvre pas, par exemple, droit à pension de réversion. Pour mettre fin à une discrimination en raison de l'orientation sexuelle des personnes, j'ai proposé, en octobre 2011, une réforme pour y remédier. Le Gouvernement d'alors ne l'avait pas retenue, en raison de considérations budgétaires. L'étude d'impact n'a pas examiné son incidence financière.

Autre problème, la solidarité du bail ou le maintien dans les lieux : en cas de séparation, le partenaire non signataire du bail, s'il reste solidaire des dépenses, ne dispose d'aucun droit. Nous avions proposé la co-titularité du bail. Le projet de loi met fin à cette inégalité.

Troisième problème : l'octroi de congés pour événements familiaux liés à la parentalité, non accessibles aux partenaires d'un Pacs. Un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 a accordé onze jours de congés parentaux pour les personnes vivant maritalement avec la mère. Sur ce point, l'alignement des droits est désormais acquis.

Sur toutes ces questions dont nous sommes fréquemment saisis, le texte, en ouvrant le mariage aux personnes de même sexe, met fin à des discriminations. C'est aussi le choix qu'ont fait sept pays de l'Union européenne sur vingt-sept.

L'article 4 de la loi organique charge le Défenseur des droits de défendre l'intérêt supérieur de l'enfant tel que consacré par la loi et nos engagements internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés. La France est signataire de la convention internationale des droits de l'enfant, ratifiée en 1990. Le comité des droits de l'enfant de l'ONU nous demande de veiller à ce que l'intérêt supérieur de l'enfant soit soigneusement pris en considération dans l'élaboration comme dans la mise en oeuvre des lois. Ce n'est pas une clause de style. L'intérêt supérieur de l'enfant constitue une notion juridique précise, elle doit être une considération primordiale dans toute décision qui concerne les enfants.

Alors que la question du mariage relève de la seule décision nationale, tel n'est pas le cas de l'intérêt supérieur de l'enfant. Or, sérieuse lacune, pas un seul paragraphe de l'étude d'impact n'y fait référence. J'ai écrit le 14 novembre à Mme la garde des sceaux pour attirer son attention sur ce point, et recommander une étude d'impact complémentaire.

Une telle réserve ne suggère nullement une incompatibilité avec la convention. Au demeurant, des Etats signataires ont ouvert le mariage aux personnes de même sexe. Mon observation est de méthode. Dès lors que l'intérêt et les droits de l'enfant sont en cause, il faut partir de l'analyse de ces droits. Or, on procède ici à l'inverse, l'adoption n'étant conçue que « par voie de conséquence », ainsi que le dit clairement l'exposé des motifs.

Entre 14 000 et 40 000 enfants selon l'INED, de 200 000 à 300 000 selon les associations, seraient accueillis par un couple homoparental. Des dizaines de milliers d'enfants grandissent aujourd'hui dans une situation familiale juridiquement précaire : autoriser le mariage du couple qui les élève est conforme à leur intérêt car cela leur assure une plus grande sécurité juridique.

Le 23 octobre dernier, le Conseil supérieur de l'adoption a « fait état de son inquiétude devant la difficulté de concilier un objectif d'égalité des droits au bénéfice de personnes du même sexe et le caractère prioritaire de l'intérêt de l'enfant dans le cas d'adoption ». Le président du conseil général, chargé de délivrer l'agrément, doit, pour vérifier les conditions d'accueil, procéder à des investigations, sociales et psychologiques, souvent décrites comme intrusives par les adoptants. Sur quelle base les services d'aide sociale à l'enfance, le juge, vont-ils fonder leur appréciation ? Car les pratiques des conseils de famille des conseils généraux sont extrêmement disparates. Peut-être serait-il utile que votre commission entende Mme Chapdelaine : le Conseil supérieur de l'adoption a rendu le 9 janvier dernier un deuxième avis.

Le droit à l'adoption, enfin, pourrait rester virtuel, compte tenu du petit nombre d'enfants adoptables.

Quid, enfin, de la filiation ? La présomption de paternité ne pouvant s'appliquer aux couples de même sexe, quelle place faut-il réserver aux parents biologiques, qu'est-il prévu en matière d'état civil, les documents seront-ils identiques ? Quelle incidence, en cas d'adoption plénière, pour les enfants désireux plus tard d'accéder à leurs origines ? Qu'en sera-t-il des enfants issus de la procréation médicalement assistée (PMA) et de la gestation pour autrui (GPA) - aujourd'hui interdites en France ? Il s'agit de situations réelles et qui vont se multiplier. La rareté des enfants adoptables incitera les couples à recourir à ces méthodes de procréation, voire à la voie de l'accouchement sous X, lequel pourrait donner lieu à une GPA qui ne dirait pas son nom.

Quels seront les droits des enfants, comment les déclarations de naissance seront-elles traitées ? Les questions d'état civil pour ces enfants ne sont pas résolues par la circulaire du 25 janvier, puisqu'elle ne porte que sur la nationalité.

L'Assemblée nationale a apporté des clarifications, et d'abord en maintenant les termes de père et de mère au titre VII du code civil. Devant les députés, j'avais souligné que plus d'une centaine d'articles de douze codes différents substitueraient le mot parents à ceux de père et de mère, d'où des incertitudes en matière successorale et sur l'obligation alimentaire. La réécriture de l'article 4 du texte y a remédié.

Autre clarification, en cas d'adoption simple de l'enfant du conjoint, le texte facilite le partage de l'autorité parentale. Enfin un amendement autorise le juge, si tel est l'intérêt supérieur de l'enfant, à prendre des mesures garantissant le maintien de relations avec le tiers ayant résidé de manière stable avec lui, et qui a noué avec lui des liens affectifs durables - nous sommes saisis de nombreuses réclamations sur ces situations qui concernent tous les couples.

Peut-être faut-il aller plus loin dans les mesures susceptibles d'être prises par le juge aux affaires familiales, le tiers se voyant reconnaître des droits (de visite) et des devoirs (pension alimentaire) équilibrés avec ceux de l'ancien conjoint. L'actualité récente nous a montré les difficultés qui subsistent dans le cadre d'un divorce. Et les situations sont plus dramatiques encore quand la relation s'est nouée hors du cadre légal. Le juge devrait être doté d'une grande latitude d'action.

Puisse le Sénat oeuvrer utilement pour que la future loi ait toute la clarté nécessaire dans l'intérêt des familles, des enfants.

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