Au cours d'une seconde séance qui s'est tenue dans l'après-midi, la commission poursuit ses auditions publiques sur le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
Elle entend tout d'abord des représentants de l'Agence française de l'adoption (AFA).
M. Sueur, président de la commission, nous rejoindra plus tard, je vous prie d'excuser son absence. L'audition des représentants de l'Agence française de l'adoption (AFA), un organisme public créé en 2005, prolongera l'intéressante audition des associations de parents d'enfants adoptés.
J'espère que cette audition vous apportera des éléments nouveaux. L'AFA, créée par la loi du 4 juillet 2005, a commencé à aider les parents candidats à l'adoption internationale en 2006, dans 35 pays signataires de la convention de La Haye. Depuis sa création, elle a accompagné 6 000 familles pour 3 000 adoptions. Contrairement aux organismes agréés pour l'adoption (OAA), organismes privés, elle a l'obligation de traiter toutes les candidatures.
L'adoption internationale, qui avait pris un rapide essor dans les années 1980, diminue depuis 2005, avec une baisse de 35 % dans les cinq premiers pays d'accueil. Pourquoi cette diminution ? D'abord, et c'est une cause heureuse, les pays d'origine, souvent émergents, se sont développés. Moins d'enfants sont donc abandonnés pour des raisons économiques et, logiquement, les pays appliquent un critère de préférence nationale. Ensuite, les pays d'origine multiplient les critères, ajoutant aux exigences en termes de niveau d'éducation, de revenu ou de santé, des critères culturels, sociaux et religieux. Tout cela modifie la donne de l'adoption internationale.
Pour l'heure, l'Agence ne peut satisfaire à la demande d'adoption par des couples homosexuels puisque celle-ci est interdite. Quelles seront les conséquences de cette loi sur l'adoption internationale ? La situation évolue au fil de la discussion du projet. A notre connaissance, soixante pays refusent l'adoption internationale par des couples homosexuels. Distinguons bien l'adoption homoparentale de l'adoption monoparentale. Il n'y a pas de discrimination sur la sexualité pour une adoption monoparentale, potentiellement homosexuelle. Seule l'adoption homoparentale, en couple, est impossible. Certains pays, qui sanctionnent lourdement l'homosexualité par l'emprisonnement, voire la peine de mort, renforcent déjà leurs critères de refus.
La situation est donc complexe : d'un côté, l'AFA, financée à 100 % par des fonds publics, ne peut pas refuser de demandes ; de l'autre, les pays, qui ont signé la convention de La Haye, sont souverains dans la fixation de leurs critères. En Russie, la Douma a d'ores et déjà prévenu qu'elle ne souhaitait pas que les enfants russes puissent être adoptés par des couples homosexuels. D'autres pourront suivre. Il faudra l'expliquer aux candidats à l'adoption.
Pour finir, parmi les enfants à adopter, on trouve de moins en moins d'enfants en bas âge. Ce sont plus souvent des enfants de six ou sept ans, des fratries, des enfants à besoins spécifiques, atteints de maladies parfois bénignes, qui peuvent être soignées en France, par exemple l'opération d'un bec de lièvre de forme palatine, ou d'affections parfois plus lourdes comme certaines cardiopathies. Comme nous l'avons vu au Vietnam et au Cambodge, l'on adopte désormais des enfants porteurs du VIH.
La France n'est pas le premier pays à ouvrir sur l'adoption aux couples homosexuels : dix-sept pays l'acceptent déjà. Ce sont les Etats les plus avancés économiquement, ceux où l'on propose peu d'enfants à l'adoption. Quatre pays pourraient cependant être ciblés : les Etats-Unis, où plusieurs Etats se sont dotés d'une législation favorable, le Brésil pour deux Etats, l'Afrique du Sud, où la loi est nationale, et, éventuellement, l'Etat de Mexico, au Mexique. Cela dit, on y préfèrera une adoption par des nationaux. Aucune adoption internationale par un couple homosexuel n'a eu lieu en Belgique depuis que ce pays s'est ouvert à l'adoption homoparentale en 2006.
Les candidatures risquent de se concentrer sur les pays ouverts à l'adoption homoparentale. Ceux-ci pourraient être conduits à adopter des politiques restrictives, des quotas. En pratique, le nombre d'enfants adoptables sera très limité. En conséquence, l'Agence pourrait être contrainte de procéder à des appels à dossier dans lesquels les candidatures homosexuelles seraient peu représentées, sauf à adopter une discrimination positive.
Face à cela, les candidats pourront être tentés d'adopter une stratégie dans laquelle à l'adoption par un célibataire succéderait une adoption par le conjoint homosexuel dans le pays d'accueil. Il faudra prendre garde aux conséquences de telles pratiques, car les pays d'origine sont extrêmement attentifs aux rapports de suivi.
L'AFA, parce qu'elle ne peut opérer de discrimination entre les familles, contrairement aux organismes privés, sera sollicitée par les couples homosexuels. Il pourrait en résulter une dégradation de son image à l'étranger, d'autant que les opérateurs privés refuseront vraisemblablement les homosexuels. Je l'ai constaté lors de ma dernière mission en Colombie. Bien que les discours ne soient pas directs, les questions-réflexions montrent bien que les autorités ne souhaitent pas que les enfants soient préparés à une adoption par un couple homosexuel. Autre exemple, la Chine et le Vietnam ont demandé aux parents de joindre à leur dossier une attestation de non-homosexualité. Autrement dit, cette loi suscitera, pour nous, des difficultés supplémentaires.
L'AFA est en lien avec 6 000 familles. Je ne suis pas sûre que le nombre de candidatures de couples homosexuels sera extrêmement important. Il n'en appartiendra pas moins à l'Agence de les accueillir comme nous le faisons pour les autres, les familles hétérosexuelles et les célibataires. En tout état de cause, le danger est qu'une levée de boucliers dans les pays d'origine conduise à une interdiction de l'adoption internationale aux célibataires également. En effet, j'ai déjà été interrogée sur les moyens d'identifier leur orientation sexuelle ; comme nous ne saurions le faire, le défaut de réponse sur ce point nous confrontera à un risque dans les mois qui viennent.
Le problème sera européen. Même si le mariage n'est pas ouvert aux homosexuels partout en Europe, la Cour européenne des droits de l'homme a rendu un arrêt contre l'Autriche, celle de Karlsruhe a constaté qu'on ne peut interdire à un parent d'adopter l'enfant de l'autre. Un barrage justifierait que les autorités européennes entreprennent de renégocier la convention de La Haye
Une question : existe-t-il beaucoup de candidatures émanant de vrais célibataires ? S'agit-il surtout de femmes ?
Membre de l'Agence au titre de mon département, je connais bien ses activités. Quelle est la part des demandes d'adoptions de célibataires et qu'en est-t-il de l'adoption internationale en Belgique et en Espagne où le mariage est ouvert aux homosexuels ? Avez-vous des remontées des parents depuis les débats sur cette loi ? Pour finir, je veux redire ma conviction que la capacité éducative des personnes doit l'emporter sur l'orientation sexuelle.
Depuis qu'elle a légiféré en 2006, la Belgique n'a réalisé aucune adoption internationale pour des couples homosexuels. Mais il ne semble pas que l'ouverture de l'adoption aux homosexuels ait eu une incidence sur les autres demandes.
Quant au nombre de demandes émanant de célibataires, nous n'avons pas de chiffre précis : nous n'allons pas vérifier chez les gens comment ils vivent. L'AFA a été récemment confrontée à une difficulté vis-à-vis d'un pays d'origine : un homme, une fois l'adoption accomplie, a révélé son homosexualité. Le risque est grand de voir des pays renforcer leurs critères pour se prémunir contre de telles éventualités. Ainsi, la Colombie nous a demandé davantage de rapports de suivi à la fin de l'année dernière.
Sur l'ensemble des dossiers, 16 % proviennent de femmes célibataires, 1 % d'hommes seuls.
L'AFA, organisme public, tenu d'accueillir toutes les demandes, constitue une curiosité au niveau international. Il existe une seule petite agence publique, en Italie, pour le Piémont. Les organismes privés sont la règle, et ils sont très attentifs à ne présenter que des candidats répondant aux critères posés par les pays d'origine.
Qui vérifie l'attestation de non-homosexualité ? C'est l'adoptant qui s'engage.
Le parent candidat signe une attestation sur l'honneur.
Vous avez évoqué la Chine et le Vietnam. Y a-t-il d'autres pays en Asie qui proposent des enfants à l'adoption, mais où l'on ne montre pas de défiance envers l'adoption homoparentale ?
Avez-vous une évaluation et un suivi dans le temps de la relation familiale créée par l'adoption ? Si vous en avez les moyens, quelles sont vos appréciations ?
L'attestation consiste en une déclaration sur l'honneur. Elle est invérifiable, même si elle engage le candidat. La Colombie demande un suivi durant dix-huit mois après l'adoption, une obligation parfois vécue difficilement par des familles qui ont attendu sept ans avant d'accueillir un enfant. Ce suivi implique un surcroît de travail pour l'AFA. Il nous incombera, tout en restant neutres et en accompagnant toutes les familles, de faire face à un renforcement des critères de la part des pays d'origine et à des demandes de suivi.
Une évaluation menée par le ministère en charge de la famille et portant sur les années 2005 à 2010, sera bientôt disponible. L'AFA travaille également avec un chercheur du CNRS sur une évaluation de la réussite de l'adoption d'enfants à problèmes spécifiques, en particulier des enfants venant de Lettonie et souffrant du syndrome de l'alcoolisation foetale.
J'évoquais bien les études dans la durée. Qu'il y en ait une en cours est une bonne chose
Contrairement à ce qu'ont dit certains, l'adoption, qui se substituait totalement à la filiation biologique, a changé de visage depuis la guerre : on adopte des enfants plus âgés, des enfants malades que l'on soignera en France. Se posera le problème de leurs origines : comment leur donner accès à leur histoire ?
Peu de pays asiatiques sont ouverts à l'adoption par des célibataires. C'était le cas de la Chine jusqu'en 2008. L'Afrique est désormais le premier continent d'où viennent les enfants adoptables. Nous sommes ainsi confrontés à d'autres conceptions de la filiation. Les pays musulmans, qui privilégient la filiation biologique, refusent, par exemple, l'adoption plénière au profit de la Kafala. Quant à l'Espagne, l'adoption étant gérée par les communautés autonomes, nous ne disposons pas de données centralisées.
Les restrictions de certains pays pour présenter des enfants à l'adoption ne tiennent-elles pas aussi à un réflexe nationaliste ?
Le vivier se réduit surtout en raison de l'élévation du niveau de vie, et c'est heureux. Quant à la préférence nationale, nous l'appliquons aussi. Parmi les pays ouverts à l'adoption homoparentale, nous ne travaillons pas avec le Brésil, qui ne traite qu'avec les organismes privés. Nous avons réalisé quatre ou cinq adoptions en Afrique du Sud. Quant aux États-Unis, certains Etats, notamment démocrates, pratiquent une forme ouverte d'adoption, avec maintien d'un lien avec la mère biologique. Cela implique des échanges de courrier, des rencontres, il faut en tenir compte. Ces dernières années, l'adoption internationale a beaucoup évolué, à nous de nous adapter à cet état de fait.
L'adoption est de plus en plus difficile pour les futurs parents. Ils doivent suivre de multiples formations... Qu'en pensez-vous ?
Plus globalement, je m'interroge sur les missions de l'AFA depuis mon arrivée il y a un an. Ses missions évolueront forcément. Par exemple, les enfants à adopter sont de plus en plus des enfants à besoins spécifiques. Nous devons faire évoluer les choses, avec nos autorités de tutelle.
J'ai été contrainte d'organiser les services de manière à prendre en charge les préparations des familles que nous imposent la Russie, la Chine, le Burkina Faso et la Thaïlande. Nous assistons à un phénomène de contagion, la Russie imposant même 80 heures de préparation. Heureusement, cette formation est dispensée en lien avec les conseils généraux. Il nous revient ensuite de comptabiliser et d'attester le nombre d'heures effectuées par les parents, que ce soit par notre intermédiaire ou celui des départements. Si tous les pays d'origine adoptent cette exigence, l'AFA avec ses 29 salariés, dont 6 personnes affectés à des tâches administratives, ne pourra pas faire face. Nous devrons renforcer notre coopération avec les départements et les organismes privés, les OAA.
A nous de réfléchir aux évolutions à prévoir, y compris en tenant compte des pays qui n'ont pas signé la convention de la Haye. Des familles qui partent dans ces pays lointains ont besoin d'être préparées.
Merci d'avoir répondu à notre invitation. Je rappelle que ces auditions sont publiques, donnent lieu à compte rendu et sont retransmises sur le site du Sénat - elles sont d'ailleurs très regardées.
Présidence M. Jean-Pierre Sueur, président
Puis elle entend M. Dominique Baudis, Défenseur des droits.
Monsieur le Défenseur des droits, voilà la quatrième ou la cinquième fois que notre commission vous reçoit, et elle le fait toujours avec plaisir. L'institution du Défenseur des droits a donné lieu à bien des débats, n'est-ce pas M. Hyest ?, mais depuis que vous avez pris vos fonctions, vous les assurez avec détermination et attention. Il nous paraissait essentiel de vous entendre. Nous sommes déterminés, dans les auditions que nous conduisons, non à prendre notre temps mais à prendre tout le temps nécessaire pour traiter au fond d'un sujet important.
Merci à vous de m'avoir convié. Je me suis exprimé en novembre devant la commission des lois de l'Assemblée nationale. Je vais présenter les interrogations et l'analyse de l'institution du Défenseur des droits. Celle-ci, qui est inscrite dans la Constitution, a quatre missions : les relations entre citoyens et services publics, la défense des enfants, la déontologie de la sécurité et la lutte contre les discriminations. C'est cette dernière et l'intérêt supérieur de l'enfant, qui nous occupent dans l'examen du projet de loi ouvrant le mariage aux couples homosexuels. J'ai consulté, comme l'exigent nos statuts, les quatorze personnalités qualifiées qui siègent dans le collège chargé de la lutte contre les discriminations et dans celui chargé de la promotion et de la défense des droits de l'enfants, ainsi que différentes institutions ou associations concernées .
Le Défenseur des droits, comme la Halde auparavant, a constaté que l'impossibilité pour les couples de même sexe de se marier créait des inégalités. Pour autant, les plus hautes juridictions, le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation et la Cour européenne des droits de l'homme, n'avaient pas jugé que cette impossibilité constituait une discrimination. Dans l'affaire dite du mariage de Bègles, la Cour de cassation a jugé en 2007 que « La situation présente ne constitue pas une discrimination ». Le Conseil constitutionnel ajoutait : « seule l'adoption d'une loi nouvelle pourrait faire changer l'état du droit en vigueur. » La Cour européenne des droits de l'homme, considérant que la convention européenne ne fait pas obligation d'autoriser le mariage homosexuel, renvoie toute décision au législateur national. Enfin, la charte des droits fondamentaux, entrée en vigueur en 2009, dispose : « Le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l'exercice » : ce texte renvoie également la décision au législateur.
Si cette interdiction n'a pas été jugée discriminatoire, la Halde, puis le Défenseur des droits, ont considéré qu'elle créait des discriminations indirectes, puisque les couples de même sexe n'ont d'autre choix pour organiser leur vie commune que le Pacs. Or celui-ci n'ouvre pas, par exemple, droit à pension de réversion. Pour mettre fin à une discrimination en raison de l'orientation sexuelle des personnes, j'ai proposé, en octobre 2011, une réforme pour y remédier. Le Gouvernement d'alors ne l'avait pas retenue, en raison de considérations budgétaires. L'étude d'impact n'a pas examiné son incidence financière.
Autre problème, la solidarité du bail ou le maintien dans les lieux : en cas de séparation, le partenaire non signataire du bail, s'il reste solidaire des dépenses, ne dispose d'aucun droit. Nous avions proposé la co-titularité du bail. Le projet de loi met fin à cette inégalité.
Troisième problème : l'octroi de congés pour événements familiaux liés à la parentalité, non accessibles aux partenaires d'un Pacs. Un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 a accordé onze jours de congés parentaux pour les personnes vivant maritalement avec la mère. Sur ce point, l'alignement des droits est désormais acquis.
Sur toutes ces questions dont nous sommes fréquemment saisis, le texte, en ouvrant le mariage aux personnes de même sexe, met fin à des discriminations. C'est aussi le choix qu'ont fait sept pays de l'Union européenne sur vingt-sept.
L'article 4 de la loi organique charge le Défenseur des droits de défendre l'intérêt supérieur de l'enfant tel que consacré par la loi et nos engagements internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés. La France est signataire de la convention internationale des droits de l'enfant, ratifiée en 1990. Le comité des droits de l'enfant de l'ONU nous demande de veiller à ce que l'intérêt supérieur de l'enfant soit soigneusement pris en considération dans l'élaboration comme dans la mise en oeuvre des lois. Ce n'est pas une clause de style. L'intérêt supérieur de l'enfant constitue une notion juridique précise, elle doit être une considération primordiale dans toute décision qui concerne les enfants.
Alors que la question du mariage relève de la seule décision nationale, tel n'est pas le cas de l'intérêt supérieur de l'enfant. Or, sérieuse lacune, pas un seul paragraphe de l'étude d'impact n'y fait référence. J'ai écrit le 14 novembre à Mme la garde des sceaux pour attirer son attention sur ce point, et recommander une étude d'impact complémentaire.
Une telle réserve ne suggère nullement une incompatibilité avec la convention. Au demeurant, des Etats signataires ont ouvert le mariage aux personnes de même sexe. Mon observation est de méthode. Dès lors que l'intérêt et les droits de l'enfant sont en cause, il faut partir de l'analyse de ces droits. Or, on procède ici à l'inverse, l'adoption n'étant conçue que « par voie de conséquence », ainsi que le dit clairement l'exposé des motifs.
Entre 14 000 et 40 000 enfants selon l'INED, de 200 000 à 300 000 selon les associations, seraient accueillis par un couple homoparental. Des dizaines de milliers d'enfants grandissent aujourd'hui dans une situation familiale juridiquement précaire : autoriser le mariage du couple qui les élève est conforme à leur intérêt car cela leur assure une plus grande sécurité juridique.
Le 23 octobre dernier, le Conseil supérieur de l'adoption a « fait état de son inquiétude devant la difficulté de concilier un objectif d'égalité des droits au bénéfice de personnes du même sexe et le caractère prioritaire de l'intérêt de l'enfant dans le cas d'adoption ». Le président du conseil général, chargé de délivrer l'agrément, doit, pour vérifier les conditions d'accueil, procéder à des investigations, sociales et psychologiques, souvent décrites comme intrusives par les adoptants. Sur quelle base les services d'aide sociale à l'enfance, le juge, vont-ils fonder leur appréciation ? Car les pratiques des conseils de famille des conseils généraux sont extrêmement disparates. Peut-être serait-il utile que votre commission entende Mme Chapdelaine : le Conseil supérieur de l'adoption a rendu le 9 janvier dernier un deuxième avis.
Le droit à l'adoption, enfin, pourrait rester virtuel, compte tenu du petit nombre d'enfants adoptables.
Quid, enfin, de la filiation ? La présomption de paternité ne pouvant s'appliquer aux couples de même sexe, quelle place faut-il réserver aux parents biologiques, qu'est-il prévu en matière d'état civil, les documents seront-ils identiques ? Quelle incidence, en cas d'adoption plénière, pour les enfants désireux plus tard d'accéder à leurs origines ? Qu'en sera-t-il des enfants issus de la procréation médicalement assistée (PMA) et de la gestation pour autrui (GPA) - aujourd'hui interdites en France ? Il s'agit de situations réelles et qui vont se multiplier. La rareté des enfants adoptables incitera les couples à recourir à ces méthodes de procréation, voire à la voie de l'accouchement sous X, lequel pourrait donner lieu à une GPA qui ne dirait pas son nom.
Quels seront les droits des enfants, comment les déclarations de naissance seront-elles traitées ? Les questions d'état civil pour ces enfants ne sont pas résolues par la circulaire du 25 janvier, puisqu'elle ne porte que sur la nationalité.
L'Assemblée nationale a apporté des clarifications, et d'abord en maintenant les termes de père et de mère au titre VII du code civil. Devant les députés, j'avais souligné que plus d'une centaine d'articles de douze codes différents substitueraient le mot parents à ceux de père et de mère, d'où des incertitudes en matière successorale et sur l'obligation alimentaire. La réécriture de l'article 4 du texte y a remédié.
Autre clarification, en cas d'adoption simple de l'enfant du conjoint, le texte facilite le partage de l'autorité parentale. Enfin un amendement autorise le juge, si tel est l'intérêt supérieur de l'enfant, à prendre des mesures garantissant le maintien de relations avec le tiers ayant résidé de manière stable avec lui, et qui a noué avec lui des liens affectifs durables - nous sommes saisis de nombreuses réclamations sur ces situations qui concernent tous les couples.
Peut-être faut-il aller plus loin dans les mesures susceptibles d'être prises par le juge aux affaires familiales, le tiers se voyant reconnaître des droits (de visite) et des devoirs (pension alimentaire) équilibrés avec ceux de l'ancien conjoint. L'actualité récente nous a montré les difficultés qui subsistent dans le cadre d'un divorce. Et les situations sont plus dramatiques encore quand la relation s'est nouée hors du cadre légal. Le juge devrait être doté d'une grande latitude d'action.
Puisse le Sénat oeuvrer utilement pour que la future loi ait toute la clarté nécessaire dans l'intérêt des familles, des enfants.
Merci pour votre précieux exposé. Sachez que nous avons le souci d'améliorer le texte.
Le mariage, avez-vous dit, met fin à des discriminations indirectes. La question est réglée. Restent celles de l'adoption et de la filiation, sur quoi nous travaillons déjà principalement, en relation avec le rapporteur de l'Assemblée nationale. Car bien des interrogations demeurent, auxquelles il convient de répondre dans le sens de l'intérêt supérieur de l'enfant, de tous les enfants.
Nous attendons que la Chancellerie nous communique les projets de documents d'état civil. Nous nous assurerons qu'ils ne soient pas discriminatoires. Il nous reste un mois entier. Sur ces documents réglementaires, je suis certain que le Défenseur des droits sera consulté.
Nous n'avons pas entendu, pour l'instant, Mme Chapdelaine, mais nous avons eu les deux avis du Conseil supérieur de l'adoption, dont Mme Meunier est membre.
J'ai mal compris votre rapprochement entre accouchement sous secret et GPA. Quand une femme accouche sous secret, l'enfant n'est jamais confié directement à une famille.
Lorsque vous avez évoqué la question du maintien du lien affectif, formiez-vous un souhait ? Les services sociaux à l'enfance y sont attentifs - on le leur reproche parfois. Comment traitez-vous les nombreuses récriminations dont vous parlez ? Vos délégués territoriaux constatent-ils une augmentation des doléances ?
C'est volontairement que je n'ai pas abordé les questions qui ne sont pas traitées dans la loi et qui ne seront pas ajoutées par le Sénat. Mais il est des enfants qui naissent, et qui ne sont pas responsables de la façon dont ils ont été conçus, fût-elle illégale. Sans ouvrir le débat là-dessus, je suis heureux que vous ayez évoqué l'intérêt supérieur de l'enfant.
En stylistique, on connaît bien cette figure où l'on parle toujours d'un sujet dont on ne parle jamais... Sauf à fermer le Parlement, il ne suffit pas qu'une loi existe dans un autre pays pour que nous l'adoptions. Autre chose est le fait que les êtres humains ont des droits, vous me permettrez d'y insister après M. le rapporteur.
Merci de votre exposé, très rassurant sur l'institution que vous incarnez, si nous en avions besoin. Vous le savez, nous n'étions pas tous favorables à la disparition du Défenseur des enfants. L'intérêt supérieur de l'enfant, qui reste au coeur de vos préoccupations, appelle une définition plus précise. Vous avez évoqué le maintien des liens affectifs en cas de séparation. On ne saurait s'en tenir à cette situation. Quelle est votre réflexion sur l'enfant au sein de la famille ?
Quelles propositions voudriez-vous voir prises en compte pour ce qui concerne les droits et les devoirs des tiers qui élèvent l'enfant ? Y aurait-il pension alimentaire du père biologique et du père adoptif ?
Beaucoup de questions restent dans l'ombre, avez-vous dit, et l'étude d'impact ignore la convention sur les droits de l'enfant. Même si vous ne nous avez pas dit qu'une précipitation avait présidé à son élaboration, nous avons compris que toutes ses virtualités n'avaient pas été suffisamment explorées. Il nous a été conseillé de différer l'application de la loi, à un ou deux ans. Qu'en pensez-vous ?
Le droit à l'adoption risque de rester un leurre, avez-vous rappelé, si bien que ces couples vont être amenés à se tourner vers les techniques d'aide à la procréation. Imaginez-vous possible de laisser coexister une double législation en matière de PMA, l'une pour les couples hétérosexuels, l'autre pour les femmes homosexuelles, ou serons-nous obligés de reconnaître une PMA par convenance ?
Les conseils généraux, sont en première ligne pour l'adoption. Mais qui fixe les critères qu'ils appliquent en la matière ? Sans critères précis, nous ne pourrons pas considérer que les enfants sont traités de manière égale d'un département à l'autre. Merci d'avoir rappelé que l'intérêt supérieur de l'enfant devrait être notre guide.
Pourquoi, enfin, monsieur le rapporteur, ne pas entendre Mme Chapdelaine, comme le suggère M. Baudis ?
Nous sommes limités pour nos temps d'audition car l'usage est de ne pas conduire d'auditions lorsque notre commission a un texte en séance. Nous envisageons cependant d'autres auditions publiques après la reprise des travaux.
Je salue l'intervention du Défenseur des droits, qui a éclairé nos débats. Son analyse confirme le besoin de lever des discriminations existantes : cette loi est nécessaire. En revanche, il émet des réserves sur l'intérêt supérieur de l'enfant. Là encore, elles témoignent, à mes yeux, de la nécessité de légiférer. La lecture devant l'Assemblée nationale en a déjà levé plusieurs, a-t-il dit. Le Sénat entend en lever d'autres.
Il est vrai, monsieur le rapporteur, que certaines des interrogations que j'ai formulées relèvent du domaine réglementaire. Cela n'empêche pas le Parlement d'interroger le Gouvernement sur ses intentions, car ses éclaircissements peuvent contribuer à apaiser le débat.
Les délégués départementaux, Madame Meunier, font remonter les dossiers sur ce type de difficultés pour donner des réponses équanimes. Nous sommes une instance d'appel d'accès au droit.
La procédure d'accouchement sous X, si elle brise définitivement toute relation entre la mère et l'enfant, n'interdit pas la reconnaissance en paternité d'un homme. Il faut rester vigilant, car cela peut ouvrir la voie à des GPA qui ne disent pas leur nom.
Nous sommes confrontés à des situations douloureuses. Ce sont souvent des femmes qui nous saisissent. Le jour où survient une rupture conflictuelle, le parent social n'a strictement aucun droit, même s'il a accompagné et éduqué l'enfant pendant dix ans. Avec l'amendement introduit par l'Assemblée nationale, qui mériterait d'être précisé, le juge aux affaires familiales pourra tenir compte de ce lien affectif. Il y va aussi de l'intérêt supérieur de l'enfant, pris en otage quand la séparation se passe mal.
Pour les enfants qui grandissent aujourd'hui élevés par des parents de même sexe, ce texte marque un vrai progrès. Finalement, nous évoquons là des situations qui n'avaient pas pu être prises en compte par le passé. J'ajoute que la disposition a le grand mérite de viser toutes les familles : le juge pourra organiser le maintien du lien affectif.
Le code civil autorise déjà le juge aux affaires familiales à apprécier le lien affectif. C'est ainsi, entre autres, qu'est réglée la situation des grands-parents.
La disposition ouvre ce droit aux personnes homosexuelles.
Elle est redondante. Pourquoi inventer ce qui existe déjà ? Nous avons le tort de ne pas lire le code civil...
Il est bon que le juge voie que le législateur a pris la question en compte. Quant au calendrier, il ne me revient pas d'apprécier si la mise en oeuvre de cette loi doit être différée.
Si le texte ne prend pas en compte les exigences de la convention internationale sur les droits de l'enfant dans l'étude d'impact, ce n'est pas par manque de temps, mais parce que l'adoption a été considérée comme une simple conséquence du droit au mariage. Or la convention internationale oblige à soumettre prioritairement toute élaboration de loi à cette grille.
Le droit à l'adoption est-il un leurre ? Certes, ouvrir le droit à l'adoption aux couples homosexuels est une affaire d'équité. Reste que le nombre d'enfants à adopter se réduit. Si ce droit reste virtuel, la question de la GPA et de la PMA se posera inévitablement... Un couple hétérosexuel pacsé n'a pas accès à la PMA, non plus qu'une femme célibataire, qui a pourtant le droit d'adopter. Ces sujets ne sont pas abordés dans le texte, mieux vaut ne pas s'avancer. En toute hypothèse, sur ces questions, il faudra conduire une étude d'impact au regard de la convention internationale des droits de l'enfant et consulter le Comité national consultatif d'éthique.
Le Conseil supérieur de l'adoption a rendu un deuxième avis le 9 janvier dernier, qui n'est pas publié. C'est pourquoi je vous suggérais d'entendre sa présidente.
Pour finir, je suis très sensible à la question des enfants à Mayotte. J'assisterai d'ailleurs à votre débat en séance publique tout à l'heure.
Il me reste à remercier M. Dominique Baudis. Ses avis et réflexions nous seront très précieux.
Enfin, elle entend Mme Christine Lazerges, présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme.
Nous avons l'honneur d'entendre Mme Christine Lazerges, ancienne députée, ancienne vice-présidente de l'Assemblée nationale, et désormais présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH). Parce qu'elle est une éminente juriste, nous faisons toujours le plus grand cas de ses avis.
Je vous remercie d'entendre notre Commission. Je me félicite que les sénateurs soient à son écoute.
J'ai rendu un avis très argumenté le 24 janvier dernier sur le projet de loi ouvrant le mariage aux couples homosexuels, que j'ai communiqué au président de la commission des lois ainsi qu'au président du Sénat. Nous avons regretté de ne pas être saisis directement par le Gouvernement sur ce texte, qui touche à de nombreux droits fondamentaux : non-discrimination, égalité, droit de l'enfant, droit à une vie privée et familiale.
Il n'est pas intellectuellement honnête d'aller chercher une réponse claire et précise sur le mariage homosexuel dans la jurisprudence internationale ou européenne. La charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en son article 9, renvoie au législateur national. Dans cette situation, la France peut offrir de nouveaux droits.
Le texte marque clairement une avancée tant sur le mariage que sur la filiation adoptive. Voilà la conclusion de notre avis qui, je dois le dire par honnêteté, est assortie d'une opinion séparée de dix de nos membres.
Le mariage garantit la stabilité et la sécurité du couple, partant c'est bien une question d'égalité pour les couples homosexuels. Le Pacs, qui n'a été qu'une étape, ne garantit pas les mêmes droits, ainsi que l'a souligné le Défenseur des droits. Le texte met donc fin à des discriminations indirectes en matière de succession ou encore de devoir entre les époux. Une union civile, telle que certains ont pu l'imaginer n'aurait été qu'un mariage bis pour une catégorie de citoyens, reportant la question de l'égalité.
Le mariage est plus qu'un contrat, il institue une union dont il est le symbole, un symbole fort. Pour la première fois, ce n'est plus la procréation qui est mise en avant, mais bien l'union de deux personnes, en une institution plus forte qu'un simple contrat. Désormais détaché de la procréation, dont les religions faisaient le coeur, le mariage restera une institution publique, quand bien même il sera ouvert aux personnes de même sexe. Et ce d'autant plus qu'une loi de 2005 a aboli l'expression de « filiation naturelle » par opposition à la filiation légitime.
Il n'en demeure pas moins que ce texte impose une redéfinition du mariage. Nous avons tout à gagner à cette avancée des droits de l'homme. Nous garantissons plus de protection aux couples, aux familles et aux enfants. Ne les oublions pas.
Ce texte ouvre l'adoption simple et l'adoption plénière aux couples homosexuels. La première ne pose aucune difficulté, contrairement à la seconde. Cela dit, ces problèmes sont tout à fait surmontables. La question essentielle est celle de la remontée généalogique : peut-on prétendre que l'enfant est issu de deux parents du même sexe ? D'après nous, ce texte est l'occasion de revenir sur le mensonge légal institué, en 1966, par l'adoption plénière : faire des parents adoptifs les parents biologiques en droit. Les temps ont changé : adoptés et adoptants demandent la vérité biologique, ce qui n'enlève rien aux parents sociaux. Au vrai, une filiation sociale irait de pair avec l'accès à certains éléments des origines, déjà un peu ouvert par la loi de 2002 pour les enfants nés sous X. Il y a toute raison de revenir sur ce mensonge institutionnalisé lié à un modèle pseudo-procréatif du mariage qui ne peut plus continuer très longtemps. C'est une chance que le projet de mariage pour tous nous invite à revisiter les règles de l'adoption plénière. En résumé, la CNCDH recommande de ne pas occulter le fait biologique de l'engendrement.
Au-delà, la CNCDH distingue ce qui relève du droit civil et ce qui ressortit à l'éthique. L'élargissement de la PMA à des situations autres que médicales constituerait une aventure dans laquelle on ne saurait se lancer sans consulter le Comité national consultatif d'éthique. L'Assemblée nationale a eu la sagesse de ne pas ouvrir ce débat, non plus que celui de la GPA qui, parce qu'elle instrumentalise le ventre des femmes porte indubitablement atteinte aux droits fondamentaux : il y a des questions sous-jacentes d'esclavage.
Je vous remercie de cet avis juridiquement très motivé. Nous travaillons les articles pour mieux préciser la filiation. Oui, l'adoption plénière doit être totalement revue. J'inviterai le gouvernement à s'y atteler indépendamment de la nébuleuse encore incertaine qu'est la loi famille. Il est temps de tenir compte des changements intervenus : les enfants à adopter sont parfois plus âgés, ils ont des frères et des soeurs ; certains ont des maladies remédiables en France - c'est ainsi que la présidente de l'Agence française de l'adoption nous a dit tout à l'heure, ce qui est encourageant, avoir réussi l'adoption d'enfants vietnamiens porteurs du VIH, pour lesquels des traitements adéquats devaient être possibles. Quand le droit ne correspond plus à la réalité, il faut le revoir. De même, le texte ne parlera pas de PMA, quelle qu'elle soit. Pour autant, il y a une réalité et je m'étonne que les adorateurs de la mondialisation, du libéralisme, du marché et de la société de consommation s'émeuvent de leurs conséquences. Bien sûr, il est affreux de choisir un donneur de sperme sur catalogue, affreux d'aller à l'étranger trouver, à coup de dollars, une mère porteuse. Tout cela existe pourtant, maintenant que ce modèle s'est imposé, et les enfants ne sont pas responsables de la façon dont ils ont été conçus. Je milite pour que nous abordions ces questions de manière pragmatique.
Votre avis se fonde sur les valeurs de la République : liberté, égalité, fraternité. Le texte présente l'intérêt, c'est vrai, d'ouvrir le débat sur l'adoption. Tant de choses fausses circulent. Vous avez parlé de parents sociaux, mais les parents adoptifs se vivent comme des parents, ils établissent des liens pour la vie. Mensonge d'Etat, mensonge légal ? Désormais, les parents, quand 90 % des adoptions sont internationales, ne peuvent plus, ne veulent plus mentir. L'accès aux origines est divers et singulier. Il peut concerner un nom, ou un pays d'origine.
Bien sûr, ce texte évite des discriminations pour les adultes qui se marieront et offre plus de protection aux enfants, étant entendu que, dans la plupart des cas, on en passera par une adoption de l'enfant par le conjoint.
Malgré une couleur de peau différente, le mensonge peut perdurer... Il faut que l'enfant ait atteint une certaine maturité pour comprendre que cette différence interdit une filiation biologique.
Pour justifier l'ouverture du mariage aux couples homosexuels, vous avez beaucoup parlé d'égalité. Or, deux hommes ensemble ou deux femmes ensemble, ce n'est pas comme un homme et une femme ensemble. On ne peut pas fouler aux pieds la nature au nom de l'égalité : les homosexuels ne peuvent pas procréer. D'ailleurs, vous avez reconnu que ce texte obligeait à une redéfinition du mariage...
Ces auditions sont passionnantes. Des gays et des lesbiennes, que j'ai reçus, m'ont expliqué qu'ils voulaient surtout quelque chose de plus que le Pacs, qui n'était pas allé assez loin. Mme la ministre nous l'a affirmé, seuls 4 % de couples homosexuels ont eu recours au Pacs.
C'est logique puisqu'il n'y a pas plus de 4 % de couples homosexuels en France.
Il avait d'abord été conçu pour eux. Pourquoi pas une union civile qui répondrait aux attentes légitimes des personnes concernées au premier chef ? Il y a des mots signifiants, nous a dit un psychanalyste : le mariage en fait partie. Ne pourrait-on éviter de remettre en cause une civilisation ?
Ce qui me gêne dans ces débats qui vont ouvrir sur d'autres, c'est le sentiment de l'inéluctable. Il faudrait légiférer pour tenir compte des situations existantes, s'aligner sur la position des autres pays. Parce que le texte rendra la PMA possible pour les couples de femmes, il sera difficile de ne pas légaliser la GPA pour les couples d'hommes. La garde des sceaux nous assurait hier qu'un tel développement serait contraire à l'ordre public français. Pouvez-vous nous rassurer ?
Pour promouvoir ce projet de loi, on évoque les valeurs de la République, l'égalité, la sécurité, la protection, la lutte contre les discriminations. Or, au nom de ces mêmes valeurs, on peut militer contre ce texte. Un enfant dans une famille homosexuelle ne souffrira-t-il pas de discrimination par rapport aux autres enfants ? Mon collègue Revet l'a rappelé, un enfant naît d'un homme et d'une femme. Cela me gênerait que l'on aille contre la nature. Le mensonge, c'est de tricher contre la filiation en laissant entendre que les parents homosexuels seraient les créateurs de l'enfant. Depuis des millénaires, le mariage se définit comme l'union d'un homme et d'une femme en vue de créer un foyer et d'élever des enfants. Dans le métabolisme intellectuel de nos concitoyens, ce mot a un sens fort qui transcende les générations. Vous avez renoncé à l'union civile parce que vous souhaitez changer le sens du mot.
La filiation est l'essentiel du projet. Que ces couples s'aiment, et parfois plus que des couples hétérosexuels, je le reconnais. Qu'ils puissent élever un enfant avec amour, je le reconnais. S'il y avait un mensonge légal quand on laissait croire à l'enfant qu'il avait été engendré par ses parents adoptifs, du moins avait-il été conçu par un homme et une femme. Lui laisser croire qu'il est le fruit d'un couple homosexuel est plus grave. Mieux aurait valu réformer la filiation avant d'en venir à ce projet de loi. Enfin, j'eusse aimé que vous nous fissiez connaître l'avis divergent des dix membres de votre commission.
J'applaudis des deux mains.
- Présidence de M. Jean-Pierre Michel, vice-président -
J'en conviens volontiers, la couleur de la peau n'est pas une information suffisante sur les origines. Nous pouvions très bien prévoir l'accès à d'autres informations en lien avec les pays d'origine des enfants adoptés.
Le texte ne fait pas tomber le symbole du mariage. Il y a toutes sortes de familles : monoparentales, recomposées, homoparentales... Le modèle unique du mariage a disparu et plus de 50 % des enfants naissent hors mariage, il faut en prendre acte. Il ne se borne plus à autoriser la procréation. Le texte enrichit le mariage en l'offrant à des personnes qui en étaient exclues. Au demeurant, la CNCDH, qui lutte depuis la fin de la deuxième guerre mondiale contre les discriminations, estime que nous devons aux personnes homosexuelles la reconnaissance sociale et la justice. Savez-vous combien il reste difficile de dire à ses parents son homosexualité ? Dans l'Hérault, beaucoup d'enfants sont issus de parents français et maghrébins. Quand ils découvrent leur homosexualité, ils sont souvent jetés à la rue. L'association « Le Refuge » s'efforce de les prendre en charge.
Il s'agit ici d'égalité recherchée dans la reconnaissance sociale. Le code civil dit que le mariage unit l'homme et la femme, l'on est bien obligé de le redéfinir. Il n'en demeure pas moins l'engagement public dans lequel on se déclare des droits et devoirs réciproques, dans la maison commune, porte ouverte.
Que n'avons-nous pas entendu sur les bancs adverses lorsque le Pacs a été voté! J'étais alors députée. Si le combat d'opposition avait été autre, nous serions allés plus loin, peut-être jusqu'à une union civile. Jamais, monsieur Revet, il n'a été question d'isoler le droit des couples homosexuels. Le Pacs est ouvert à tous. S'il y a 4% de couples homosexuels, cela donne juste une indication sur la proportion de couples homosexuels dans notre pays.
On ne met pas à bas l'institution du mariage, Monsieur Leleux, on ouvre une possibilité nouvelle d'accéder à cette institution de la République. Mme Meunier a raison d'invoquer égalité et fraternité.
Les discriminations dont seraient victimes les enfants de couples homosexuels dans les cours d'école ? Elles ne seront pas différentes de celles que d'autres subissent. Savez-vous qu'un enfant s'est suicidé récemment parce qu'il était roux ? C'est un scandale. Les enfants élevés dans des familles homosexuelles seront moqués, comme l'étaient hier les enfants de divorcés. Tout est question d'éducation. A nous de lutter contre les discriminations.
Mes collègues de l'opinion séparée se sont félicités, tout d'abord, de la tenue des débats à la CNCDH. Regrettant de ne pouvoir adopter le texte final, ils reprochent au projet de bouleverser la nature du mariage et les règles classiques de la filiation. Ils se fondent sur les textes internationaux, qui, sauf la charte européenne des droits fondamentaux, plus récente, et sans doute mieux adaptée aux réalités du présent, parlent encore d'un homme et d'une femme. N'ayant pas les mêmes réserves que la majorité sur ce risque de créer un mariage bis, mes collègues préconisent une union civile pour l'égalité des droits. Ils s'interrogent sur la filiation, rejetant la PMA pour des motifs autres que thérapeutiques - sur laquelle l'avis de la Commission est très prudent - et la GPA. Il y a certes, à côté des 99% de cas de GPA marchande, une GPA d'affection, entre soeurs, mais alors, il doit y avoir adoption simple. Enfin, il y a des exemples de GPA bibliques.
Je vous invite à consulter le rapport de notre groupe sénatorial sur la GPA et la PMA. Il concluait à une GPA encadrée. Lors des auditons, tout le monde s'est déclaré opposé à une GPA d'affection parce qu'elle bouscule les lignées.
L'union civile que nous proposons n'est pas plus discriminatoire que le Pacs, ouvert à tous. Le mariage est autre chose.
Le mariage ne deviendra pas un simple contrat, avez-vous dit. Ce n'est pas l'opinion de partisans du texte que nous avons entendus. Enfin, la banalisation de la PMA au nom du principe d'égalité ne peut-elle emporter une libéralisation aussi large de la GPA ?
Il y a une grande différence entre PMA et GPA, laquelle porte atteinte aux droits fondamentaux.
Il n'exige pas un traitement absolument identique a expliqué la Cour européenne des droits de l'homme. La CNCDH est pour l'instant réservée sur un élargissement de la PMA. Et pour recourir à une PMA, on n'a pas besoin d'être marié.
C'est une faculté ouverte à tous les couples qui ont une vie commune avérée.