Intervention de Laurence Rossignol

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 27 février 2013 : 1ère réunion
Système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre période 2013-2020 — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Laurence RossignolLaurence Rossignol, rapporteure :

Ce projet de loi ratifie une ordonnance transposant la directive de 2009 relative au marché d'échange des quotas d'émission de gaz à effet de serre. Le gouvernement avait été habilité à légiférer par ordonnance par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2011 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne. Notre marge de manoeuvre est donc réduite, mais ce texte est l'occasion de nous pencher sur le marché des quotas de CO2.

Lors de la signature du protocole de Kyoto, l'Union européenne s'était engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 8 % entre 1990 et 2012. Pour ce faire, la directive énergie du 13 octobre 2003 a mis en place un système communautaire d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre, à l'usage des sites industriels les plus émetteurs de CO2. Chaque État détermine, en lien avec la Commission, un niveau global d'émissions compatible avec l'objectif de Kyoto ; il répartit ensuite ce montant en quotas de CO2, c'est-à-dire en autorisations d'émissions, entre les installations industrielles entrant dans le champ du dispositif. Cette répartition fait l'objet de plans nationaux d'allocation des quotas.

Jusqu'à présent, les quotas ont été attribués gratuitement aux exploitants, en fonction de leurs émissions antérieures, diminuées d'un taux d'effort. L'exploitant qui a consommé tous ses quotas doit racheter sur le marché secondaire des quantités supplémentaires auprès d'autres opérateurs disposant d'un excédent. Dans l'hypothèse où il demeurerait en déficit de quotas, il doit s'acquitter de pénalités financières non libératoires.

De 2005 à 2007, une première phase a permis d'établir un système de libre échange des quotas d'émission dans toute l'Union, d'ajuster la méthode de calcul des quotas et de mettre en place l'infrastructure nécessaire en matière de surveillance.

Le marché d'échange a véritablement été lancé avec la deuxième phase, de 2008 à 2012. Il concerne plus de 11 000 installations en Europe, dont 10 % en France. La distribution des quotas a été relativement concentrée, puisque 10 % des installations se sont vu attribuer 75 % des quotas. Elles ont dû restituer chaque année aux pouvoirs publics un nombre de quotas correspondant à leurs émissions. Les quotas sont inscrits dans un registre national dont la tenue est assurée par la Caisse des dépôts et consignations. Les trois secteurs les plus importants en termes de quotas de CO2 sont ceux de l'acier, de l'électricité et du ciment. La mise en place du marché des quotas s'est accompagnée du développement d'un marché secondaire, avec BlueNext à Paris ou ECX à Londres.

Depuis, le paquet énergie-climat de décembre 2008 a conduit à l'adoption de la directive européenne du 23 avril 2009, qui fixe un objectif de réduction des émissions de 21 % en 2020 par rapport à 2005, soit une baisse annuelle moyenne de 1,74 %. Elle remanie le marché d'échange des quotas carbone en vue de la troisième phase 2013-2020. C'est cette directive que nous transposons ici.

La directive de 2009 prévoit des mécanismes harmonisés et gérés au niveau européen. À partir de 2013, un montant global de quotas sera disponible pour l'ensemble de l'Union européenne afin d'être réparti entre secteurs d'activité. Il s'agit de mettre fin aux disparités actuelles entre les différents plans nationaux d'allocation des quotas.

La directive inclut aussi de nouveaux secteurs et de nouveaux gaz dans le dispositif, principalement les émissions de CO2 liées aux produits pétrochimiques, à l'ammoniac et à l'aluminium, ainsi que les émissions de protoxyde d'azote.

Enfin, la directive met un terme à l'allocation gratuite des quotas. À compter de 2013, le principe est celui de la mise aux enchères par les États membres. Les entreprises d'électricité devront acquérir la totalité de leurs quotas dans le cadre d'enchères. Les autres secteurs verront la part d'allocation gratuite passer progressivement de 80 % en 2013 à 30 % en 2020, jusqu'à la suppression des quotas gratuits en 2027. Ceux-ci pourront toutefois être attribués aux activités exposées à un risque de « fuite de carbone », c'est-à-dire de délocalisations industrielles motivées par le coût du carbone au sein de l'Union.

L'article 10 de la directive impose que la moitié au moins du produit des enchères soit affecté à des actions en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. En France, les crédits dégagés financeront le plan de rénovation thermique annoncé lors de la conférence environnementale de septembre.

L'ordonnance du 28 juin 2012 transpose ces dispositions en droit interne. Elle modifie essentiellement le code l'environnement, ainsi que le code monétaire et financier.

La directive prévoit que doit entrer dans son champ toute installation de combustion, quelle que soit sa nature. Les installations nucléaires de base sont donc intégrées au dispositif, à l'article L. 229-5 du code de l'environnement.

L'article 27 de la directive prévoit que les États peuvent exclure du système de quotas un certain nombre d'installations de petite dimension, ainsi que les hôpitaux. Dans la transposition proposée, seuls les hôpitaux sont exclus du système.

L'article L. 229-8 est réécrit pour prévoir que la mise aux enchères des quotas est désormais le mode d'allocation de principe. Le taux de quotas gratuits est fixé à 80 % des émissions des 10 % d'installations les plus performantes du secteur. Le taux doit diminuer chaque année pour s'établir à 30 % en 2020. Une exception est faite pour les secteurs considérés comme exposés aux fuites de carbone, qui bénéficient d'un taux de quotas gratuits de 100 %.

Enfin, le code de l'environnement intègre le fait que les phases du système d'échanges durent désormais huit ans et non plus cinq, et que le registre des émissions n'est plus national mais européen. L'ordonnance met par ailleurs le code monétaire et financier en cohérence avec le règlement du 12 novembre 2010 relatif à la mise aux enchères des quotas d'émission de gaz à effet de serre.

L'Autorité des marchés financiers (AMF) est chargée de délivrer en France l'autorisation permettant de participer aux enchères. Elle se voit également attribuer les pouvoirs de contrôle, d'enquête et de sanction afférents.

Bref, l'ordonnance opère une transposition rigoureuse de la directive. Je vous proposerai un seul amendement, car l'article 4 de l'ordonnance oublie de préciser l'échéance de 2027 pour la suppression totale des quotas gratuits. À terme, tous les quotas devront être alloués par enchères, afin d'avoir un effet incitatif sur le plan environnemental. Le ministère n'y est pas opposé sur le fond mais dit devoir s'assurer que cet amendement est juridiquement recevable : le texte ne couvre que la période jusqu'en 2020, peut-on viser la période ultérieure ? Adoptons l'amendement aujourd'hui, nous aurons cette discussion avec le gouvernement en séance.

L'enjeu ne réside plus dans la transposition. Le marché carbone fait face à de nombreuses difficultés structurelles, le système d'échange de quotas a été marqué par des scandales récents et l'on s'interroge à bon droit sur sa régulation. En 2009, une fraude « carrousel » à la TVA, s'appuyant sur le régime fiscal applicable aux transactions transfrontalières, aurait porté sur 5 milliards d'euros. Le scandale a conduit plusieurs États, dont la France, à mettre fin à la TVA sur les échanges de quotas et BlueNext a été fermé en décembre dernier.

La question de la régulation de ce marché est donc cruciale. La commission des finances du Sénat s'y est intéressée à de nombreuses reprises. En l'état actuel de la réglementation, la directive ne prévoit qu'un contrôle ex post du marché par la Commission. Il n'y a pas, aujourd'hui, de gendarme du marché européen du carbone.

Autre illustration des difficultés de ce marché : le recul concernant les compagnies aériennes opérant dans le ciel européen. Elles devaient, en avril 2013, compenser 15 % de leurs émissions de l'année 2012 en achetant des crédits carbone sur le marché, les 85 % restant leur étant alloués en quotas gratuits. Or cette obligation a été suspendue jusqu'à l'automne 2013 pour les vols intercontinentaux. La taxe sur les émissions polluantes des avions s'applique toutefois pour les vols intérieurs dans le ciel européen.

Enfin, du fait de la crise économique actuelle et d'une allocation initiale trop généreuse des quotas, le cours du carbone s'est effondré, pour s'établir autour de 5 euros la tonne - or le système n'est réellement incitatif qu'à 25 ou 30 euros.

C'est tout l'enjeu des négociations en cours au niveau européen. La Commission a proposé un gel des enchères : 900 millions de quotas qui devaient être attribués dans les trois prochaines années seraient reportés à 2019, afin de faire remonter le cours de la tonne de carbone et d'absorber les excédents sur le marché, estimés à 1,4 milliard de tonnes. Cette proposition doit toutefois être adoptée par le Parlement européen puis par les États. La commission de l'industrie du Parlement européen a voté contre, la commission de l'environnement pour, sous certaines réserves. Un vote en séance plénière interviendra en mars ou avril. L'approbation des États n'ira pas sans peine : si la France soutient la proposition de la Commission, plusieurs États, dont la Pologne, ont d'ores et déjà annoncé leur opposition à ce gel des quotas.

En tout état de cause, il s'agit là d'un remède temporaire. Lors de la conférence environnementale, le Président de la République a annoncé des objectifs plus ambitieux, dont une baisse de 40 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 et de 60 % en 2040. Dans la lutte contre le changement climatique, le système d'échange des quotas carbone doit redevenir un outil incitatif pour la transition vers une économie pauvre en carbone.

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