Intervention de Annie David

Réunion du 5 octobre 2010 à 14h30
Démocratie sociale — Suite de la discussion et adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission mixte paritaire

Photo de Annie DavidAnnie David :

On a joué sur la peur, ce terrible et irrationnel ressort humain, que ce gouvernement convoque de plus en plus souvent dans sa politique, notamment dans sa politique sécuritaire. La peur empêche de réfléchir et coupe court à tout dialogue… C’est bien le problème avec ce texte qui était censé faire progresser le dialogue social.

Oui, on a agité la peur, et cela a fonctionné. Les patrons des très petites entreprises qui, au début, avaient bien vu que la version originelle de ce texte était équilibrée et source de dialogue social, sans risque pour eux, ont finalement reculé. Et le Gouvernement, qui prend directement ses ordres du patronat, a dû, lui aussi, reculer.

Sur le fond, comment accepter que le dialogue social puisse, en France, ne concerner qu’une partie des salariés et en exclure ceux des TPE ? Ce n’est ni possible ni souhaitable.

Pour sortir de l’impasse, les rapporteurs ont tenté de trouver un compromis. Mais il est des plus étranges, comme le montre la simple lecture de l’article 4, spécialement de son dernier alinéa, ajouté lors de la CMP.

On a donc tenté d’établir un lien entre le nouveau scrutin et la composition, non pas des commissions nouvelles, l’article 6 étant supprimé, mais des commissions paritaires existantes, qui ne sont pas spécialement dédiées aux très petites entreprises. On a donc supprimé les commissions paritaires territoriales et réduit à néant l’espoir que l’article 6 avait suscité.

Cet espoir avait déjà été malmené, car la proposition d’amendement soutenue par le Gouvernement au cours du passage de ce texte l'Assemblée nationale était bien en deçà des promesses… Lors du débat, vous vous interrogiez, monsieur le ministre : « Que vont faire ces commissions ? Elles ont un pouvoir limité, c’est le moins que l’on puisse dire. Elles peuvent diffuser des bonnes pratiques, dans le domaine professionnel qui est le leur. Elles peuvent appuyer les choses dans le domaine de l’emploi, de la formation, des conditions de travail. Il n’est pas totalement ridicule de penser que, à un moment donné, sur le plan régional, dans le cadre d’un métier, les organisations patronales et les organisations de salariés peuvent se réunir. Il n’y a pas de quoi avoir peur. Elles discuteront de choses qui revêtent un intérêt collectif pour la profession concernée. En outre, cette démarche est facultative… »

Vous voyez, mes chers collègues, le ministre lui-même parlait de peurs qu’il ne fallait pas agiter, de propos qu’il ne fallait pas diaboliser, car cela empêche tout simplement d’en parler !

Vous avez d’ailleurs bien précisé qu’il ne s’agissait pas pour le Gouvernement de « créer, tout d’un coup, une représentation dans les entreprises de moins de onze salariés », avant d’ajouter : « S’il y avait dans le texte du Gouvernement le moindre risque de créer des institutions représentatives du personnel dans les entreprises de moins de onze salariés, il n’y aurait pas de texte du Gouvernement ! »

Malgré tous ces propos, l’article 6 a été supprimé, et ce qui fait enrager, c’est de voir que cette opération de sabotage a réussi alors même que les arguments avancés n’auraient pas dû être audibles.

Comment peut-on dire, comme l’a fait la CGPME, que ces commissions auraient été inutiles, car, dans les TPE, employeur et salariés se parlent directement ? C’est absurde, car l’un n’empêche pas l’autre. Et même si c’est vrai quand tout va bien, c’est précisément là où il n’existe aucune structure que la médiation est utile.

Faut-il rappeler que 80 % environ du contentieux prud’homal correspond à des litiges survenus dans les très petites entreprises ? Ce taux s’explique par l’absence de lieux de discussion dans ces entreprises, contraintes dès lors de se tourner vers la médiation des prud’hommes, seule instance paritaire qui leur est ouverte.

Pourtant, moins de dialogue social, c’est plus de mal-être au travail, plus d’abus sur le lieu du travail. Je renvoie mes collègues qui ont participé à la mission d’information sur le mal-être au travail aux conclusions et propositions que nous avons adoptées à l’unanimité.

Ce texte est l’illustration du fiasco de la démocratie telle qu’elle se pratique en 2010 sous ce gouvernement. Le ton est donné et nous vous faisons confiance pour nier avec la même évidence les injustices criantes que contient votre texte sur votre contre-réforme des retraites.

Si le projet de loi sur les retraites est aussi juste que ce projet de loi sur la démocratie sociale améliore le dialogue social, alors, nous avons fort à craindre que cette réforme des retraites ne signe à plus ou moins long terme la mort de la retraite par répartition !

Pour nous, le compromis dont parlent certains n’en est pas un : c’est un recul, un abandon. C’est pourquoi nous sommes en colère pour les salariés des très petites entreprises.

Sans doute pour ne pas gâcher une belle journée, et peut-être même de bonne foi, vous-même, monsieur le président du Sénat, le 14 septembre, devant le congrès de l’UPA, annonciez à vos hôtes – vous ne vouliez évidemment pas les décourager – qu’ils auraient de bonnes surprises sur ce texte. Les sénateurs vous paraissaient déterminés… Autant que vous les sentiez, comme vous-même, déterminés à propos du projet de loi de réforme des collectivités territoriales !

Autre point de ce texte que nous jugeons scandaleux : l’article 8, qui prévoit que le prochain renouvellement des conseils de prud’hommes aura lieu au plus tard le 31 décembre 2015. Cette disposition qui n’a rien à faire dans ce texte et constitue donc un cavalier législatif y est néanmoins demeurée !

Proroger le mandat des conseillers prud’homaux, c’est se donner du temps pour mettre un terme à cette élection et nommer directement ces juges grâce à l’audience syndicale.

Ainsi, les salariés des TPE, déjà écartés de toute vie démocratique dans leur entreprise, se verront de surcroît privés de droit de vote aux élections prud’homales, seule occasion qu’ils ont encore de voter à une élection professionnelle. Ce nouveau coup bas est en préparation, nous n’en doutons pas.

Ce texte est donc hautement symbolique et témoigne d’un recul tout à fait concret. Plus de 4 millions de salariés sont ainsi trompés : autant de salariés qui vont venir grossir les rangs des mécontents de votre politique de classe.

Décidément, le patronat français, en particulier le patronat du CAC40, n’est pas prêt à ce que s’installent en France les conditions d’un véritable dialogue social.

Ce coup de force du MEDEF et de la CGPME contre l’UPA souligne à quel point la question de la représentativité des organisations patronales en France devient un chantier prioritaire dans notre pays si l’on veut vraiment faire avancer le dialogue social. Mais cette question est plus que taboue en France ; j’espère néanmoins, monsieur le ministre, que nous serons amenés à débattre de ce sujet très prochainement et je pense que l’ensemble des sénateurs et sénatrices de la commission des affaires sociales le souhaitent également.

Je n’ai plus le temps ici de vous rappeler nos débats passés, mais un amendement de notre collègue Alain Gournac, en tant que rapporteur du texte sur la représentativité syndicale, amendement également soutenu par Nicolas About, alors président de la commission des affaires sociales, avait été rejeté à peu de voix près. Sans doute aurons-nous à cœur d’en débattre de nouveau !

Pour conclure, je tiens à vous dire, monsieur le ministre, chers collègues de la majorité, que les salariés ici trompés vont certainement vous faire savoir, dans les semaines à venir, qu’ils ne veulent pas non plus de votre projet de loi portant réforme des retraites. Les cortèges grossissent, la mobilisation grandit. Nous étions avec eux tout à l’heure. Saurez-vous les entendre, monsieur le ministre ? §

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