Monsieur le ministre, vous le savez, la création des juges de proximité et a fortiori l'extension de leurs compétences soulèvent beaucoup de critiques. Pourtant, par l'intermédiaire de cette proposition de loi, vous persistez à faire comme si de rien n'était.
Les divers points qui justifient notre opposition, et celle de bien d'autres, sont connus.
Ainsi, l'un des objectifs poursuivis, à savoir le désengorgement rapide des tribunaux par le recrutement de nombreux juges de proximité, paraît de moins en moins crédible.
La loi d'orientation et de programmation pour la justice prévoit la création de 3 300 juges de proximité d'ici à 2007. Par conséquent, depuis 2003, le ministère de la justice en recrute. Aujourd'hui, leur nombre s'élève à 177 !
Recruter 3 300 juges de proximité a de quoi étonner eu égard à la vocation de ces derniers : résoudre les petits litiges de la vie quotidienne, tant civils que pénaux. Par comparaison, les magistrats professionnels sont environ 7 000, soit à peine deux fois plus, alors que leurs tâches sont beaucoup plus nombreuses et complexes. Il existe donc une contradiction. De surcroît, le recrutement ne suit pas !
Si l'objectif est bien de désengorger les tribunaux, n'aurait-il pas mieux valu augmenter le nombre de postes ouverts au concours à l'Ecole nationale de la magistrature et élargir le recrutement ? Nous réclamons ces mesures depuis longtemps. Les résultats en auraient été bientôt tangibles ...
Tel n'est pas votre choix, puisque vous avez opté pour une justice parallèle, dont vous décidez, aujourd'hui, d'étendre les compétences sans qu'aucun bilan tangible n'ait pu être tiré de sa brève existence et de sa courte pratique. C'est ce que nous avons appris au cours des auditions sur ce texte, lequel, toute proposition de loi qu'il est, émane quand même du ministère de la justice.
En matière civile, le taux de compétence de la juridiction de proximité passe de 1 500 euros à 4 000 euros, sans possibilité d'appel. Et, en matière pénale, les juges de proximité pourront siéger auprès de magistrats professionnels dans les audiences correctionnelles.
Il est bien trop tôt, je le répète, pour décider que le champ de compétence des juges de proximité est trop étroit, aucun bilan n'ayant été tiré de leur activité. Quant à leur mise en place, elle est pour le moins laborieuse. D'ailleurs, tout le monde le sait, certains d'entre eux ont déjà démissionné !
A l'origine, les juges de proximité devaient statuer sur des petits litiges ne dépassant pas 1 500 euros, litiges que l'on peut supposer simples et faciles à juger.
D'une part, le montant de la somme en jeu ne détermine absolument pas le niveau de complexité d'une affaire à juger. N'oublions pas que l'assistance d'un avocat n'est pas obligatoire. Or un avocat permet de présenter au juge un dossier ordonné. Les personnes qui ne seront pas assistées d'un avocat présenteront leur dossier tel qu'elles l'auront constitué, et la tâche du juge de proximité n'en sera que plus compliquée. Je le répète, la complexité du litige ne dépend absolument pas de la somme en jeu.
D'autre part, vous aviez déclaré, à l'époque, que 1 500 euros représentaient une petite somme. Comme vous le dites, ce n'est pas grand-chose, hélas ! pour tous ceux, et ils sont en majorité, qui gagnent moins de 1 500 euros par mois. Désormais, ce sera 4 000 euros !
Vous le voyez bien, on ne peut pas parler du règlement de « petits litiges de la vie quotidienne ». Les sommes désormais en jeu sont élevées, surtout pour une juridiction où la présence d'un avocat n'est pas obligatoire et où il est toujours impossible de faire appel de la décision rendue.
Ce sont d'autant moins des petits litiges que la juridiction de proximité pourra désormais être saisie par des créanciers professionnels, qui auront, bien évidemment, les moyens d'assurer leur défense. Nous sommes donc face à une inégalité criante devant la justice, ce qui n'est pas acceptable, surtout quand on parle de justice de proximité.
Nous avions proposé - nous ne sommes pas les seuls à l'avoir fait - qu'au moins l'appel de la décision soit possible. Dans votre souci de faire adopter au plus vite cette proposition de loi, vous refusez toute réflexion sur le sujet.
Décider d'étendre les compétences des juges de proximité oblige, par ailleurs, à reposer la question de leur formation. Là aussi - M. le rapporteur vient de le dire -, on remet la réflexion à plus tard. C'est fort regrettable, car la formation reste insuffisante pour cette justice parallèle.
La formation n'est pas améliorée, alors que les juges auront des compétences nouvelles. Or, je vous le rappelle, le Conseil constitutionnel ainsi que le Conseil supérieur de la magistrature avaient insisté sur le fait que les garanties de compétence et de formation devaient être réunies.
Avoir suivi des études de droit et être issu de certaines professions ne garantit en rien la capacité d'être juge. Ces garanties sont donc loin d'être apportées par le Gouvernement ou par la proposition de loi.
Enfin, je tiens à insister sur notre opposition au dispositif prévu, qui permet aux juges de proximité de participer à des décisions en matière correctionnelle.
Les citoyens poursuivis pour les mêmes infractions ne seront pas jugés par des juridictions composées de la même manière, ce qui méconnaît le principe constitutionnel d'égalité devant la justice, qui a été dégagé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 23 juillet 1975. Vous avez essayé de nous démontrer que ce n'était pas exactement le cas, mais vous ne nous avez pas convaincus.
En effet, la possibilité pour des juges de proximité de siéger dans des audiences correctionnelles dépendra exclusivement des présidents des tribunaux de grande instance. Ainsi, les justiciables seront jugés, selon les ressorts, soit par trois juges professionnels, soit par deux juges professionnels et un juge de proximité. Il s'agit, à l'évidence, de juridictions composées selon des règles différentes.
Par ailleurs, vous savez très bien que les juges de proximité, en participant à des audiences correctionnelles, auront à se prononcer sur des peines privatives de liberté. C'est non seulement contraire à la décision du Conseil constitutionnel du 29 août 2002, mais c'est surtout dangereux du point de vue des droits et libertés des justiciables. Les juges de proximité, outre leur formation insuffisante pour siéger dans des audiences correctionnelles, n'ont pas la légitimité de se prononcer sur des peines privatives de liberté.
La comparaison avec les jurys populaires ne tient pas. Ces juges de proximité ne sont représentatifs ni du peuple ni de la société civile, si l'on veut l'appeler ainsi.