Intervention de Delphine Batho

Réunion du 12 mars 2013 à 21h30
Système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre — Adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission

Delphine Batho :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la détermination de la France à lutter contre le réchauffement climatique est sans faille. Ce phénomène est un fait scientifique irréfutable, comme l’a confirmé la Banque mondiale dans son rapport publié au mois de novembre 2012. Il y est précisé qu’une hausse de quatre degrés de la température du globe est à prévoir à l’horizon 2060, ce qui est bien supérieur aux estimations scientifiques réalisées jusqu’à présent.

C'est une réalité : le changement climatique s’accélère. La crise écologique s’ajoute aujourd'hui à la crise économique que nous traversons. Elle se traduit par des changements climatiques aux dommages considérables, comme des vagues de chaleur extrême ou des tempêtes avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer sur la vie humaine et, bien évidemment, sur l’économie.

Lors de la dernière conférence sur le climat, à Doha, à laquelle un certain nombre de sénateurs étaient présents, j’ai eu l’occasion de mesurer le décalage entre l’urgence de la situation, qui nécessiterait un engagement vigoureux et déterminé de la communauté internationale, et la complexité, voire la lenteur, des négociations en cours.

Depuis la conférence de Copenhague, aujourd'hui considérée comme un échec, on peut dire que, d’un certain point de vue, nous sommes entrés dans une phase de stagnation, voire de recul, des négociations internationales sur le climat. Cette conférence s’est achevée sur un résultat modeste, notamment l’engagement de l’Europe dans une deuxième période du protocole de Kyoto.

Le système européen d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre est aujourd'hui l’outil indispensable de la mise en œuvre de ce protocole. Il a jusqu’à présent constitué la pierre angulaire de la stratégie européenne pour réduire ces émissions.

Le marché européen du carbone a permis à l’Union européenne et, au sein de celle-ci, à la France d’atteindre à moindre coût l’objectif de réduction fixé au titre du protocole de Kyoto pour 2012. En donnant aux émissions de gaz à effet de serre une valeur économique, il a pour vocation d’inciter les pollueurs à intégrer celles-ci dans leurs décisions d’investissement et dans leur stratégie de développement. Par ailleurs, il stimule l’apparition de projets dans le domaine des technologies à faibles émissions de CO2. Enfin, il est devenu le moteur du développement d’un marché mondial du carbone et a ainsi aidé à canaliser vers les économies en transition des fonds contribuant à leur développement durable.

Le système couvre 12 000 installations industrielles responsables d’environ 40 % des rejets totaux de gaz à effet de serre dans l’Union européenne. Il a commencé à fonctionner le 1er janvier 2005. La première phase de trois ans, de 2005 à 2007, a été suivie par une deuxième phase de cinq ans, de 2008 à 2012.

Pour la troisième phase, qui couvre la période 2013-2020, un nouveau dispositif a été mis en place par la directive européenne du 23 avril 2009, modifiant la directive Quotas de 2003.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’ordonnance qu’il vous est proposé de ratifier ce soir permet d’intégrer cette modification dans notre droit national. Elle prévoit principalement l’extension du champ d’application du système d’échange de quotas et la modification du système d’allocation.

Tout d’abord, le périmètre du système d’échange est étendu à de nouveaux secteurs, notamment ceux de la chimie et de l’aluminium, et à de nouveaux gaz à effet de serre, comme le protoxyde d’azote. Par ailleurs, le dispositif dominant d’allocation gratuite des quotas est progressivement remplacé par un système de mise aux enchères. Une partie importante des acteurs concernés devront ainsi acheter les quotas nécessaires pour couvrir toutes leurs émissions de gaz à effet de serre.

Pour les secteurs non exposés à un risque important de concurrence internationale, les quotas alloués gratuitement seront progressivement réduits de 80 % en 2013 à 30 % en 2020. La production d’électricité n’en bénéficiera plus.

En revanche, le principe d’allocation gratuite de quotas est conservé pour certains secteurs industriels exposés à un risque important de concurrence internationale : 170 secteurs continueront donc à recevoir 100 % de quotas gratuits, à condition que leurs installations n’émettent pas plus de gaz à effet de serre que les 10 % d’installations les moins émettrices de l’Union européenne. Cela concerne notamment les activités de production manufacturière, la métallurgie, les matières premières, le textile, le papier, la construction, l’agroalimentaire et la chimie.

Ce nouveau système d’allocation par enchères permettra de recueillir à partir de 2013 des recettes qui serviront à financer le plan de rénovation thermique, au travers du budget de l’Agence nationale de l’habitat. Cette mesure fait partie des décisions prises dès l’été dernier dans le cadre des arbitrages budgétaires.

La ratification de l’ordonnance du 28 juin 2012 est, par conséquent, une étape nécessaire dans notre politique de lutte contre le réchauffement climatique.

Je tiens à saluer le travail de Mme la rapporteur, Laurence Rossignol, qui a contribué à enrichir le texte d’un amendement important, visant à compléter l’article L. 229-8 du code de l’environnement par une disposition prévue dans la directive, selon laquelle l’allocation de quotas à titre gratuit diminue chaque année jusqu’à disparaître en 2027. Cet objectif, qui renforce l’efficacité environnementale du système, me paraît nécessaire ; c’est pourquoi le Gouvernement approuve cette initiative.

Le débat de ce soir nous offre également l’occasion d’aborder la situation du marché carbone et la lutte contre le réchauffement climatique à l’échelle européenne.

Il faut, je crois, regarder les choses en face.

Le système européen d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre est confronté depuis 2008 à une crise sans précédent, essentiellement due à deux facteurs.

En premier lieu, la crise économique a réduit l’activité des industries les plus émettrices, ce qui a mécaniquement entraîné une diminution des émissions de gaz à effet de serre, sans qu’un effort significatif supplémentaire s’impose. Presque tous les secteurs ont bénéficié d’un niveau de quotas supérieur à celui qui leur était nécessaire, ce qui explique qu’il y ait à ce jour environ un an d’émissions « en trop » dans le système. En l’absence d’un retour à une croissance économique forte, ce déséquilibre provoque automatiquement une baisse du prix du carbone.

En second lieu, une incertitude pèse sur l’avenir des négociations internationales relatives au climat, des efforts communs de la communauté internationale dans la lutte contre le réchauffement climatique et même du système européen après 2020.

En conséquence, le cours de la tonne de CO2 est passé d’environ 8 euros au mois d’octobre 2012 à 4 euros aujourd’hui. Le 24 janvier dernier, le prix du quota a atteint son niveau historiquement le plus bas : 2, 81 euros.

Cette situation entraîne des conséquences très importantes, puisque le prix de la tonne de CO2 ne remplit plus le rôle de signal qu’il était censé jouer pour infléchir les décisions d’investissement des industries émettrices.

Autre conséquence majeure, le charbon fait son retour dans les principaux pays européens.

C'est le cas en Allemagne où, d’après l’Institut national de la statistique allemand, les émissions du secteur électrique fonctionnant au charbon ont augmenté de 5 % en 2012 par rapport à 2011.

Au Royaume-Uni, la part de l’électricité produite à partir du charbon est passée de 27 % en 2011 à 38 % en 2012.

En France même, les émissions de CO2 sont en hausse dans le secteur électrique. Ainsi, la part du charbon dans la production d’électricité a progressé de 35 % en 2012, même si elle reste modeste, passant de 2, 5 % à 3, 3 %. Entre 2009 et 2011, la consommation de charbon a augmenté de 7 % dans l’ensemble de l’Union européenne. Je prends cet exemple, parce qu’il montre de façon nette le lien entre prix à la tonne de CO2 et recours aux énergies fossiles.

Ces tendances contredisent la croyance – je ne sais pas si c’est le mot qui convient – selon laquelle nos économies évolueraient mécaniquement vers des modes de production moins émetteurs de gaz à effet de serre.

La hausse de la consommation du charbon en Europe est d’autant plus inquiétante qu’elle s’inscrit dans un mouvement observé à l’échelle mondiale. Selon l’Agence internationale de l’énergie, le charbon serait, d’ici à une décennie, la première énergie mondiale, devant le pétrole.

Dans ce contexte, la France soutient actuellement, avec douze autres États membres, les initiatives de la Commission européenne en vue d’améliorer la régulation immédiate du marché européen du carbone. Elle apporte notamment son appui à la proposition de la Commission européenne dite « back loading » qui consiste à procéder à un gel de 900 millions de quotas de CO2 dont la mise aux enchères serait reportée dans le temps.

Préoccupé par la volatilité des prix du carbone, le Gouvernement considère néanmoins qu’il ne peut s’agir que d’une réponse à court terme et qu’il faut désormais envisager des changements structurels. Nous souhaitons qu’un débat puisse s’engager rapidement au sein de l’Union européenne, notamment lors du Conseil européen du mois de mai prochain, sur les solutions structurelles de réforme du système européen d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre.

Pour promouvoir en particulier la décarbonisation de nos économies, il est impératif de s’inscrire dans une perspective de long terme et de fixer dès à présent des objectifs au-delà de 2020.

C’est ce que le Président de la République François Hollande a indiqué lors de la conférence environnementale. Il a précisé que notre ambition était de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2030, de 60 % en 2040, ce qui nous conduira sur la route du facteur 4 en 2050.

Ce sont des objectifs absolument nécessaires pour donner aux acteurs économiques la visibilité de long terme qu’ils attendent aujourd’hui. Ils contribueront également à relever le prix du quota, ce qui permettra à l’Europe de conserver son rôle de pionnier dans le débat international sur le climat.

Il est aussi urgent de mettre en place un cadre de régulation garantissant le bon fonctionnement du marché carbone et favorisant la transparence et l’intégrité. Le rapport de Laurence Rossignol contient un certain nombre d’éléments sur les dysfonctionnements successifs qu’a connus le marché européen du carbone, dysfonctionnements dont il est temps de tenir compte.

Le marché européen du carbone ne couvre pas non plus tous les secteurs économiques et n’est pas le seul instrument pertinent. La Commission européenne a par exemple engagé une révision de la législation sur la taxation de l’énergie pour y introduire une composante carbone. Nous soutenons ses travaux. J’estime que l’extension du marché carbone à de nouveaux secteurs économiques doit être envisagée.

Enfin, à travers ces réformes, l’Union européenne devra savoir faire preuve d’un « patriotisme écologique » européen, pour reprendre une formule que j’ai utilisée dans les débats français sur les énergies renouvelables. Pour des raisons à la fois industrielles et sociales, il nous faut prendre en compte le fait qu’aujourd’hui, dans les produits de consommation courante, la part des émissions de gaz à effet de serre liée à notre production nationale a diminué, tandis que la part des émissions de gaz à effet de serre liée aux importations a augmenté. C’est la fameuse question du mécanisme d’inclusion carbone dont nous souhaitons qu’il soit mis en débat à l’échelle européenne.

Face au défi mondial du réchauffement climatique, les négociations internationales sur le climat restent un enjeu de taille. Je pense notamment à la conférence sur le climat qui se tiendra en 2015. La France s’est portée candidate pour accueillir ce rendez-vous majeur.

Le débat national sur la transition énergétique doit aussi nous permettre d’être exemplaires dans cette perspective.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis convaincue que l’examen de ce texte nous donnera l’occasion d’une discussion fructueuse sur l’ensemble de ces questions. La ratification de cette ordonnance est indispensable à la poursuite de nos efforts. §

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