Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous voici donc aujourd’hui face à un sujet très technique, qui passionne généralement assez peu les foules – même si nous sommes relativement nombreux, ce soir, dans l’hémicycle –, mais qui représente un enjeu extrêmement important dans la lutte contre le changement climatique.
En lançant son système d’échange de quotas d’émission à la suite de la signature du protocole de Kyoto, l’Union européenne a en effet créé le principal outil mondial de régulation des émissions de CO2. L’avenir de ce système est donc un sujet absolument central.
Les mécanismes européens ont été reconduits a minima pour la seconde période d’engagement du protocole de Kyoto, entérinée en décembre dernier lors du sommet de Doha, auquel j’ai pu participer avec vous, madame la ministre. Disons-le : l’objectif était alors plus de sauver le mécanisme que de lui donner une nouvelle ambition, celle-ci ne pouvant venir que d’un réel succès des prochaines négociations, qui doivent se dérouler à Paris en 2015.
La directive de 2009, que transpose l’ordonnance qu’il s’agit de ratifier aujourd’hui, va dans le sens d’un approfondissement du système européen d’échange de quotas. Le groupe écologiste ne peut donc que soutenir cette ratification, qui prévoit l’extension de ce système à de nouveaux secteurs industriels et à de nouveaux gaz à effet de serre.
Malheureusement, comme plusieurs orateurs l’ont dit avant moi, le système européen est en crise et ne peut plus jouer son rôle incitatif.
Avec une moyenne de 5 euros la tonne – un record historique à 2, 81 euros la tonne a même été atteint le 24 janvier dernier –, il ne peut y avoir de signal-prix incitatif pour le financement des technologies vertes.
Dans l’urgence, les écologistes soutiennent aujourd’hui la proposition de la commissaire à l’action pour le climat, Connie Hedegaard, de geler la mise aux enchères de 900 millions de quotas de CO2 sur la période 2013-2015, proposition qui a reçu le soutien de la commission Environnement du Parlement européen et de certains États membres, dont la France.
Mais cette mesure d’urgence n’a de sens que si elle s’accompagne d’une réforme en profondeur du système européen d’échange de quotas. La commissaire européenne avait d’ailleurs lancé sur ce point une consultation publique, dont les résultats ont été révélés voilà quelques jours. Parmi les six options envisagées, les écologistes défendent d’abord le relèvement de l’objectif de réduction des émissions de 20 % à 30 % pour 2020, ainsi que l’engagement sur des objectifs hauts pour 2030 et au-delà.
François Hollande a d’ailleurs annoncé, lors de la conférence environnementale, un objectif de long terme ambitieux sur le plan national, impliquant une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2030. Cet objectif, que nous devons utiliser comme base pour notre débat national sur la transition énergétique, apparaît également aujourd'hui même dans un papier d’orientation, ou draft text, que vient de publier la Commission européenne.
Nous ne doutons donc pas que la France pèsera de tout son poids dans les discussions avec ses partenaires européens pour obtenir la confirmation de cet objectif pour 2030, qui offrirait une nouvelle visibilité aux acteurs publics et privés.
Les écologistes appellent également au retrait pur et simple d’au moins 1, 4 milliard de quotas excédentaires qui noient aujourd’hui le marché et à la modification du plafond linéaire de réduction annuelle des émissions, afin de le faire passer de 1, 74 % actuellement – cela correspond à l’objectif de réduction de 20 % d’ici à 2020 – à 2, 5 % au minimum. Selon une étude réalisée en juillet dernier par plusieurs associations, dont le Réseau Action Climat, un retrait des quotas sur le long terme conjugué à un passage du taux de réduction annuelle à 2, 6 % permettrait d’augmenter le prix de la tonne à 13 euros dès 2013 et à 17 euros d’ici à 2020. Il ne s’agit là évidemment que d’estimations, mais on voit bien qu’une combinaison de l’ensemble de ces mesures peut faire gagner en efficacité.
Il nous faut un prix du carbone élevé pour inciter à la réduction des émissions et stimuler les investissements dans les technologies vertes. Renoncer à ces réformes durables reviendrait à condamner le système européen et, derrière l’abandon de ce levier majeur de la politique climatique de l’Union européenne, c’est l’impossibilité de pouvoir disposer d’un outil de régulation mondiale qui se profilerait.
J’ajoute que nous devons impérativement arrêter de saucissonner nos débats sur ce sujet. Il se trouve que, cet après-midi même, nous discutions de la question de l’ouverture d’une nouvelle négociation commerciale entre l’Europe et les États-Unis. Or je ne suis pas sûr que les négociateurs européens qui s’apprêtent à participer à cette conférence aient en tête le calendrier de la négociation climatique, la nouvelle tonalité du discours de l’administration américaine sur le sujet et l’objectif Paris 2015. Il est pourtant très clair que, si nous ne lions pas les négociations – c’est bien ce que nous attendons aujourd’hui de l’Europe –, nous n’arriverons jamais à rien !
L’échec de Copenhague tient aussi au fait que l’on ait pu considérer qu’une négociation climatique pouvait se contenter de parler de CO2, alors qu’il nous faut aujourd’hui jeter les bases d’une régulation mondiale liant économie et environnement.
J’entends les voix qui doutent de la capacité du système actuel, le cape and trade – plafond et marché –, à fonctionner du fait des difficultés de contrôle technique. Il est vrai qu’un certain nombre de scandales ainsi que le prix de la tonne de CO2 plaident en ce sens. La proposition alternative d’une taxe CO2 européenne spécifique est tout à fait légitime, et nous y sommes évidemment très attentifs. Toutefois, ne nous voilons pas la face : il serait assurément très difficile d’obtenir un accord des Vingt-Sept sur une taxe commune européenne.
Devant cette difficulté, et de peur de lâcher la proie pour l’ombre alors qu’il y a urgence, de très grandes associations environnementales européennes ont plutôt fait le choix de défendre l’amélioration du système actuel.
Ne perdons pas non plus de vue l’établissement, envisageable à moyen terme, d’une compatibilité entre différents marchés régionaux, européen, chinois, voire américain demain – des expérimentations sont actuellement menées en Chine sur ce point. Car, et nous sommes tous d’accord sur ce point, ces mécanismes n’ont de sens que si l’on se place dans une perspective mondiale de régulation des principales économies.
Ce qui dysfonctionne dans le système européen aujourd’hui, c’est bien en premier lieu la partie « régulation ». Le volontarisme politique fait défaut : il y a trop de tonnes et trop d’exonérations !
Si nous changeons la hauteur du plafond, le prix de la tonne de CO2 peut remonter rapidement et venir abonder les budgets des États, particulièrement, pour ce qui concerne la France, les recettes de l’Agence nationale de l’habitat. Mais cela permettrait aussi de financer les actions du mécanisme de développement propre, ou MDP, au bénéfice des pays du Sud, qui forment la nécessaire dimension de solidarité du système, même s’il convient toujours d’être vigilant sur les risques de fuites de carbone.
Pour avoir négocié, au nom des réseaux mondiaux de collectivités locales, à Cancun, en 2010, un programme du mécanisme de développement propre pour les grandes villes du Sud, je peux aujourd’hui témoigner de l’attente de ces dernières et de leur grande déception face à l’écroulement des prix et au tarissement des flux financiers du MDP.
La troisième phase du marché européen doit donc nous permettre de dégager de nouvelles recettes et nous donner une marge de manœuvre pour investir dans la transition énergétique. La directive prévoit que la moitié au moins de ces recettes devra être consacrée à des actions en faveur de la réduction des émissions. En créant des flux financiers au service de la transition énergétique européenne, cette mise aux enchères doit donc être vue comme une opportunité au service de l’économie européenne, et non comme une contrainte supplémentaire, même si la question d’une taxe d’ajustement aux frontières reste posée, dans l’hypothèse où nous ne verrions pas émerger demain d’autres mécanismes de taxation des grandes économies mondiales. Nous sommes là, probablement, au cœur de la question clef de la négociation de Paris 2015.
J’en arrive à ma conclusion. Nous savons que la situation est très grave : les prévisions météorologiques pour le XXIe siècle sont de plus en plus alarmantes et les mesures dépassent toutes les prévisions antérieures. Si polémique scientifique il doit y avoir, ce n’est pas autour du climato-scepticisme, mais bien d’une sous-estimation de la vitesse du changement climatique. Dans ces conditions, il me semble que certains attentismes qui se drapent de pragmatisme confinent à l’inconscience.
Il est tard, mais il n’est jamais trop tard. Il faut donc faire remonter au plus vite le prix de la tonne de CO2 comme signal, tant interne qu’externe, pour affirmer, trois ans avant la conférence sur le climat de Paris, que nous sommes porteurs d’une ambition forte et que la France est mobilisée, prête pour ce rendez-vous majeur !