Intervention de Jean-Jacques Filleul

Réunion du 12 mars 2013 à 21h30
Système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre — Adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Jacques FilleulJean-Jacques Filleul :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’enjeu climatique met au défi les responsables politiques de promouvoir un nouveau modèle de développement qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre.

C’est tout l’enjeu du protocole de Kyoto, signé en 1997, par lequel l’Union européenne s’est engagée à diminuer de 8 % ses émissions globales d’ici entre 1990 et 2012. C’est afin de remplir cette obligation qu’a été mis en œuvre, à partir du 1er janvier 2005, un système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre, qui concerne les sites industriels les plus émetteurs de CO2.

Les 12 000 sites industriels assujettis au marché carbone européen se voient attribuer chaque année un plafond d’émissions de CO2. Les entreprises qui dépassent le volume alloué doivent acheter des quotas sur le marché ; celles qui ont suffisamment réduit leurs émissions peuvent à l’inverse vendre leurs quotas excédentaires.

Ce dispositif, instauré par une directive de 2003, constitue l’un des principaux instruments de l’Union européenne en matière de lutte contre le changement climatique. Il permet à chaque État de déterminer un niveau global d’émissions de CO2 et de le répartir gratuitement, sous forme de quotas, entre les installations industrielles concernées situées sur son territoire.

La détermination d’un prix du carbone est censée encourager la réduction des émissions de gaz à effet de serre des sites industriels les plus polluants, le développement des nouvelles technologies vertes et des industries propres, ainsi que la conversion écologique de ces sites.

Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui a pour objet de ratifier l’ordonnance, prise par le Gouvernement le 28 juin 2012, relative au système d’échange de quotas pour la période 2013-2020 et qui transpose une directive de 2009.

Celle-ci entre dans le cadre du paquet énergie-climat présenté par la Commission européenne en 2008, et par lequel elle a affiché sa volonté de renforcer sa politique énergétique. Les deux priorités de cet ensemble de propositions étaient la mise en place d’une politique européenne commune et durable de l’énergie, d’une part, la lutte contre le changement climatique, d’autre part.

L’objectif essentiel était de réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre dans l’Union européenne d’ici à 2020, mais aussi d’atteindre 20 % d’énergies renouvelables et d’accroître de 20 % l’efficacité énergétique.

Il fallait, de fait, réviser la directive de 2003 ; c’est le rôle de celle de 2009, qui fait évoluer le système actuel selon deux axes : en premier lieu, elle étend le champ d’application du système à de nouveaux secteurs industriels encore non concernés ainsi qu’à de nouveaux gaz à effet de serre ; en second lieu, à compter de 2013, la suppression progressive de la distribution gratuite des quotas se fera au profit d’une allocation aux industries polluantes par mise aux enchères. Les industriels devront donc acheter des quotas pour couvrir leurs émissions de gaz à effet de serre.

La Commission européenne avait à l’époque estimé que « les ventes aux enchères [procureraient] des revenus importants aux États membres et contribueront au processus d’ajustement à une économie sobre en carbone en soutenant les secteurs de la R&D et de l’innovation dans des domaines tels que les énergies renouvelables, le captage et le stockage du carbone, en soutenant les pays en développement et en aidant les moins prospères à investir dans des mesures d’efficacité énergétique. »

Ce marché aurait pu bien fonctionner – certes, de nombreuses interrogations ont été émises ce soir – et générer des recettes importantes si la crise financière n’était pas intervenue entre-temps, appelant une réforme de fond. J’aurai l’occasion de revenir sur ce point.

Par ailleurs, la directive de 2009 maintient une allocation gratuite de quotas pour les secteurs exposés au risque de « fuites carbone », c’est-à-dire au risque de délocalisation d’industries fortement émettrices de gaz à effet de serre dans des pays tiers où un tel système de quotas n’existe pas.

Pour ce qui concerne la France, nous ne pouvons que nous féliciter que le Gouvernement se soit engagé à utiliser le produit des mises aux enchères des quotas pour financer le plan de rénovation thermique annoncé lors de la conférence environnementale des 14 et 15 septembre 2012.

Le présent projet de loi est examiné au moment où le marché européen du carbone connaît une grave crise de fonctionnement depuis des mois, alors qu’il devait être le fer de lance de la politique climatique européenne.

Comme l’ont indiqué certains de mes collègues, le système d’échanges de quotas est noyé dans un excédent de 1, 4 milliard de crédits en raison d’une allocation trop généreuse et d’une baisse de la demande due au ralentissement économique. Vous l’avez rappelé, madame la ministre, le prix du quota de CO2 oscille autour de 5 euros la tonne alors qu’il devrait se situer entre 25 et 30 euros pour inciter les industriels à développer des technologies propres.

Eu égard à un prix du marché trop bas et à une crise financière et industrielle profonde et durable, les modifications apportées par la directive de 2009 ne suffiront pas, à elles seules, à revitaliser un marché défaillant, qui ne peut plus jouer son rôle.

Cela est d’autant plus vrai que le marché carbone connaît de graves dysfonctionnements. Certaines entreprises ont, par exemple, répercuté dans leurs prix le coût des quotas qu’elles avaient obtenus gratuitement, augmentant ainsi la facture des consommateurs et gonflant indûment leurs profits.

Le marché carbone a également été victime de pratiques frauduleuses, telles que des escroqueries à la TVA, le recyclage de crédits carbone qui avaient déjà été utilisés ou encore des vols électroniques de quotas d’émission.

Ces dysfonctionnements et pratiques douteuses appellent une réforme très poussée du dispositif. La Commission européenne est-elle sensible à ces situations, sans parler des complexités administratives pour obtenir des quotas de CO2 ?

Les réformes proposées par la commissaire européenne chargée de l’action pour le climat vont sans doute dans le bon sens, mais le contexte de crise ne facilite malheureusement pas les choses, alors qu’il est urgent d’agir face au changement climatique.

Faut-il conserver le système des quotas dans le cadre d’un marché ? Cette question mérite d’être posée. J’approuve les propos que Laurence Rossignol, notre rapporteur, a tenus sur ce point. Peut-être avez-vous vous-même des propositions à formuler, madame la ministre.

Pour faire remonter les prix, la commissaire européenne a proposé de geler la mise aux enchères de 900 millions de quotas de CO2 sur les 8, 5 milliards qui doivent être mis sur le marché pour la période 2013-2015. L’approbation de ce plan de sauvetage devait intervenir à la fin de l’année dernière, mais elle a été reportée et le Parlement européen est divisé sur ce sujet. En effet, de nombreux États ne souhaitent pas pénaliser la compétitivité de leur économie en renchérissant le prix du carbone.

Aujourd’hui, le marché carbone ne joue donc plus qu’un rôle marginal dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il ne permettra pas, à lui seul, d’atteindre l’objectif de réduction que s’est fixé l’Europe. Il faut par conséquent aller plus loin. L’action politique doit accompagner efficacement et justement la mutation de notre économie et la modification des comportements individuels et collectifs.

Une réforme importante doit être conduite à l’échelon européen pour que le système d’échange des quotas d’émission de gaz à effet de serre redevienne un instrument incitatif. Il faut que l’Europe opère une transition vers une consommation énergétique plus sobre et pauvre en carbone. Effectivement, il est impératif de mener une politique climatique à la hauteur des enjeux, c’est-à-dire une politique qui permette de réduire fortement la dépendance de l’Union européenne vis-à-vis des énergies fossiles et de transformer nos modes de production et de consommation.

Madame la ministre, les membres du groupe socialiste comptent sur vous, ainsi que sur le Gouvernement, pour « pousser » la Commission européenne dans cette direction et pour participer ainsi au développement de l’économie verte, à la croissance et à l’emploi. Ils voteront bien évidemment le présent projet de loi. §

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