Intervention de Fabienne Keller

Réunion du 12 mars 2013 à 21h30
Système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre — Adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Fabienne KellerFabienne Keller :

Allons, ne soyez pas désagréable !

Les Sages avaient motivé leur décision en invoquant l’équité fiscale, estimant qu’il n’était pas juste d’appliquer une taxe carbone aux petites entreprises, alors que les industriels se voyaient attribuer gratuitement des quotas.

Tel est l’état des lieux, madame la ministre.

Je profite de la présente discussion pour vous faire part de mon inquiétude quant aux suggestions du groupe de travail que vous venez de lancer sur la fiscalité écologique. J’ai lu dans la presse que vous feriez des propositions sur le diesel. C’est bien, mais c’est encore trop peu. La taxe carbone doit avoir un champ beaucoup plus large. Pourquoi ne pas inclure d’autres polluants, d’autres gaz à effet de serre que le carbone et ne pas prendre en compte d’autres engins que les véhicules fonctionnant au diesel ?

Mais revenons aux quotas qui nous préoccupent ce soir.

Le projet de loi soumis à notre examen sanctionne, en quelque sorte, le passage à l’âge adulte du marché des quotas en transposant la directive de 2009 qui fixe les principales règles du jeu du marché pour la période 2013-2020. En soi, c’est une bonne chose.

Le principe de l’octroi des quotas aux industriels à titre onéreux, par le biais d’enchères, va dans le bon sens, à savoir celui de la responsabilisation croissante des émetteurs. À cet égard, permettez-moi de me réjouir qu’il n’y ait qu’une plus deux plateformes d’adjudication – une européenne et deux nationales. Je rappelle que, sous la présidence de Jean Bizet, notre commission des affaires européennes avait souhaité une seule plateforme, afin qu’un seul prix soit fixé pour un produit dont le marché est liquide et bien organisé. Cela étant, avec une plus deux plateformes, le système devrait aussi pouvoir fonctionner.

Pour autant, la directive aborde avec réalisme la délicate question des conséquences d’une telle évolution du système pour les industries les plus exposées à la concurrence internationale et aux fuites de carbone. C’est une bonne chose. Ainsi, le principe de l’allocation gratuite des quotas est maintenu dans la limite de la performance des 10 % d’industriels du secteur les plus vertueux en termes d’émissions.

Madame la ministre, mon groupe soutiendra la ratification de l’ordonnance du mois de juin dernier. Il votera par conséquent le présent projet de loi, mais en gardant les yeux ouverts, sans se cacher les immenses difficultés auxquelles le marché des quotas doit faire face. Je pense évidemment aux fraudes à la TVA, déjà évoquées, aux vols de quotas sur les registres et aux autres scandales qui ont marqué l’histoire de ce jeune marché fragile, qui reposait, à ses débuts, sur la tenue de quelque vingt-sept registres nationaux dans des conditions de sécurité hétérogènes. À cet égard, on ne peut que se féliciter de la création d’un registre communautaire, dont prend acte l’ordonnance précitée.

Mais où en sommes-nous quant à la régulation du marché au comptant ? Petit moment de tristesse : naguère, la France disposait de la place la plus active, BlueNext, et d’une régulation adéquate grâce à la loi d’octobre 2010. Hélas, BlueNext a disparu. Les ambitions de la Caisse des dépôts et consignations Climat ont été revues à la baisse. En termes de place, la France ne compte plus guère dans le monde de la finance carbone !

Madame la ministre, la directive MIF 2, en cours de discussion, doit régler le problème en assimilant les quotas à des produits financiers, ce qui leur imposera la réglementation financière communautaire et mettra fin au débat : est-ce une commodity ou un produit financier ?

En attendant, où en sommes-nous ? Ne risque-t-on pas de voir survenir un nouveau scandale qui accentuerait la mauvaise image du système d’échange ?

Il existe une autre difficulté, que nous avons tous soulignée : le cours des quotas ne cesse pas de chuter. En 2010, nous avions retenu un prix de 17 euros la tonne pour la contribution carbone. Un an plus tôt, le rapport d’Alain Quinet évoquait un prix de 100 euros la tonne en 2020. Or, à la clôture d’hier soir, nous en étions à 4, 03 euros la tonne… Rien ne semble pouvoir arrêter la glissade continue du prix de la tonne de carbone. Cela n’est pas acceptable, car c’est de nature à affecter profondément, dans l’esprit des citoyens, l’idée que les émissions ont un coût.

Il faut donc que le marché des quotas se redresse. Je ne crois pas que l’instauration d’un prix minimum nous permettra de l’obtenir. En effet, le problème ne vient pas du marché lui-même, mais du niveau du plafonnement des émissions, qui a été fixé avant la crise et ne représente plus une véritable contrainte du fait de l’effondrement de la production industrielle en Europe. C’est sur ce niveau qu’il faut agir et, à cet égard, le retrait de quotas mis en adjudication par la Commission européenne va dans le bon sens.

Le dernier problème auquel je songe est l’attitude des autres pays du monde. Les négociations climatiques n’ont jamais été complètement remises sur les rails après l’échec de la conférence de Copenhague, et le monde semble toujours divisé entre les pays qui ont la volonté d’agir en matière climatique et les autres, notamment les pays émergents, qui ne veulent pas poser de limites trop fortes à leur développement industriel.

Or, au-delà même des problèmes cruciaux de compétitivité et d’emploi, la simple cohérence écologique doit nous conduire à empêcher que le consommateur puisse s’exonérer du signal-prix pesant sur le carbone en achetant des biens fabriqués dans des pays totalement laxistes en la matière. Cela pose la question d’un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières. Je me permets d'ailleurs de vous rappeler, madame la ministre, que nous avons démontré, à l’issue d’un travail approfondi mené au sein de la commission des finances, qu’un tel mécanisme serait « OMC-compatible » dès lors que les règles appliquées seraient les mêmes en interne et aux frontières.

Après avoir, comme beaucoup de mes collègues, dressé la liste de mes inquiétudes, je voudrais vous proposer d’être optimiste, madame la ministre, et vous poser la question de fond : avez-vous la volonté de remettre notre système sur ses deux pieds ? Cela impliquerait d’employer toute votre énergie à améliorer l’état du marché du carbone et d’engager un vrai travail sur la taxe carbone, comme l’avait fait le précédent gouvernement. Ainsi, le système de limitation des émissions de gaz à effet de serre marcherait sur ses deux pieds.

L’autre sujet central est l’état d’esprit de nos principaux partenaires européens : dans quelle mesure ont-ils la volonté de limiter les émissions de gaz à effet de serre ?

Mes chers collègues, émettre du carbone a un coût pour la planète et ce coût doit se refléter dans le prix que paie le consommateur final. Cela est juste, cela est efficace et cela favorisera l’indispensable transition de notre économie vers des technologies peu émettrices.

Malgré tous ses défauts, le système communautaire d’échange de quotas est un outil pertinent. Il faut donc le remettre en ordre.

Nous avons besoin d’un véritable élan au niveau européen, car c’est bien à cet échelon que les défauts du marché du carbone pourront être corrigés. Aux organisations non gouvernementales qui demandent la suppression du système d’échange de quotas, je proposerais plutôt de travailler à l’amender. Il nous faut plus d’Europe et surtout mieux d’Europe pour sortir de l’impasse actuelle. Nous avons besoin d’une Europe qui fixe des objectifs d’émissions de manière réaliste, et pas seulement technocratique.

Évelyne Didier a cité le cas d’une entreprise qui ne produit presque plus mais qui bénéficie de quotas. Je rappelle que nous avions déposé un amendement pour éviter ce genre de situation, mais il est apparu que cet amendement n’était pas conforme à la directive. C’est la modification de la directive qui permettrait de retirer leurs quotas aux entreprises dont l’activité baisserait trop fortement.

Nous avons également besoin d’une Europe qui régule le marché du carbone comme les autres marchés, et ne laisse pas aux tricheurs la possibilité de prospérer. Madame la ministre, je vous propose de lancer l’idée d’un comité de gestion du marché du carbone, qui examinerait très régulièrement et objectivement la situation afin que des dispositions opérationnelles puissent être prises.

Nous avons enfin besoin d’une Europe qui sache se faire entendre dans le monde, sans céder à la pression des pollueurs. Comme d’autres collègues, je m’inquiète des débats en cours au sein de l’Organisation de l’aviation civile internationale sur les émissions du secteur aérien, dont on sait qu’elles ne sont pas du tout taxées pour le moment.

Madame la ministre, c’est après le vote de ce projet de loi que le travail pour redresser définitivement le marché du carbone va vraiment commencer. C’est un travail européen, et nous attendons une action ferme de votre part. Je crois que, sur la question du changement climatique, nous souhaitons tous que la voix de la France porte en Europe et dans le monde. §

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