Intervention de Isabelle Chmitelin

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 27 février 2013 : 1ère réunion
Thématique : renouvellement du régime fiscal européen applicable au rhum traditionnel des dom — Audition de Mme Isabelle Chmitelin directrice de l'office de développement de l'économie agricole des départements d'outre-mer odeadom et de M. Tanneguy Bruté de rémur chef du service « grandes cultures »

Isabelle Chmitelin, directrice de l'Office de développement de l'économie agricole d'outre-mer (ODEADOM) :

Merci de m'accueillir. Je suis directrice de l'ODEADOM depuis un peu moins de deux ans. Je vais commencer par dresser un panorama de la filière canne-sucre-rhum. Son poids dans l'économie des quatre DOM qui produisent de la canne à sucre est très important aux Antilles et à La Réunion. Le seul DOM où cette activité n'est pas présente est Mayotte. Le chiffre d'affaires de la filière, tous DOM confondus, est de 250 millions d'euros. De même que la filière banane, la filière canne-sucre-rhum pèse positivement, et de façon déterminante, dans la balance commerciale des DOM insulaires. Et vous savez à quel point les DOM sont dépendants des importations ; les soldes commerciaux, tous DOM confondus, sont très déficitaires. Le déficit est estimé à 10 milliards d'euros, et le taux de couverture à 7 %, ce qui est très faible.

En Guadeloupe, le sucre et le rhum constituent le principal poste d'exportation : 24,36 % des exportations dans l'industrie agro-alimentaire et 12,95 % de celles de la production agricole.

Les exportations de sucre et de canne, et des produits de la mer de La Réunion, représentent 51% du total des ventes.

En termes d'emploi, l'importance de la filière est plus difficile à chiffrer, en particulier pour les emplois indirects. Le recensement agricole de 2010 donne un éclairage assez précis du poids de ces emplois dans l'agriculture, mais parvient difficilement à distinguer les emplois uniquement destinés à cette filière par rapport à d'autres, car certaines exploitations agricoles ne sont pas monocultures.

On estime à 40 000 les emplois générés dans le secteur canne-sucre-rhum, dont 22 000 emplois directs (planteurs et emplois de transformation industrielle). S'agissant des emplois primaires, 8 000 exploitations cultivent la canne, réparties entre la Guadeloupe (4 312) et La Réunion (3 500), selon les chiffres du recensement agricole de 2010. Dans ces exploitations, 5 000 personnes travaillent à temps plein.

La filière contribue donc fortement au maillage territorial par les unités industrielles de transformation de la canne. Elle contribue aussi à l'emploi dans ces bassins agricoles. Il est aussi important de souligner que l'emploi tend à s'y maintenir, il n'y diminue pas dans ces secteurs d'activité. Dans un contexte où la surface agricole utile (SAU) tend à diminuer, la hausse de la productivité permet en effet de maintenir l'activité, le volume de production et l'emploi.

La SAU est de 40 000 hectares consacrés à la canne tous DOM confondus. La canne vient souvent en complémentarité d'autres productions agricoles. Ces 40 000 hectares représentent 34 % de la SAU. 3 millions de tonnes de canne ont été produits en 2011, ce qui a permis une augmentation légère de 5,5 % sur ces cinq dernières années.

Les situations par département sont très différentes :

En Martinique, la production est essentiellement tournée vers le rhum agricole AOC, avec cependant le maintien d'une sucrerie qui perdure, la sucrerie du Gallion.

À La Réunion, la SAU de la canne représente 57 % de la SAU totale. La production est surtout tournée vers le sucre ; la production de rhum provient presqu'exclusivement de rhum de sucrerie, c'est-à-dire de la distillation de la mélasse. Il existe néanmoins un rhum agricole.

En Guadeloupe, même si la production de rhum agricole reste importante, 88 % des cannes sont destinés à la transformation en sucre.

La Guyane se distingue par de très petites surfaces : 140 hectares sont cultivés en canne. La production de canne est exclusivement tournée vers le rhum agricole, produit dans la seule distillerie de Guyane : la distillerie de Saint-Maurice à Saint-Laurent du Maroni.

Pour résumer, tous DOM confondus, 34 % de la SAU sont consacrés à la canne, avec un maximum à La Réunion (57 % et 25 000 hectares) ; 16 % de la SAU en Martinique (3 906 hectares) ; 43% en Guadeloupe (ce qui représente 13 800 hectares) ; 5,5 % en Guyane (140 hectares).

Par ailleurs, les surfaces en canne résistent bien à la pression foncière dans tous les départements, même si elles sont en légère diminution au cours des cinq dernières années. C'est en Guyane que la diminution a été la plus importante. Elle a avoisiné les 3 % dans les autres départements.

La production de canne se maintient, voire augmente légèrement, grâce à deux facteurs : l'augmentation des rendements, obtenue grâce à une meilleure maîtrise des parcours de production ; et l'augmentation des surfaces irriguées. La production reste ainsi relativement stable à la fois en surface et en production.

J'en viens maintenant à la production de rhum, qui concerne les quatre départements qui cultivent de la canne. Elle procure 9 000 emplois dans les plantations, et 15 000 emplois directs et indirects si on prend en compte les emplois des 24 distilleries. Le rhum contribue aussi à la richesse locale par le biais du tourisme et des exportations.

Seule, la Martinique bénéficie d'une AOC pour l'ensemble de sa production de rhum agricole. Les situations sont contrastées : la part de la canne destinée au rhum agricole varie beaucoup d'un DOM à l'autre.

En Guyane, 100 % de la production est destinée au rhum agricole, mais avec une production limitée et exclusivement destinée au marché local. C'est le plus petit producteur de rhum en volume des quatre DOM, avec une unique distillerie.

À l'opposé, La Réunion est le DOM qui produit le plus de rhum en volume : la production atteint 106 400 hectolitres d'alcool pur (HAP) ; mais La Réunion ne produit quasiment pas de rhum agricole.

La Martinique est le deuxième producteur de rhum sur les quatre DOM ; 66 % de la production cannière de la Martinique sont destinés au rhum agricole, ce qui représente 83 000 HAP, soit 83 % de la production totale du rhum martiniquais.

La Guadeloupe, troisième producteur de rhum juste après la Martinique, présente une situation contrastée : la production de sucre y est importante. 7 % de la production de la canne sont destinés au rhum agricole avec une production de rhum de 75 656 HAP.

En revanche, pour la production de rhum agricole pur, qui provient directement de la distillation du jus de canne, la Martinique est de loin le premier producteur, avec ensuite la Guadeloupe, puis la Guyane et enfin La Réunion.

On voit donc que le positionnement des quatre DOM est différent selon le critère considéré : SAU cannière, production globale de rhum, ou production de rhum agricole.

Les quatre DOM disposent de 24 distilleries : 12 en Guadeloupe (dont 4 petites à Marie-Galante, et 2 de taille assez importantes mais indépendantes : Damoiseau et Bologne), 8 en Martinique, réparties de façon assez homogène sur le territoire, avec une production relativement basse en 2010 par rapport aux « bonnes années » 2007 et 2008, et rattachées en général à de grands groupes, sauf la distillerie indépendante Neisson, à 70 % tournée vers le marché local ; 3 à La Réunion et une en Guyane, destinée uniquement au rhum agricole et destinée au marché guyanais.

Les distilleries sont d'importance variable ; un tiers d'entre elles sont de petites distilleries produisant moins de 2 000 HAP commercialisés hors du territoire des DOM. 3 distilleries sont indépendantes et de taille moyenne ; les autres, de plus grande taille, appartiennent à de grands groupes. 6 distilleries produisent du rhum de sucrerie, qui provient de la transformation de la mélasse.

Le rôle de ces filières en termes d'aménagement du territoire et de préservation de l'environnement est également important. Les causes en sont les suivantes :

- le cycle de production de la canne est annuel mais il est étalé dans le temps : une plantation de canne doit être renouvelée tous les cinq à huit ans ; c'est donc une culture pluriannuelle ;

- la période de récolte est étalée sur six mois, ce qui est assez long, et bénéfique pour l'outil industriel et pour l'emploi ; la récolte est réalisée selon le cas de façon manuelle ou mécanique et il faut ensuite transporter la canne jusqu'à son lieu de transformation ;

- la canne protège et limite l'érosion des sols, ce qui est particulièrement bénéfique pour les territoires accidentés davantage exposés à ce phénomène ;

- la canne résiste bien à la sécheresse et aux cyclones (contrairement à la banane ou aux cultures maraîchères, beaucoup plus fragiles) ;

- ses sous-produits (mélasse et paille) agissent comme des fertilisants qui contribuent au maintien de la qualité agronomique des sols et à l'enrichissement de la structure des sols ;

- la canne permet, dans une certaine mesure, grâce à la mélasse et la paille, d'être incorporée dans l'alimentation du bétail, et évite les importations de ces matières ;

- la valorisation énergétique est très importante : la production de canne permet de couvrir entre 30 % et 50 % des besoins d'électricité des îles à partir de la bagasse, utilisée comme source d'énergie de combustion à La Réunion et en Guadeloupe.

J'en viens maintenant aux aides publiques, de deux ordres : les aides communautaires et nationales.

Les aides communautaires sont évaluées à 75 millions d'euros de crédits d'intervention par an. Elles sont de trois types. Tout d'abord, l'aide forfaitaire annuelle d'adaptation à l'industrie sucrière, destinée aux usines de production de sucre. Elle a été mise en place pour compenser la baisse annoncée du prix du sucre et s'élève à 59,2 milliards d'euros. Elle est subordonnée à la présentation par l'industriel d'un plan d'entreprise en faveur du maintien et du développement de la production de la canne, qui garantisse le paiement d'un prix minimum de la canne aux planteurs. Ce plan d'entreprise doit prévoir des investissements en outils industriels dans les exploitations agricoles, en particulier en lien avec le développement durable. Cette aide est attribuée chaque année selon une base historique.

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