Intervention de Arnaud Martrenchar

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 27 février 2013 : 1ère réunion
Thématique : renouvellement du régime fiscal européen applicable au rhum traditionnel des dom — Audition de M. Arnaud Martrenchar chef du département des politiques agricoles rurales et maritimes du service des politiques publiques de la délégation générale à l'outre-mer dégéom

Arnaud Martrenchar, chef du département des politiques agricoles, rurales et maritimes du service des politiques publiques de la Délégation générale à l'outre-mer (DéGéOM) :

Le rhum est défini assez précisément au niveau communautaire. Il existe en effet un « règlement spiritueux », le règlement du Conseil (CEE) n° 110/2008 du 15 janvier 2008, qui définit le rhum, le rhum traditionnel et les rhums de sucrerie ou agricole. Le rhum est ainsi la boisson spiritueuse obtenue exclusivement par fermentation alcoolique et distillation, soit des mélasses ou des sirops provenant de la fabrication du sucre de la canne, soit du jus de la canne à sucre lui-même. Ce règlement précise également la teneur en substances volatiles qui doit atteindre un niveau minimum pour garantir une certaine flaveur du rhum.

On distingue deux types de rhum : le rhum de sucrerie, d'une part, qui est un produit secondaire de la canne à sucre, issu de la mélasse, et le rhum agricole, d'autre part, issu de la fermentation du jus de canne à sucre, le vesou. Le terme « traditionnel » peut compléter l'une des indications géographiques mentionnées dans le règlement lorsque le rhum est produit par distillation à moins de 90 % du volume après fermentation alcoolique de produits alcooligènes exclusivement originaires du lieu de production considéré. En d'autres termes, le rhum traditionnel ne peut utiliser de la mélasse ou du jus de canne importé. Le terme « traditionnel » n'exclut pas l'utilisation des termes « issu de la production de sucre » ou « agricole » qui peuvent être ajoutés à la dénomination de vente « rhum » et aux indications géographiques. On trouve ainsi sur le marché du « rhum traditionnel issu de la production de sucre » ou le « rhum traditionnel agricole » - qui est pour les connaisseurs le meilleur rhum.

Depuis longtemps, on a essayé de protéger le rhum des DOM - en grande partie exporté vers l'Europe et en particulier vers l'hexagone - de la concurrence des alcools des pays tiers, pays qui ne disposent pas des mêmes normes sociales et environnementales. Ces alcools arrivent donc à un prix très inférieur par rapport au coût de revient du rhum des DOM. Une directive de 1992 a ouvert la possibilité d'appliquer un taux d'accise réduit jusqu'à 50 % au rhum récolté sur le lieu de fabrication. Cette directive ne précisait pas que cette possibilité était réservée aux rhums des DOM. La profession, craignant que cette possibilité soit utilisée pour les rhums issus des pays tiers, a préféré ne pas se contenter de cette directive - qui est toujours en application. Ce texte a donc été complété par une décision du Conseil du 30 octobre 1995 qui prévoit que les États membres peuvent appliquer un taux d'accise réduit jusqu'à 50 % uniquement pour les rhums des DOM. Cette décision constitue le fondement juridique des dispositions actuellement en vigueur.

Le régime dérogatoire actuel est fondé sur l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) qui permet de prendre des mesures dérogatoires compte tenu des handicaps permanents des régions ultrapériphériques (RUP). Ce régime est autorisé par deux décisions : une décision du Conseil de 2011, qui porte sur le différentiel du taux d'accise, et une décision de la Commission de 2006 dans le cadre des aides d'État. La décision du Conseil prévoit la possibilité pour les États membres d'appliquer un différentiel pouvant aller jusqu'à 50 %. Si l'État membre veut utiliser cette faculté, il lui faut demander à la Commission l'autorisation d'appliquer cette aide d'État, en la décrivant avec précision.

Jusqu'au 31 décembre 2013, la France peut ainsi appliquer au rhum traditionnel produit dans ses quatre DOM et mis à la consommation dans l'hexagone un taux d'accise réduit à condition que ce taux ne soit pas inférieur à 50 % du taux d'accise national normal sur l'alcool. Ce taux s'applique exclusivement au rhum traditionnel produit à partir de canne à sucre récoltée sur le lieu de fabrication et ayant un titre alcoométrique acquis égal ou supérieur à 40 degrés. Cette précision sur le titre alcoométrique ne figurait pas dans le « règlement spiritueux » mais elle est importante : on ne peut pas appliquer ce mécanisme à des rhums dont un titre est inférieur à 40 degrés, ce qui est souvent le cas pour les rhums issus de pays tiers.

Des discussions ont par ailleurs eu lieu sur la définition du contingent : le taux d'accise réduit est limité à un certain contingent, qui a évolué avec le temps. Le premier contingent était fixé à 75 000 hectolitres d'alcool pur (HAP). Il a atteint 108 000 HAP en 2011 et il a été relevé , suite à une demande de la profession, à 120 000 HAP. Le contingent n'est pas utilisé aujourd'hui : seuls 110 000 HAP sont mis sur le marché. Si la production continue à augmenter, la France pourra demander une nouvelle augmentation.

Ce régime fiscal assure un débouché sur le marché européen au rhum des DOM face à la concurrence croissante des produits des pays tiers et des pays ACP. Ce différentiel de taxation se mesure en termes d'enveloppe par la différence entre ce que paieraient les rhums des DOM s'ils ne bénéficiaient d'aucune mesure de réduction et ce qu'ils paient effectivement. Cette enveloppe est importante : elle est estimée à 111 millions d'euros par an, contre 66 millions d'euros en 2007. Cette somme permet de compenser des coûts de production largement supérieurs à ceux des rhums concurrents et d'améliorer l'accès aux marchés.

La suppression de ce dispositif serait répercutée sur le prix de vente des rhums des DOM. Ils sont vendus aujourd'hui entre 15 et 18 euros par litre. Les alcools des pays tiers sont vendus à environ 13 euros, mais certains produits comme la cachaça - qui n'a pas la dénomination de rhum - sont vendus à 10 euros par litre. La répercussion de la suppression de ce dispositif conduirait à passer le prix de vente des rhums des DOM à 20 euros par litre. Ils n'auraient alors plus d'accès au marché de la grande distribution. Ce dispositif est donc indispensable à l'écoulement du rhum des DOM sur le marché hexagonal.

Le volume de l'enveloppe fait aujourd'hui l'objet de discussions avec la Commission européenne. Jusqu'en 2011, le contingent de 108 000 HAP avec une enveloppe d'aide de 78 millions d'euros ne posait pas de problème. Des modifications introduites dans la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2012 ont fait passer l'enveloppe à 111 millions d'euros. La Commission européenne demande à la France de justifier cette augmentation. Pendant un temps, il a été dit aux élus ultramarins que ce qui était demandé pour 2012 consistait juste à maintenir ce qui existait en 2011. Ce n'était pas exact ! Or, cette augmentation du montant de l'aide est difficile à justifier. Malgré la notification, la France est donc toujours dans un jeu de questions-réponses avec la Commission.

Plus précisément, la LFSS pour 2012, modifiée ensuite par la première loi de finances rectificative (LFR) pour 2012, a - pour des raisons budgétaires et de santé publique -accru le niveau des droits d'accise supportés par tous les alcools au 1er janvier 2012. Le droit d'accise est passé de 1 517 euros à 1 660 euros par HAP. L'assiette d'une deuxième taxe, la vignette de sécurité sociale (VSS), a été modifiée : jusqu'au 31 décembre 2011, elle était fixée à 1,60 euro par litre volume pour tous les alcools de plus de 16 degrés. Elle était donc identique pour un alcool à 20 degrés et un alcool à 50 degrés. Pour des raisons de santé publique, le Gouvernement a souhaité aligner la base de la VSS sur celle de l'accise, c'est-à-dire en litre d'alcool pur. La VSS est désormais fixée à 533 euros par HAP pour tous les alcools à partir de 18 degrés. Pour protéger la compétitivité de la production ultramarine, le législateur a décidé de maintenir le droit d'accise applicable au rhum traditionnel des DOM à son montant de 2011 accru du taux de l'inflation. Au 1er janvier 2012, le droit d'accise est ainsi passé à 872 euros - contre 1 660 euros pour les autres alcools. Fin février 2012, la LFR a un peu réévalué ce taux en le portant à 903 euros, suite à un courrier de la Scotch Whisky Association qui s'est émue auprès de la Commission européenne de l'augmentation considérable de l'avantage dont bénéficie le rhum des DOM. La différence était ainsi de 4 euros entre une bouteille de rhum des DOM à 40 degrés et une bouteille de whisky à 40 degrés. Le différentiel a donc été réduit dans des proportions très limitées. Parallèlement, la VSS a été plafonnée : on a précisé qu'elle ne pouvait pas dépasser 40 % du droit d'accise. Dans les faits, cette mesure s'applique uniquement au rhum des DOM. Pour cet alcool, la contribution de la VSS est de 361 euros.

On a donc une double dérogation : un droit d'accise réduit et un plafonnement de la VSS, ce qui a fait passer l'enveloppe de 79 à 111 millions d'euros par an. Cette mesure - qui s'applique depuis le 1er janvier 2012 - n'est pas compatible avec la règlementation communautaire. Il n'était pas possible de la notifier avant de connaître le dispositif retenu par le Parlement. Par la suite, la période de changement de Gouvernement et les incertitudes quant à la position du nouveau Gouvernement sur ce dossier - cette mesure constituant un manque à gagner pour l'État - explique le délai avant la prise de décision. Des premiers contacts informels ont été pris avec la Commission en février 2012. La notification a été effectuée seulement en août 2012. L'aide générée par la réduction du droit d'accise atteint 90 millions d'euros, soit un montant supérieur au montant autorisé par la Commission européenne. Le plafonnement de la VSS, de 21 millions d'euros, n'a pas reçu d'autorisation. La décision du Conseil n'autorise en effet que la réduction du droit d'accise.

Le différentiel total de taxation a donc été porté à 42 % en 2012, chiffre qui a beaucoup circulé. Certains ont estimé que ce taux était déjà de 42 % en 2011 et qu'il était donc logique de demander le même taux en 2012. Cette affirmation est cependant faussée car l'assiette de calcul a été modifiée : le taux de 42 % correspond en 2011 au différentiel du taux d'accise. Si on ajoute la VSS - alors calculée en litre volume et qui constituait un avantage pour un alcool à 50 degrés par rapport à un alcool à 40 degrés -, le différentiel atteignait alors seulement 36 %. En 2012, on est donc passé de 36 à 42 %. C'est ce différentiel qui doit être justifié auprès de la Commission européenne, mais également une nouvelle aide d'État, puisqu'aucune décision du Conseil n'autorisait à appliquer une aide en utilisant la VSS. La Commission s'est pour l'instant réservé le droit d'enregistrer cette aide au registre des aides illégales.

Malgré les tentatives de la France pour justifier cette aide, la Commission ne l'accepte pas. Elle considère que les justifications des surcoûts (augmentation des intrants, surcoûts d'accès aux marchés) ne sont pas convaincantes. Le Gouvernement a donc décidé de modifier la notification pour réduire l'enveloppe de 8 millions d'euros. Le plafonnement de la VSS serait supprimé, ce qui permettrait d'échapper à la critique portant sur la notification d'une aide illégale et de conserver une enveloppe satisfaisante pour le rhum des DOM. Par ailleurs le maximum de différentiel autorisé par la décision du Conseil serait utilisé, c'est-à-dire 50 %. Une mesure serait prise en faveur des petites distilleries, les plus vulnérables : elles peuvent plus difficilement amortir les équipements et elles n'ont pas le même pouvoir de discussion avec la grande distribution et donc pas le même accès au marché. Par ailleurs, elles produisent du rhum agricole à 50 degrés et donc plus taxé : contrairement aux « grosses » distilleries qui produisent souvent également du rhum de sucrerie, elles ne peuvent compenser cette taxation par le bénéfice tiré sur des bouteilles moins taxées. Cette disposition conduirait à demander que, pour ces petites distilleries, la VSS soit calculée sur la même base que ce qui existait en 2011. Cette mesure serait relativement limitée : les 11 petites distilleries disposent d'un contingent de 8 800 HAP.

La Commission a pris connaissance de ces éléments, sans, à ce jour, avoir pris une position officielle. Nous avons le sentiment qu'elle est satisfaite que cette proposition aille dans le bon sens. Un point reste sensible : à quelle date cette modification sera appliquée ? Aura-t-elle un effet rétroactif au 1er janvier 2012 ? Sur le premier point, un vecteur législatif est nécessaire - comme il s'agit d'une disposition budgétaire, un vecteur budgétaire - mais nous n'avons pas de visibilité. Sur le second point, nous souhaiterions que la Commission passe l'éponge sur ce qui s'est passé en 2012 pour ne pas demander 8 millions d'euros aux distillateurs. Une intervention politique sera certainement nécessaire sur ce point. Il faut dans tous les cas éviter qu'une procédure d'aide illégale soit enclenchée. La Commission serait en effet alors en droit de demander le remboursement de la totalité de l'aide. Par le passé, plus de 100 millions d'euros ont ainsi dû être remboursés à cause d'aides à la production végétale de l'hexagone. 40 millions d'euros d'aides à la pêche durable ont également dû être remboursés. Par ailleurs, si cette procédure était lancée, tous les concurrents des rhums des DOM auraient accès au dossier.

L'objectif est donc d'aboutir à un compromis et de faire passer l'aide à 103 millions d'euros. Que va-t-il se passer à compter du 1er janvier 2014 ? Nous demandons le renouvellement de la décision du Conseil. Pour ce qui concerne l'aide d'État, la demande n'est pas encore réintroduite, car nous ne savons pas quelle sera la décision finale de la Commission sur l'aide actuelle.

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