Intervention de Richard Yung

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 12 mars 2013 : 1ère réunion
Séparation et régulation des activités bancaires — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Richard YungRichard Yung, rapporteur :

Le projet de loi qui nous est soumis a été adopté par l'Assemblée nationale le 19 février dernier. Afin de préparer mon rapport, j'ai procédé à une vingtaine d'auditions et j'ai effectué plusieurs déplacements, à Londres, à Berlin et à Bruxelles. J'aurai une cinquantaine d'amendements, fruits de ces divers travaux, à vous proposer.

Ce texte est pleinement d'actualité. En effet, alors que nous ressentons toujours les effets de la crise bancaire partie de la faillite de Lehman Brothers et de la crise des dettes souveraines qui s'en est suivie, l'encadrement du secteur financier reste au coeur des préoccupations au niveau international. On peut notamment citer les propositions de normes prudentielles issues des accords dits de « Bâle III » que le paquet dit « CRD IV » devrait traduire en droit communautaire, les règles de supervision bancaire européennes ainsi que les travaux en cours au sein de la Commission européenne en vue de proposer une directive sur la résolution commune - c'est-à-dire la manière de faire face à la faillite d'un établissement bancaire. Des démarches similaires ont guidé l'Allemagne et semblent inspirer le Royaume-Uni ou encore les Etats-Unis.

Le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires propose une réforme d'ampleur pour modifier en profondeur le paysage bancaire français. Il poursuit un triple objectif : diminuer la taille des bilans des banques, mieux diriger l'activité de ces établissements vers le financement de l'économie et cantonner les activités de nature spéculative. Il doit s'apprécier en lien avec les autres réformes engagées par le Gouvernement concernant la réduction des déficits, la compétitivité des entreprises avec notamment la création du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), les mesures relatives aux retraites, le pacte pour l'emploi ou encore la mise sur pied de la Banque publique d'investissement (BPI).

Ce texte se compose de huit titres.

Le titre Ier est relatif à la « séparation des activités utiles au financement de l'économie des activités spéculatives », conformément à un engagement pris par le Président de la République. Il part d'un triple constat. En premier lieu, la taille même du bilan des banques, sans lien avec l'activité économique réelle, montre bien l'ampleur déraisonnable des activités financières spéculatives ; à titre d'illustration, soulignons simplement que le bilan cumulé des banques françaises atteint quelque 10 000 milliards d'euros, soit environ cinq fois plus que le PIB de notre pays. En deuxième lieu, le financement des « activités utiles », que l'on pourrait définir comme la collecte de dépôts et la transformation de ces sommes en crédit pour l'investissement, l'innovation, l'exportation et autres activités essentielles, a fortement baissé depuis quelques années et il convient d'enrayer ce phénomène. En troisième lieu, les principaux établissements bancaires étant « trop gros pour couler » et bénéficiant donc d'une garantie implicite ou explicite de l'Etat, leurs dirigeants sont de facto déresponsabilisés, ce qui n'est évidemment pas sain.

Le choix du Gouvernement, que traduit ce projet de loi, est celui de la création de filiales séparées au sein des groupes bancaires, qui disposeraient d'un bilan et d'une gouvernance propres. Il s'agit donc d'une séparation mais pas d'une totale spécialisation des banques. Des amendements de l'Assemblée nationale ont d'ailleurs permis d'accroître l'ambition de cette partie du texte, en particulier en interdisant les prêts non garantis aux fonds spéculatifs sur fonds propres. Les activités de spéculation sur les matières premières agricoles ou encore le trading à haute fréquence seront interdites dans la « filiale cantonnée ». Les députés ont également introduit des mesures relatives aux paradis fiscaux.

Le titre II traite de la mise en place d'un régime de résolution bancaire, démarche très innovante qu'il convient de saluer. En termes institutionnels, cela se traduirait par la création, au sein de l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP), à côté du collège de supervision, d'un collège de résolution composé de cinq membres, l'ACP devant d'ailleurs devenir, une fois la loi promulguée, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Dans la même logique, le Fonds de garantie des dépôts (FGD), alimenté par les banques pour garantir les dépôts à hauteur de 100 000 euros par client et par établissement, deviendrait le Fonds de garantie des dépôts et de résolution (FGDR) en acquérant de nouvelles compétences et en devenant le « bras armé financier » du collège de résolution. Le fonds pourrait notamment, en cas de défaillance d'un établissement bancaire, souscrire au capital de l'établissement ou, le cas échéant, de l'établissement-relais, participer à une augmentation de capital, consentir des financements à l'établissement sous des formes très diverses, bref disposer d'une large palette de moyens d'actions.

Dans ce cadre, les établissements bancaires devraient établir des plans préventifs de rétablissement qu'ils adresseraient à l'APCR, l'Autorité élaborant, à partir de là, des plans préventifs de résolution qui incluraient des modalités spécifiques d'application. L'ACPR aurait un droit d'injonction à l'égard des banques. L'article 7 du projet de loi définit la défaillance et précise les mesures pouvant être prises par l'Autorité. L'idée est d'éviter que les pouvoirs publics se retrouvent pris au dépourvu, en d'autres termes de prévenir le syndrome du « coup de téléphone du vendredi après-midi », en référence à celui que le patron de la Royal Bank of Scotland a passé au gouverneur de la Banque d'Angleterre pour lui annoncer la déconfiture de son établissement, le gouverneur s'étant alors lui-même retourné en catastrophe vers le chancelier de l'Echiquier, ainsi placé au pied du mur. Au contraire, le texte organise l'enchaînement des appels à telle ou telle source de financement, les fonds publics n'étant appelés à la rescousse qu'une fois épuisées toutes les sources de financement privées.

Le titre III du projet de loi traite de la surveillance macro-prudentielle. Il propose la création d'un Conseil de stabilité financière qui remplacerait le Conseil de régulation financière et du risque systémique. Celui-ci serait chargé à la fois de la surveillance du système financier et de la détection de la formation de ces « bulles » spéculatives qui, lorsqu'elles éclatent, font toujours de gros dégâts. Sur proposition du gouverneur de la Banque de France, le conseil pourrait demander l'application de mesures spécifiques avant que la situation ne dérape.

Le titre III bis, introduit par l'Assemblée nationale, devrait susciter l'intérêt tout particulier d'une grande partie de nos collègues puisqu'il porte sur l'encadrement des conditions d'emprunt des collectivités territoriales, en lien avec le débat relatif aux « emprunts toxiques » souscrits par certaines collectivités. Il s'agit de préciser les conditions de ces emprunts, en particulier les conditions de risque, les taux, la formule d'indexation, etc.

Après le titre IV, relatif au renforcement des pouvoirs de l'Autorité des marchés financiers (AMF) et de l'ACPR, le titre V traite des sociétés ou caisses d'assurances et de réassurances mutuelles agricoles, c'est-à-dire de Groupama. Comme vous le savez, ce groupe a connu des difficultés sérieuses. Il se trouve que l'organe central n'ayant pas de pouvoir vis-à-vis des caisses régionales. Il s'agit donc de renforcer le pouvoir de l'organe central afin qu'il puisse mieux encadrer et contrôler l'échelon régional, cette démarche rencontrant, me semble-t-il, un certain consensus.

Le titre VI du projet de loi porte sur la protection des consommateurs ainsi que sur l'égalité entre les hommes et les femmes. On y trouve diverses mesures, relatives aux domaines suivants :

- le plafonnement des commissions d'intervention et l'offre de services bancaires pour la clientèle en situation de fragilité, objet d'un amendement important des députés ;

- l'assurance emprunteur, qui représente une part non négligeable dans le produit net bancaire et qu'il convient de mieux encadrer ;

- les informations dont doit disposer le public sur les organismes de placements collectifs en valeurs mobilières (OPCVM) ;

- l'égalité entre les hommes et les femmes en matière de tarifs de polices d'assurances, en cohérence avec l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) du 1er mars 2011 « Association belge des Consommateurs Test-Achats ASBL contre Conseil des ministres ». Je ne ferai pas de commentaire sur cet article, sauf pour redire qu'il ne fait que mettre notre droit en conformité avec la jurisprudence de la Cour de Luxembourg.

Enfin, le titre VII porte sur diverses ordonnances relatives au secteur bancaire et financier et n'appelle pas de remarques particulières.

Au bout du compte, ce texte, certes un peu complexe, est riche et procède, je le répète, à une véritable réforme de structure du secteur financier. S'il est évidemment amendable - et je formulerai des propositions à cet égard - il mérite d'être soutenu. Au terme de nos débats, je vous appellerai donc à le voter.

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