Madame la présidente, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, reprendre la main par rapport aux dérives de la finance, répondre avec précision aux causes profondes de la crise financière qui a ébranlé les économies occidentales, renforcer le contrôle politique et démocratique d’un secteur qui fait depuis, soyons-en conscients, l’objet d’une défiance certaine, telle est l’ambition du projet de loi qui est soumis à votre examen, tel est le sens de cet effort affirmé et assumé de régulation, de moralisation et de contrôle que nous menons ensemble.
Je suis fier, mesdames, messieurs les sénateurs, de présenter ce projet de loi devant vous, après son adoption en première lecture par l’Assemblée nationale à une large majorité, dépassant les frontières habituelles de notre vie politique. Ce projet de loi a été adopté à l’unanimité des présents par votre commission des finances, qui l’a enrichi et amélioré. Je vois dans cette unanimité un excellent présage pour la qualité à venir de nos débats. Je les aborde, comme à l’accoutumée, avec un état d’esprit ouvert aux propositions de la Haute Assemblée.
Après la crise financière de 2008, le monde de la finance ne pouvait continuer à fonctionner à l’identique et nos concitoyens ne nous pardonneraient pas notre inaction. C’est la raison pour laquelle le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires se fonde sur une analyse à la fois précise et sans complaisance des causes de cette crise. Ces causes, il faut, bien sûr, les rechercher avant tout dans la crise de l’endettement, mais aussi dans le manque de régulation de la finance, avec ses effets sur le secteur bancaire. C’est justement ce qui a mis le feu aux poudres !
Plus précisément, la déflagration de 2008 a été provoquée par la conjonction de trois facteurs : d’abord, une mauvaise compréhension et une mauvaise gestion des risques, liées à la complexité et au manque de transparence des acteurs financiers ; ensuite, des incitations perverses pour les acteurs de la finance, largement liées à ce que l’on appelle « l’aléa moral », dû au fait que les États garantissent in fine les risques excessifs pris par les banques ; enfin, une approche de la régulation trop axée sur les comportements individuels et qui ne prenait pas en compte les déséquilibres globaux du système financier.
L’objet de ce projet de loi est simple : il consiste à répondre, point par point, à chacune de ces défaillances pour écrire et décrire un avenir différent. Ce texte vient donc réformer durablement le secteur, autour de trois grandes lignes de force.
Premièrement, il s’attaque aux activités spéculatives des banques – notamment en matérialisant l’engagement du Président de la République, François Hollande, de « séparer les activités des banques qui sont utiles à l’investissement et à l’emploi, de leurs opérations spéculatives ».
Deuxièmement, la réforme protège les dépôts des épargnants, mais aussi les contribuables dont l’argent ne doit plus être le premier mis à contribution pour sauver un établissement par hypothèse en faillite.
Troisièmement, il s’agit d’instaurer un contrôle efficace et préventif des risques au sein des banques et, plus largement, pour le système financier dans son ensemble.
J’ajoute une quatrième dimension plus concrète, à laquelle je suis personnellement très attaché, davantage tournée vers les consommateurs. Elle permettra de renforcer la protection des clients, à commencer par celle des clients les plus fragiles. Elle répond à une attente forte de nos concitoyens qui ont eu – et ont encore – le sentiment que l’État se préoccupait jusqu’alors davantage des banques que de leur propre sort.
Laissez-moi maintenant, mesdames, messieurs les sénateurs, revenir un peu plus en détail sur chacun de ces points.
Tout d’abord, le projet de loi sépare les activités utiles au financement de l’économie et à l’emploi des activités spéculatives des banques en changeant à la fois – et j’y insiste – les structures et les comportements.
Pour ce faire, le texte introduit une isolation stricte – chacun a sa formule, j’ai parlé, pour ma part, de « mise en quarantaine » – des activités spéculatives que la banque mène pour compte propre, c’est-à-dire avec son propre bilan, en mettant en risque les dépôts de ses clients.
Les banques devront, à l’avenir, après l’entrée en vigueur de cette loi, créer une filiale ad hoc soumise à une réglementation prudentielle stricte et isoler dans cette filiale ces activités spéculatives. Ce point, qui peut paraître technique, est tout à fait essentiel. Concrètement, même en cas de difficultés, même en cas de faillite, la maison mère ne pourra pas financer davantage sa filiale, quitte à la condamner.
Dans la lignée des travaux de l’Assemblée nationale, qui avait déjà « électrisé » – j’emploie des guillemets, car c’est le mot qui a été utilisé – la barrière entre la filiale et sa maison mère, la commission des finances du Sénat a adopté plusieurs amendements pour renforcer davantage encore ce cantonnement afin de rendre les choses encore plus claires, en vue d’éviter certains contournements potentiels. Aujourd’hui, je peux le dire, les dispositions relatives à la filialisation sont très solides.
Si le texte choisit d’isoler spécifiquement ces activités, c’est pour la simple raison qu’elles ont concentré le gros de pertes essuyées par les banques françaises sur les marchés pendant la crise. Le cantonnement va donc protéger à la fois la maison mère et ses clients et empêcher que les activités pour compte propre ne retrouvent leur niveau d’avant la crise, lorsque celles-ci menaçaient la stabilité financière.
Quant aux activités qui ne seront pas cantonnées dans la filiale, elles ne seront évidemment pas, pour autant, laissées sans surveillance. Au contraire, elles feront l’objet d’un encadrement très précis, d’une surveillance étroite de la part d’une nouvelle autorité, l’Autorité de contrôle prudentiel, l’ACP, qui existe déjà, mais à laquelle on ajoute le « r » de « résolution », pour en faire l’ACPR. Au total, l’ensemble des activités que les banques mènent sur le marché financier seront, à l’avenir, soumises à des règles strictes et à un contrôle étroit.
Ce projet de loi, vous le savez, ne vise pas à séparer les banques d’investissement des banques commerciales. Il a pour objet de séparer non les structures mais les activités.
J’ai déjà exposé le fondement de cette approche. Je n’y reviendrai donc pas longuement, mais je veux toutefois en dire quelques mots. Si j’avais estimé que couper les banques en deux pouvait permettre d’une quelconque manière de répondre aux causes profondes de la crise, je l’aurais fait. J’ai acquis la conviction que tel n’était pas le cas, à l’occasion des consultations que j’ai engagées avec les représentants des banques, bien sûr, mais aussi des usagers, des consommateurs et des organisations syndicales de cette industrie qui emploie tout de même, nous ne devons pas l’oublier, 400 000 personnes en France.