Je vais expliquer pourquoi.
Un enseignement majeur de la crise est qu’il n’est nul besoin d’être une banque de dépôt pour avoir un caractère systémique. Des banques spécialisées, y compris des grandes banques d’investissement, peuvent tout à fait menacer la stabilité du système financier et bénéficier par conséquent de la garantie implicite de l’État. Les bons outils pour répondre à ce problème sont ceux proposés par le projet de loi, à savoir le cantonnement des activités spéculatives pour compte propre, l’encadrement des activités de marché, qu’elles soient ou non filialisées, et, enfin, la mise en place d’un régime de résolution bancaire.
Par ailleurs, même avec une filialisation plus large, que vous appelez de vos vœux, monsieur Collombat, et compte tenu du poids limité de ces activités dans le bilan des banques françaises aujourd’hui, aucune filiale de banque française n’atteindrait la taille critique nécessaire pour être viable. Votre amendement conduirait de fait à l’abandon de ces activités par les banques françaises pour le plus grand profit de leurs concurrents étrangers et au détriment de nos entreprises, qui ont intérêt à avoir des banques françaises capables de leur offrir ce type de services. Il faut aussi protéger nos banques !
En outre, la viabilité des banques d’investissement pures en tant que telles me semble pour le moins douteuse. La crise a en effet démontré que ces acteurs étaient très fragiles, en plus d’être dangereux. Il n’existe ainsi pratiquement plus aucune grande banque d’investissement indépendante.
Contrairement à l’objectif que nous visons tous, votre amendement aboutirait finalement à une interdiction de fait pour les banques françaises, universelles ou pas, d’exercer de telles activités, au détriment des intérêts de leurs clients, c’est-à-dire des entreprises, et du financement de l’économie.
Concernant l’amendement n° 69, je rejoindrai M. le rapporteur en m’en remettant également à la sagesse du Sénat, que je sais grande. En effet, il n’est pas absurde de chercher à prévenir les conflits d’intérêts avec les clients.
S’agissant de l’amendement n° 70, qui vise à généraliser l’obligation de filialiser, que le projet de loi n’impose que si les activités visées dépassent une certaine taille, je n’y suis pas favorable.
L’amendement n° 219 tend à mettre en œuvre une forme de Glass-Steagall Act. La réflexion qui a été menée par le Gouvernement l’a conduit à la conclusion qu’une telle réforme n’est pas la réponse adaptée.
Tout d’abord, elle ne permet pas de répondre efficacement à ses propres objectifs, notamment celui de casser la garantie implicite que l’État est contraint de donner à certaines banques et qui les pousse à prendre des risques excessifs.
Ensuite, elle ne tient pas compte du fait que les banques d’investissement pures ont montré leur grande fragilité pendant la crise et ont presque toutes disparu depuis lors.
Enfin, elle conduirait à faire disparaître une offre de services que les banques françaises peuvent aujourd’hui proposer aux entreprises pour leur fournir un accès aux marchés financiers ou aux produits sophistiqués dont elles ont besoin et qu’elles devront donc aller chercher ailleurs – on tuerait la place de Paris ! –, et ce alors même que les banques sont déjà de plus en plus contraintes dans leur capacité à leur apporter des financements par le crédit.
Pour toutes ces raisons, la séparation stricte conduirait surtout à favoriser, contrairement à ce que vous souhaitez, monsieur Desessard, le développement du « système bancaire parallèle », ou shadow banking, en dehors du périmètre réglementé des banques et, pour l’essentiel, en dehors de notre champ de réglementation et de supervision. Voilà pourquoi l’approche du projet de loi est de cantonner strictement les activités à risques dépourvues de liens avec le financement de l’économie.
L’amendement n° 71 vise à étendre l’obligation de filialisation aux activités de négociation conduites pour compte de tiers. Une telle mesure n’aurait aucun sens au regard des objectifs du projet de loi : par construction, lorsqu’une entité négocie pour compte de tiers, elle n’expose pas son bilan et donc n’affecte pas la sécurité des déposants ni la stabilité financière. En pratique, une telle disposition serait même extrêmement dommageable pour les sociétés de gestion de portefeuille, qui agissent pour le compte des investisseurs dont elles collectent les fonds. Je n’y suis donc pas favorable.
L’amendement n° 72 ne peut être accepté, car il vise à transférer à la filiale les activités de prestations de services d’investissement et de compensation. Compte tenu des contraintes fortes qui pèsent sur la filiale, qui sera privée de toute garantie de la maison mère, et du caractère modeste de ces activités dans le bilan des banques françaises, le cantonnement des activités de services d’investissement les condamne à ne plus être compétitives, voire tout simplement à ne plus être viables. Cet amendement porterait donc atteinte aux banques françaises. Or ce n’est pas ce que vous souhaitez, monsieur Foucaud.
L’amendement n° 78 vise à plafonner par arrêté le montant unitaire des services d’investissement qui peuvent être offerts en dehors de la filiale. Les services d’investissement qui sont conservés dans la maison mère correspondent aux activités pour lesquelles la banque agit en tant qu’intermédiaire entre investisseurs et émetteurs. La mesure proposée réduirait à néant la capacité des banques à accompagner les entreprises vers les marchés. J’y suis donc défavorable.
Je suis également défavorable à l’amendement n° 73.
Les amendements identiques n° 37 rectifié et 220 tendent à faire basculer au sein de la filiale cantonnée les activités de tenue de marché. Ces amendements ne peuvent pas être acceptés, pour des raisons que j’ai déjà exposées : leur adoption aboutirait à une interdiction de fait et porterait ainsi atteinte à la capacité des banques françaises à financer l’économie. Or le projet de loi a pour objet d’encadrer ces activités.
L’amendement n° 74 est de même nature. En conséquence, le Gouvernement y est défavorable, ainsi qu’à l’amendement n° 80, qui tend à faire basculer l’activité de tenue de marché dans le cantonnement, ce qui reviendrait à empêcher les banques françaises de soutenir l’activité économique.
Voilà pour la série d’amendements qui ont trait à la filialisation. Je passe maintenant le relais à M. Moscovici.