Il ne me semble pas nécessaire de mettre en œuvre une procédure aussi lourde pour assurer la bonne information du Parlement sur ces mesures dès lors que le ministre aura décidé de fixer un seuil. Le Parlement dispose déjà de tous les moyens d’obtenir l’information nécessaire quant à l’usage des pouvoirs qu’il délègue au Gouvernement. Je demande en conséquence le retrait de cet amendement. À défaut, le Gouvernement émettra un avis défavorable.
La série d’amendements qui suit concerne la filialisation compte tenu de l’exposition des banques aux hedge funds. Je développerai un peu plus cet aspect.
Le projet de loi filialise les participations que les banques pourraient détenir dans des hedge funds. Plus largement, il filialise leurs opérations avec des hedge funds, sauf lorsque celles-ci sont garanties par une sûreté. La loi fixe ainsi une norme prudentielle visant à imposer aux banques l’obligation de réduire au maximum les risques qu’elles peuvent prendre en traitant avec un hedge fund.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je le sais, les hedge funds sont souvent perçus comme les principaux acteurs de la spéculation sur les marchés. Cette interprétation n’est pas fausse en soi. Toutefois, sur cette question, il convient de faire preuve de pragmatisme et de réalisme. En effet, il ne faudrait pas adopter des mesures qui pénaliseraient inutilement les banques françaises sans atteindre les hedge funds eux-mêmes.
Faire preuve de pragmatisme, c’est réaliser que la filialisation de toutes les activités conduites avec des hedge funds aboutirait en pratique à interdire aux banques françaises de traiter avec ce type de contreparties. Or force est de constater que celles-ci sont incontournables du fait de leur poids et de leur capacité à prendre des risques lorsque aucun autre investisseur ne l’accepte. Je ne l’admets pas sans un certain regret : les banques françaises doivent pouvoir traiter avec les hedge funds si elles veulent jouer leur rôle dans le financement de nos entreprises.
À cet égard, je rappelle que le présent texte répond à une logique de régulation, de moralisation et de contrôle, et non à une logique de punition de nos entreprises ou de pénalisation de leur capacité de financement. Il faut dépasser tout rapport affectif aux hedge funds ; qu’on les aime ou non, ces derniers sont des acteurs clefs du placement des titres d’entreprise, comme, par exemple, les obligations convertibles. Vous le savez, il s’agit là d’un instrument très utilisé par les entreprises de taille intermédiaire françaises lorsqu’elles émettent sur les marchés.
Faire preuve de réalisme, c’est admettre que ce n’est pas à l’échelle nationale et en pénalisant les banques françaises que nous améliorerons la réglementation des hedge funds. De fait, ces derniers trouveraient sans peine des banques non françaises avec qui traiter. Nous n’avons donc rien à y gagner.
Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement ne peut pas être favorable à l’amendement n° 75. A contrario, l’amendement n° 138 rectifié déposé par le groupe socialiste – j’y reviendrai – va dans le sens d’un durcissement des exigences posées par la loi. Il tend en effet à ce que l’ACPR fixe des règles encadrant les sûretés permettant à ces opérations d’échapper à la filialisation.
Pour les raisons exposées précédemment, le Gouvernement émet un avis défavorable sur les amendements n° 115 rectifié, 114 rectifié ainsi que sur les amendements identiques n° 164 rectifié bis et 222.
Je vous invite donc à vous rallier à l’amendement n° 138 rectifié présenté par M. Caffet au nom du groupe socialiste. Je le répète, ce très bon amendement tend à confier à l’ACPR la mission de contrôler la qualité, la quantité et la disponibilité du collatéral. Voilà une mesure qui fait preuve à la fois de pragmatisme et de réalisme !
À mon sens, cette disposition permettra de répondre dans la pratique aux préoccupations exprimées par les auteurs de tous les autres amendements relatifs à cette question, lesquels risqueraient fort, hélas, de manquer leur cible ! De fait, la mise en œuvre de ces préconisations pénaliserait nos banques sans pour autant atteindre les hedge funds.Or c’est bien ces derniers qu’il s’agit de juguler, ou du moins de maîtriser et de contrôler.
L’amendement n° 113 rectifié bis, qui tend à filialiser toutes les opérations des banques dans des juridictions non coopératives au sens fiscal, appelle le même type de raisonnement.
Madame Lienemann, il va sans dire que je souscris pleinement à votre volonté de lutter contre la fraude fiscale. Toutefois, la filialisation vise un but bien précis : cantonner des risques de marché que la banque assume pour son compte propre. Le fait que les contreparties d’une banque soient domiciliées dans des juridictions non coopératives au sens fiscal n’emporte, à cet égard, aucune conséquence.
De surcroît, il faut veiller à ne pas empêcher les exportateurs français de continuer de travailler avec des pays visés par la liste fiscale française. Les entreprises en question doivent pouvoir continuer à bénéficier d’un soutien financier depuis la France, par exemple sous la forme de crédits à l’exportation. Or l’adoption du présent amendement rendrait de facto une telle solution impossible.
Je le répète, le projet de loi contient d’ores et déjà plusieurs mesures à même de renforcer la lutte contre les paradis fiscaux, le blanchiment et la fraude fiscale. Ne perdons pas de vue le but visé : assurer la moralisation et le contrôle de l’activité bancaire, tout en garantissant le financement de nos entreprises.
L’amendement n° 38 rectifié vise à imposer la création d’une structure holding détenant, d’une part, la filiale cantonnée et, d’autre part, le reste du groupe bancaire.
Cette mesure altérerait profondément la philosophie du projet de loi. De plus, elle aurait un impact majeur sur la structure des groupes français, notamment des groupes mutualistes, sans effet utile sur la limitation des risques : le cantonnement de la filiale est déjà assuré par des dispositions instituant des règles prudentielles strictes, notamment en matière de respect des exigences en termes de capital et de ratio d’exposition de la mère par rapport à sa filiale. En conséquence, le Gouvernement demande le retrait ou, à défaut, le rejet de cet amendement. Il en va de même pour les amendements n° 221 et 40 rectifié.
Les amendements n° 76 et 77 tendent à transférer à la filiale les activités de prestations de services d’investissement et à supprimer la notion de seuil d’application de l’obligation de filialiser. Leur adoption aurait pour conséquence de faire basculer l’essentiel des activités de marché au sein de la filiale, notamment la fourniture de services d’investissement. Ces activités correspondent, au sens large, à l’ensemble des services visant à faciliter l’accès des clients de la banque aux marchés, soit en tant qu’émetteurs soit en tant qu’investisseurs.
En procédant ainsi, compte tenu des fortes contraintes pesant sur la filiale et de la nature même de ces activités, cantonner ces dernières reviendrait à les condamner. Je crains donc que l’adoption de tels amendements ne porte gravement atteinte à la capacité des banques françaises à financer l’économie, tout particulièrement dans un contexte où le recours direct au marché par les entreprises devrait devenir plus fréquent, sous la pression des nouvelles normes internationales en matière de régulation bancaire. Ce n’est pas là la logique de la filialisation des activités utiles qu’adopte le présent texte. Voilà pourquoi le Gouvernement préconise le retrait ou, à défaut, le rejet de ces amendements.
Mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont les réflexions que je tenais à vous livrer, qui s’inscrivent dans une perspective plus large : via le projet de loi, nous devons viser un équilibre intelligent, permettant à la fois de moraliser la finance, de lutter contre l’aléa moral, de contrôler, de réguler et de prévenir les risques, qu’ils soient individuels ou systémiques. Cependant, nul ne doit avoir pour but de pénaliser l’accès de nos entreprises aux financements : elles en ont plus que jamais besoin !
La politique du Gouvernement, notamment celle que je mène en tant que ministre de l’économie et des finances, c’est précisément de faciliter l’accès des entreprises aux différentes sources de financement. Tel est le sens de la création de la Banque publique d’investissement. Tel est le sens de cette réforme bancaire. Tel est également le sens des mesures que nous mettons en œuvre en faveur de la compétitivité de l’économie française. Dans ce cadre, veillons à ne pas nous contredire.
Le projet de loi, enrichi des amendements que je vous suggère d’adopter, des dispositions votées à l’Assemblée et complété par la commission des finances du Sénat, aboutit à un équilibre dont nous ne devons pas trop nous écarter.