L’amendement dont nous sommes saisis est important et mérite une discussion approfondie. Les excès de rémunération dans un certain nombre d’entreprises, en particulier dans le secteur bancaire et financier, suscitent d'ailleurs de véritables débats au sein de l’opinion publique.
La partie fixe, en général relativement modeste – encore qu’on s’en contenterait souvent ! –, mais surtout la partie variable, indexée sur différents critères plus ou moins discutables, font s’envoler ces rémunérations jusqu’à 6 millions, 8 millions, voire 10 millions d’euros par an, ce qui, à juste titre, a été perçu comme inacceptable par l’opinion publique. Les gens qui vivent avec le SMIC en sont abasourdis et se demandent comment cela est possible !
Cela est d’autant moins acceptable que, dans un certain nombre de cas, ces rémunérations concernent des sociétés dont les performances sont moyennes ou en baisse, voire pis, et que cette mauvaise situation n’a pas de répercussion sur la rémunération des dirigeants. Je mets de côté, pour l’instant, cet aspect des choses puisque nous défendrons ultérieurement un amendement visant spécifiquement à empêcher les versements de bonus et de parts variables dans les cas où la société est en difficulté, du moins dans le secteur bancaire.
J’ajoute qu’il est aussi beaucoup question de ce sujet dans le monde anglo-saxon : les journaux britanniques et américains sont remplis d’articles sur la rémunération des dirigeants, ce qui explique d’ailleurs les réactions extrêmement fortes des Britanniques lors de l’adoption d’un certain nombre de dispositions, qui ne sont pas encore tout à fait formalisées, dans le cadre de la proposition législative de la Commission européenne, dite CRD4, sur la rémunération des dirigeants et des traders.
Le référendum qui a eu lieu en Suisse voilà une quinzaine de jours a été organisé à la suite de l’octroi d’un bonus de 70 millions d’euros au dirigeant de Sandoz lors de son départ de la société, dans des conditions d’ailleurs assez particulières. Le scandale a été tel que le dirigeant en question a dû rendre ces 70 millions d’euros à son entreprise. Ainsi est né le mouvement populaire qui a abouti au référendum suisse.
Enfin, comme l’a rappelé M. Vaugrenard, il y a le rapport de la Cour des comptes.
La volonté de contrôle de l’actionnaire se traduit dans le say on pay : les actionnaires, autrement dit les propriétaires de l’entreprise, se réunissent en assemblée générale, discutent, puis donnent un avis ou prennent une décision – c’est un des points dont nous débattrons – concernant la détermination des rémunérations. Cela existe dans un grand nombre de pays, y compris aux États-Unis. Ce n’est donc pas une innovation.
Pour ma part – je ne parle pas là au nom de la commission –, je trouve que ce système, même s’il faut l’encadrer, est meilleur que celui du comité des rémunérations. En effet, dans les grandes entreprises, les rémunérations dépendent en pratique d’un tout petit comité, composé de trois ou quatre administrateurs, qui sont en général des partenaires de tennis ou de golf… C’est ce petit groupe qui fixe les rémunérations des dirigeants et autres mandataires sociaux, et chacun comprend que c’est à charge de revanche : aujourd'hui, on se réunit pour le conseil d’administration de la société N et, demain, les mêmes – c’est le jeu des chaises musicales ! – se réuniront pour celui de la société W. Comme cela, tout fonctionne très bien !
Voilà quelques jours, une étude émanant de HEC – certes, on peut penser qu’elle est donc orientée – a été publiée, qui fait le point de la situation et parvient à la conclusion que le say on pay, donc l’implication de l’assemblée générale, agit très peu sur l’enveloppe des rémunérations concernées. Elle écrête, elle corrige les situations tout à fait exceptionnelles – c’est en tout cas ce que dit l’étude HEC –, mais elle ne modifie ni l’enveloppe de ces rémunérations ni, par conséquent, la rémunération moyenne. Le say on pay serait donc assez peu efficace.
Par ailleurs, la commission des lois de l’Assemblée nationale, institution éminemment respectable, a établi un rapport sur la question ; il a été publié la semaine dernière. Quant au Gouvernement, il prépare, pour l’été, un projet de loi, sur lequel nous aimerions, bien sûr, en savoir plus.
Le Parlement européen, pour sa part, est en débat dans le cadre du trilogue sur la rémunération des dirigeants et traders. Un certain nombre de règles semblent se dessiner : celle du 1/1, qui interdit que la part variable soit supérieure à la partie fixe et celle selon laquelle au moins la moitié de la part variable devrait être payée sous forme d’actifs de la société concernée.
Le rapport de l’Assemblée nationale comporte une proposition n° 16 qui traite de ce problème. Permettez-moi de vous en donner partiellement lecture :
« Imposer aux grandes entreprises une obligation légale de publier des rapports spécifiquement consacrés à la présentation de leur politique de rémunération de leurs dirigeants-mandataires et à la description lisible, précise et exhaustive des rémunérations individuellement perçues par ces derniers ;
« Modifier la loi pour reconnaître à l’assemblée générale des actionnaires un droit de vote qui serait :
« - triennal et ex ante » – c'est-à-dire avant que les rémunérations aient été versées – « lorsqu’il porterait sur les principes et les grandes lignes de la politique de rémunération des dirigeants-mandataires sociaux pour les trois années à venir ;
« - annuel et ex post » – c'est-à-dire après que les rémunérations auront été versées, ce qui constituerait une sorte d’examen critique de ces rémunérations – « lorsqu’il porterait sur le détail des rémunérations – fixes et variables, mais aussi sous forme d’indemnités de bienvenue, de départ et de non-concurrence – perçues individuellement par les dirigeants-mandataires sociaux au cours de l’exercice précédant l’assemblée générale. »
La rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale propose ensuite de « reconnaître aux actionnaires un droit de veto sur les principes et le détail des rémunérations dès lors qu’une majorité des deux tiers des actionnaires réunis en assemblée générale exprime un vote négatif ». C’est donc un système de majorité semblable à celui que nous connaissons pour les nominations dans un certain d’instances du type Hauts Conseils.
Le co-rapporteur est d’un avis différent puisqu’il propose de « conférer au vote des actionnaires un caractère purement consultatif ».
Les deux formules sont donc sur la table.
En conclusion, j’indique que notre commission a souhaité s’en remettre à la sagesse du Sénat sur cet amendement. Conscients de ces différents problèmes, nous souhaitons savoir, avant que le Sénat ne se prononce, ce que le Gouvernement entend faire dans les mois qui viennent.