Je regrette de devoir modérer quelque peu l’enthousiasme qui vient de s’exprimer. En effet, cet amendement nous inspire quelques réserves.
L’amendement du Gouvernement pose les jalons, sur le plan juridique, de la création de la nouvelle agence de financement des collectivités locales, habilitée, de fait, à grouper des opérations de levée de ressources financières destinées à être employées en emprunts souscrits par les collectivités locales.
Il s’agit clairement de trouver une solution à la disparition programmée de Dexia, l’ex-Crédit local de France, dont la privatisation en 1996 aura finalement conduit au sinistre que nous connaissons aujourd’hui, sinistre auquel s’ajoute, pour un certain nombre de collectivités locales, comme l’a justement rappelé la discussion, le problème épineux du remboursement des emprunts structurés.
La récente décision rendue dans l’affaire de la Seine-Saint-Denis ne manquera d’ailleurs pas d’inciter Dexia à constituer une provision destinée à couvrir les pertes de recettes qui ne manqueront pas de résulter de la renégociation des emprunts qui devrait s’engager en application de cette jurisprudence.
Dans le schéma proposé par l’amendement gouvernemental, les collectivités locales seraient habilitées à constituer une société anonyme, dont le fondement et l’activité consisteraient à réaliser des émissions de titres de créance, ces titres étant transformés en ressources de financement pour les investissements des collectivités.
Une telle démarche présente à nos yeux plusieurs défauts, dont le moindre n’est pas de risquer de limiter le crédit aux seules collectivités ayant acquitté d’un droit d’entrée suffisant pour participer au capital de la société anonyme et l’un des plus signifiants, celui de limiter la capacité d’emprunt de chaque collectivité au montant de ce droit d’entrée.
Nous avons quelque peu l’impression, mes chers collègues, que la structure choisie sera, à l’expérience, l’outil financier de la nouvelle étape de la décentralisation, dont nous connaissons certains attendus, et qui tend, entre autres, à renforcer le pouvoir des métropoles les plus importantes de notre pays et à accroître le rôle des intercommunalités au détriment, bien souvent, à la fois des départements et des communes. Le résultat sera aussi de développer plus encore cette notion de plus en plus contestable de « chef de filat » qui tend à créer une sorte de hiérarchie entre collectivités territoriales au détriment du plus grand nombre. Cette idée, vous le savez, inquiète beaucoup d’élus.
L’agence de financement des collectivités locales ne peut, à notre sens, devenir l’instrument de l’inégalité territoriale au travers d’une sélection sans cesse plus sévère des collectivités qui auraient accès au crédit pour mener des politiques d’investissement et de développement local.
Il apparaît, de surcroît, que cette agence pourrait être rendue encore plus opérationnelle à plusieurs conditions.
D’abord, en associant au capital autant l’État que les collectivités locales elles-mêmes. Je fais ici observer que la BNG néerlandaise, la banque des communes aux Pays-Bas, dispose d’un actionnariat partagé pour moitié entre l’État et les collectivités locales. Certes, la structure et la taille des collectivités locales néerlandaises sont assez nettement différentes de celles des collectivités françaises puisque les Pays-Bas ne comptent que 12 provinces et 415 communes de plein exercice. Il importe aussi de noter que les emprunts souscrits par la BNG – en général, des émissions obligataires dont la collecte est ensuite démembrée en ressources pour les collectivités – bénéficient de la garantie de l’État.
De la même manière, nous pourrions également aller plus loin, mes chers collègues, en posant les principes d’une gestion peu ou pas intéressée de la société de financement. Il serait ainsi envisageable de limiter, par exemple, le montant des dividendes susceptibles d’être versés aux actionnaires ou de réaffecter les bénéfices réalisés soit à l’amélioration des fonds propres, soit à la réalisation de certains investissements socialement utiles.
Enfin, on peut presque se demander si la nouvelle agence de financement des collectivités locales ne pourrait adopter la forme d’une entité coopérative, où la force des uns – les plus grandes collectivités – viendrait compenser la « faiblesse » éventuelle des autres – les plus petites communes ou établissements de coopération intercommunale, par exemple.
L’amendement du Gouvernement est donc largement perfectible et ne peut nous satisfaire tout à fait, car nous ne pensons pas qu’il apporte la bonne réponse à une juste question. Nous opterons donc pour l’abstention.