Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’interviens au nom de mon collègue Joël Guerriau, qui souhaitait s’exprimer sur cet article.
L’article 14 du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires prévoit un renforcement des pouvoirs de l’Autorité de contrôle prudentiel, l’ACP, en matière de contrôle de l’honorabilité, de la compétence et de l’expérience des dirigeants des établissements de crédit. Un droit d’opposition à leur nomination et à leur renouvellement serait accordé à l’ACP dont les pouvoirs de contrôle seraient étendus à l’ensemble des administrateurs des banques coopératives régionales, alors qu’ils portaient jusqu’à présent sur les seuls dirigeants responsables des banques au sens du code monétaire et financier.
Ce texte ne tient pas compte de la nature même des banques coopératives ni de l’existence d’un organe central qui dispose déjà de larges prérogatives.
Il ne tient donc pas compte de la réalité du marché bancaire dans notre pays, qui est animé à plus de 60 % par des banques coopératives régionales.
Ce texte ne tient pas davantage compte du fait que ces banques ont remarquablement résisté à la crise financière. Ces banques dont les sièges sont dans nos régions ont continué à faire leur métier, c’est-à-dire à transformer de l’épargne collectée localement en crédits distribués localement. Elles ont continué, cela peut paraître banal, à s’occuper de leurs clients. Ne serait-il pas intéressant d’essayer de voir pourquoi elles ont traversé sereinement les crises qui se sont succédé depuis plus d’un siècle ?
Dès leur origine, ces banques ont été constituées par leurs clients pour leurs clients. Leurs conseils d’administration ou de surveillance sont composés de sociétaires clients. Le fait est que, dans ces banques coopératives régionales, on n’a pas perdu de vue l’intérêt du sociétaire client.
Aussi, est-il vraiment nécessaire de vouloir contrôler davantage aujourd’hui ce qui fonctionne, de vouloir renforcer des contrôles qui peuvent avoir des incidences contraires aux objectifs affichés ? Pouvez-vous me citer un scandale de gouvernance d’une seule banque coopérative qui justifierait notre intervention ? Le principe de solidarité au sein d’un réseau mutualiste nous met à l’abri d’un risque financier extériorisé.
Les administrateurs des réseaux mutualistes puisent leur légitimité dans leur élection par les sociétaires clients. Ainsi, ils exercent un rôle d’orientation et de contrôle de l’établissement. Les placer sous le contrôle d’un organe extérieur revient à remettre en cause l’autonomie et l’indépendance liées à leur fonction, souvent encadrées par des règles déontologiques internes.
Il est paradoxal de renforcer les pouvoirs de l’ACP. En effet, dans le cas Dexia, l’ACP avait le pouvoir d’agir à l’encontre des dirigeants responsables de cette banque, or nous avons bien là l’exemple d’un échec cuisant. Souhaitons-nous généraliser cette situation ? Le législateur fait-il œuvre utile en confiant sans cesse de nouveaux pouvoirs à des autorités qui peinent à exercer ceux qui leur sont déjà confiés ?
Qui est donc le mieux à même de contrôler la banque ? Est-ce le régulateur zélé et opiniâtre, certes sans doute issu des meilleures écoles de la République, ou le sociétaire élu par ses pairs, qui a placé une partie de son épargne dans les fonds propres de la banque et a intérêt à ce qu’ils ne s’évaporent pas ?
Le principe démocratique « un sociétaire, une voix », qui préside à la gouvernance de ces établissements mutualistes, place l’homme avant le capital dans l’ordre des priorités. Serait-il donc à ce point dangereux qu’il faille à tout prix soumettre son application à l’accord d’une autorité administrative ?
Le principe de décentralisation, qui fait de chacun des établissements régionaux une banque totalement autonome et maîtresse des décisions qu’elle prend au niveau local, serait-il si néfaste qu’il faille mettre sous la coupe d’un organe central ces dangereux sociétaires clients de province ?
L’article 14 du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires ne distingue pas les différents cas et s’applique de façon uniforme à tous les groupes bancaires, sans que soient pris en compte leur nature, leur mode de gouvernance, le nombre d’administrateurs concernés et les pouvoirs qu’ils exercent conformément à la loi et à leurs statuts. Or leurs organisations sont différentes, avec un maillage local très fin des caisses locales pour le Crédit agricole et le Crédit mutuel faisant concourir plusieurs dizaines de milliers d’administrateurs au processus de gouvernance, et une représentation moins éclatée pour les sociétés locales d’épargne, les caisses d’épargne et les Banques populaires.
L’exercice du contrôle de l’ACP sur les administrateurs de l’organe central et les dirigeants responsables des établissements régionaux est suffisant, dès lors que l’organe central est précisément le garant du bon fonctionnement tant de chaque établissement d’un groupe coopératif que de l’ensemble du réseau. C’est là le rôle de cet organe central : veiller à la conformité « matérielle » et à l’application des règles. Lui donner un rôle d’agrément des administrateurs, c’est inverser le sens de la gouvernance coopérative en transférant le pouvoir local à l’échelon national.
La mise en place d’un tel contrôle battrait assurément en brèche l’un des fondements du modèle coopératif, puisqu’il retirerait aux coopérateurs la liberté de s’administrer librement. Il est bien entendu nécessaire que des contrôles existent sur l’activité de la banque, sur la légalité et la conformité de ses comportements, ainsi que sur la déontologie et les pratiques de ses collaborateurs.
Cependant, à moins que vous ne souhaitiez remettre en cause les fondements démocratiques du modèle coopératif, il est préférable de laisser en l’état ce qui fonctionne et de s’attacher à légiférer plutôt sur ce qui pose problème.