Intervention de François Patriat

Réunion du 26 mars 2013 à 14h30
Débat sur les conclusions de la mission commune d'information sur les conséquences de la suppression de la taxe professionnelle

Photo de François PatriatFrançois Patriat :

Nous sommes réunis aujourd'hui pour dresser le bilan d’une réforme dont certains vantent les mérites, tandis que d’autres la jugent totalement négative. Au passage, je me permets de dire que tel n’était pas le sens de l’intervention de Mme Espagnac, qui a mesuré ses propos en décrivant une réforme que je considère, moi, comme à la fois brutale, coûteuse et inefficace.

Pour autant, je ne nie aucunement la nécessité qu’il y avait de réformer un impôt qu’on était effectivement allé jusqu’à qualifier d’imbécile.

La réforme à laquelle il a été procédé était censée avoir deux vertus : mettre un terme à des iniquités et à des transferts vers l’État ; fonder un impôt sur les entreprises qui soit juste, efficace, et qui procure aux collectivités locales les ressources dont elles ont besoin.

Elle dissimulait cependant une arrière-pensée, que personne n’a encore évoquée aujourd’hui : il s’agissait aussi de régler des comptes avec des collectivités considérées comme non amies, auxquelles on faisait assumer de nouvelles charges, certes nécessaires, mais en leur interdisant de bénéficier des ressources afférentes.

Cette réforme a été brutale parce que sa mise en place n’a été précédée ni d’évaluations véritables ni d’une concertation digne de ce nom. Elle a été menée à la hussarde, un peu comme de la loi TEPA, celle qui devait, souvenez-vous, créer un « choc de confiance », un « choc de croissance » et faire croire que le problème de la compétitivité était résolu.

Cette réforme a été coûteuse : elle a induit, la première année, selon Gilles Carrez lui-même, une dépense représentant plus du double des 3, 6 milliards d’euros prévus au départ. Avec la loi TEPA, elle a fait partie de ces mesures qui ont accru le déficit de la France, dont nous sommes aujourd’hui comptables et que nous devons effacer.

Cette réforme a été en outre injuste. Mme Des Esgaulx a prétendu tout à l'heure que les plus grands groupes n’en avaient pas vraiment bénéficié. Mais si ! Et à quoi servait-il de diminuer la taxe professionnelle d’Areva, d’EDF, de Carrefour et d’autres, alors que cela allait évidemment fragiliser les collectivités ?

Elle a aussi été injuste parce qu’elle s’est attaquée aux entreprises de travail temporaire d’insertion. Dans ma région, j’en connais auxquelles s’adressent des centaines, voire des milliers de jeunes, et qui ont vu leur taxe multipliée par sept ! Aujourd’hui, elles se plaignent de ne plus pouvoir remplir leur fonction sur le territoire. Or il s’agit là de l’aide directe à l’emploi pour des jeunes sortis du système !

En ce qui concerne les collectivités, je me souviens du cynisme d’un ancien membre du Gouvernement qui, rencontrant avec moi des élus locaux de la Puisaye, en Bourgogne, avait dit à peu près ceci : « Cette réforme, elle est vraiment bien pour les communes. Pour les intercommunalités, elle est bien. Pour les départements, ça va. Mais les régions, c’est vrai, elles n’auront rien ! »

Parlons donc un peu des régions. Avant la réforme, nous bénéficiions de 30 % d’autonomie fiscale. Elle a été ramenée à 9 % à l’issue de la réforme, et il faut voir à quels impôts elle a été cantonnée : les cartes grises et la TIPP ! On nous disait que celle-ci était un impôt porteur… Mais chacun voit bien où est aujourd’hui le problème pour les régions : les immatriculations sont en baisse, et nous faisons tout pour diminuer la consommation de produits pétroliers, et donc la recette de la TIPP !

Nos ressources autonomes sont donc en baisse et, parallèlement, nous n’avons plus aucun pouvoir ! Car vous auriez pu laisser le choix des taux aux collectivités, afin de leur donner une part de responsabilité. Mais vous ne l’avez pas fait, vous les avez confiés à l’État.

Aujourd’hui, les régions ont, en réalité, un budget affecté : on leur dit de combien elles disposent, on leur annonce que la somme va encore diminuer dans les années à venir, mais qu’avec ça il faudra faire plus ! Parce que, tout en leur disant qu’elles doivent s’en tenir à leurs compétences, on les invite à participer au financement des lignes de TGV, des autoroutes, de l’innovation, au plan Campus, au développement industriel, à l’aménagement du territoire, au déploiement du très haut débit, etc. D’où l’effet de ciseaux qui a été évoqué tout à l'heure et qui met nos collectivités en grande difficulté !

Il est vrai que les temps ont changé. Cette réforme n’a pas eu que des effets négatifs, mais nous sommes unanimes pour en demander l’amélioration. Aujourd’hui, il faut aller au-delà de ce qui a été fait et repenser à la fois les missions et les ressources des collectivités locales : il faut que nous ayons des ressources qui correspondent à nos compétences.

Les régions, par exemple, sont désormais en charge des TER. On s’accorde à dire que ce transfert a eu des effets très bénéfiques sur les dessertes locales, où la fréquentation est d’ailleurs en hausse de 30 %. Il y a cependant quelque chose d’incongru à accorder aux régions la responsabilité des TER tout en asseyant leurs ressources sur la TIPP ! Il nous faut corriger cela.

Les compétences des collectivités doivent donc être redéfinies. Ce sera l’objet de la loi future. Il faudra aussi repenser leurs ressources, en mettant l’accent sur les compétences et les responsabilités de chaque niveau de collectivités. Pour ce qui est des régions, nous avons des ressources potentielles avec les opérateurs de télécommunications, avec les moyens de transport, sur lesquels nous pouvons vraiment agir. Elles pourront permettre, demain, aux collectivités d’assumer leurs fonctions.

Je suis convaincu, monsieur le ministre, que vous êtes conscient de nos difficultés. Comme l’État, comme les communes, nous sommes confrontés à des problèmes quotidiens, tels que des fermetures d’entreprises, face auxquels nous tentons de continuer à investir. C’est le cas également avec le monde associatif.

Le budget total des communes s’élève en moyenne à 128 milliards d’euros, celui des départements à 70 milliards d’euros, alors que celui des régions n’atteint même pas 35 milliards d’euros. Dans ce domaine, nous devons donc avancer avec raison et modération, mais également faire preuve d’innovation, afin d’élargir l’horizon de nos territoires.

J’ai débattu un jour avec l’ancien Président de la République dans une usine travaillant pour l’industrie nucléaire au sein de la Metal Valley du nord de la Côte-d’Or. Il avait déclaré vouloir défendre les usines, pas les collectivités locales. Je refuse, quant à moi, d’opposer entreprises et collectivités locales ! À chaque difficulté dans les entreprises, ce sont les collectivités locales qui, prenant leurs responsabilités, sont là pour réparer les dégâts ! Après-demain encore, je recevrai des salariés d’entreprises qui s’apprêtent à fermer des sites dans quelques semaines, brutalement. Ce sont les collectivités locales qui prennent en charge les difficultés qui découlent de telles décisions. Alors, ne les opposons pas aux entreprises !

Je fais confiance au Gouvernement pour engager une réforme des collectivités et une réforme des finances locales qui tiendra compte des succès des réformes fiscales précédentes comme de leurs échecs, en menant les évaluations nécessaires, afin d’offrir aux collectivités les moyens d’assumer leurs missions dans le dynamisme, la sérénité et l’égalité ! §

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion