Intervention de Claude Bérit-Débat

Réunion du 26 mars 2013 à 14h30
Débat sur les conclusions de la mission commune d'information sur les conséquences de la suppression de la taxe professionnelle

Photo de Claude Bérit-DébatClaude Bérit-Débat :

Je voudrais à mon tour rendre hommage à Jérôme Cahuzac et vous dire, monsieur le ministre, tout le plaisir que j’éprouve personnellement à vous voir occuper, avec vos compétences et votre pugnacité, cette fonction à la tête d’un ministère particulièrement important.

La question de la suppression de la taxe professionnelle fait partie, à plusieurs titres, de ces sujets auxquels le Sénat, représentant des collectivités locales, doit s’intéresser. Les orateurs précédents ont d’ailleurs montré l’importance de leur fonction élective dans leur approche de la situation, en mettant l’accent sur tel ou tel aspect.

Ce débat est d’autant plus important pour le Sénat que cette réforme n’a pas eu les effets économiques escomptés. Ce premier point mérite que nous nous y arrêtions. En tant que parlementaires, nous devons nous interroger sur la pertinence de cette réforme. On sait plus ou moins ce qu’elle coûte à l’État et aux collectivités, mais on ignore ce qu’elle leur rapporte, notamment en termes économiques.

Par ailleurs, les conséquences du remplacement de la taxe professionnelle par la CET doivent être précisément établies ; c’est l’objet du rapport qui est à l’origine de ce débat.

La fiscalité locale a été, pour le moins, profondément bouleversée par cette réforme. Les bouleversements sont de deux ordres.

La réforme de la taxe professionnelle a d’abord affecté la composition du panier fiscal des collectivités. Cela a eu d’importantes répercussions sur leur action et, notamment, sur leurs stratégies de développement. J’étais de ceux qui, lors de l’adoption de la réforme, avaient exprimé la crainte que la suppression de la taxe professionnelle n’engendre une perte de dynamisme des ressources fiscales. Cette crainte était fondée : j’en veux pour preuve que le bloc communal, dont il est admis qu’il a été le moins maltraité, en a tout de même été profondément affecté. C’est notamment vrai pour les EPCI dont la seule ressource fiscale était la taxe professionnelle unique, la TPU.

La communauté d’agglomération que je préside avait fait, au départ, le choix de la TPU, sans impôts-ménages additionnels. Cette simplicité fiscale relative avait deux avantages. Elle avait d’abord favorisé le renforcement du lien intercommunal. Elle avait ensuite permis d’élaborer un plan de développement fondé sur un dynamisme prévisible des recettes fiscales, sans peser sur les ménages. Cette époque, qui m’apparaît rétrospectivement comme particulièrement favorable, est bien révolue.

Notre recette unique a été remplacée par sept autres lignes de recettes d’origine économique ou en provenance des ménages, de recettes transférées d’autres collectivités, pour certaines appuyées sur la variable d’ajustement constituée par le FNGIR, le fonds national de garantie individuelle des ressources.

La conséquence de tout cela – le rapport l’établit très bien –, c’est que l’autonomie fiscale des communautés s’est dégradée. La réforme a en effet conduit à une forte augmentation de la part des impôts-ménages dans les ressources fiscales du bloc communal.

Ainsi, dans ma communauté d’agglomération, nous sommes passés d’un financement à 100 % par la TPU à un financement provenant à hauteur de 45 % des taxes- ménages. Dans ces conditions, l’autonomie financière et fiscale dont je suis, en théorie, censé disposer est, en pratique, très réduite.

Se pose un second problème qui est, lui, non plus fiscal, mais financier et économique : comment définir une stratégie d’investissement aussi efficace que celle dont nous avions pu bénéficier avec la seule TPU ?

Très concrètement – en témoigne le débat d’orientation budgétaire que nous avons eu au sein de ma communauté d’agglomération et le budget que nous allons mettre aux voix vendredi prochain –, alors que la recette de notre TPU augmentait en moyenne, sur notre territoire, de 4, 5 % par an, nous avons connu, avec la suppression de la taxe professionnelle, deux années de « gel », entre 2009 et 2011, par l’effet du FNGIR. La dynamique de nos ressources a donc été rompue : notre produit fiscal a augmenté, entre 2009 et 2012, de 0, 4 %, contre 4, 5 % par an auparavant.

Or, dans le même temps, les attentes en matière d’investissements n’ont pas diminué, et je crois que tout le monde en est conscient. De fait, a fortiori en période de crise, les collectivités constituent une source d’investissements indispensable au soutien de l’activité économique et aux besoins sociaux de nos concitoyens. Un certain nombre de mes collègues ont rappelé qu’environ 70 % des investissements publics sont en effet assurés par les collectivités territoriales. C’est dire le rôle que jouent celles-ci en la matière ; on peut notamment évoquer la part du chiffre d’affaires que réalisent, grâce à elles, les entreprises du bâtiment ou des travaux publics.

C’est donc toute une stratégie de développement économique et social qui doit être repensée, pouvant conduire à un réajustement forcément à la baisse de nos priorités d’action.

Compte tenu de la conjoncture économique, la suppression de la taxe professionnelle est intervenue au plus mauvais moment. Elle a rendu l’action publique prisonnière d’un carcan fiscal qui, de toute évidence, ne répond pas aux besoins des collectivités.

À ce titre, les mécanismes de péréquation qui ont été mis en place sont encore très insatisfaisants puisqu’ils ne permettent pas de corriger suffisamment les disparités territoriales. C’est d’autant plus inacceptable pour certains que la suppression de la taxe professionnelle n’a pas, en fin de compte, donné aux territoires le coup de fouet escompté en termes de développement économique.

Certaines professions ont indiscutablement bénéficié d’importants effets d’aubaine. Globalement, la plupart des secteurs d’activité ont tiré profit de la suppression de la taxe professionnelle, mais, s’il fallait mettre en balance ces bénéfices avec le coût induit pour la collectivité, je ne suis pas du tout certain que l’on parviendrait à un équilibre satisfaisant.

Aussi, la réforme des collectivités territoriales doit être l’occasion de rétablir une fiscalité équitable et dynamique, qui redonne tout son sens à l’idée d’autonomie financière et fiscale. Je fais mien le plaidoyer de notre collègue François Patriat pour les régions en le transposant aux EPCI, car, à une échelle certes différente, le problème est le même.

C’est à ces seules conditions que l’on pourra redonner aux collectivités les marges de manœuvre dont elles ont effectivement besoin. C’est en tout cas ce que je souhaite très vivement, monsieur le ministre. J’espère que nous serons entendus à l’occasion de l’examen des prochains textes qui seront présentés devant la Haute Assemblée. §

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