Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que sénateur représentant les Français établis hors de France, je serai naturellement tenté d’évoquer devant vous des sujets tels que la prise en charge des frais de scolarité ou l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, car ce sont des outils qui répondent aux besoins de nos expatriés tout en participant à notre rayonnement culturel.
J’ai entendu les différents et brillants orateurs qui se sont exprimés avant moi, et j’essaierai donc d’éviter les redites.
Chacun de nous sait que la France bénéficie de l’un des réseaux diplomatiques les plus denses et les plus anciens. Cependant, je me laisse aller à penser que, ça, « c’était avant ».
Notre réseau est le fruit du travail de personnalités issues de la société civile, qui, au fil des siècles et des expéditions, n’ont cessé de promouvoir les valeurs et les connaissances françaises dans le monde entier, de créer un besoin et de répondre à une immense attente de France.
Ce réseau est un héritage inestimable par son histoire, son ancienneté et sa diversité. Cependant, comme tout héritage, il importe de le faire fructifier : sinon, il serait dilapidé et risquerait de disparaître.
Or c’est malheureusement ce qui est en train de se passer. En effet, le rayonnement culturel et l’influence de la France reculent, quoi qu’on en dise et même si on le regrette. C'est la raison pour laquelle notre politique doit s’adapter aux nouveaux comportements et aux nouvelles attentes.
Cette situation résulte de la confluence de plusieurs phénomènes, à commencer par la concurrence féroce de pays qui n’ont plus rien d’émergents et par la mise en place de politiques très offensives par des pays comme les États-Unis ou la Chine.
En 2013, nous sommes bien loin des seules stratégies d’influence fondées sur le rayonnement culturel, l’héritage des philosophes des Lumières ou un style d’architecture.
Mes chers collègues, vous pardonnerez mon pragmatisme : face aux nouveaux défis de la mondialisation, nous ne sommes plus en mesure, tant budgétairement que structurellement, de répondre à la demande de France à l’étranger, mais c’est d’abord parce que nous la suscitons de moins en moins !
Nous faisons face à la concurrence d’instituts culturels emblématiques, très facilement reconnaissables et identifiables. Qu’il s’agisse du British Council ou des instituts Confucius et Goethe, ces établissements représentent bien plus qu’un patrimoine culturel : ils sont de véritables marques nationales.
Je me permets d'ailleurs de souligner que ces instituts ont un point commun : les pays qu’ils incarnent à l’étranger possèdent un gouvernement qui sait faire face à la crise. C’est cela, le véritable smart power qu’a souhaité mettre en place Hillary Clinton au cours du premier mandat de Barack Obama.
J’en profite pour rappeler que nous avons voté voilà deux ans une loi relative à l’action extérieure de l’État, dont l’objectif était de rendre notre action extérieure plus lisible et plus efficace. Cette ambition s’est traduite par la création de l’Institut français, et je m’en félicite.
Toutefois, la création d’EPIC et leur meilleure coordination ne suffisent pas à pallier le recul de l’influence de la France, même si nous possédons enfin un établissement à vocation culturelle facilement identifiable.
Il importe d’adopter une stratégie globale de diplomatie culturelle et d’influence qui ne soit plus conçue sous le seul prisme de l’action extérieure de l’État. Qu’en est-il aujourd’hui ? La diplomatie culturelle et d’influence, ou ce qu’il convient d’appeler le soft power, se mesure à l’aune du dynamisme d’un pays et de sa bonne santé économique et financière.
Or – peu d’entre vous me contrediront sur ce point –, notre pays est plongé dans un marasme économique dont nous ne sommes pas près de sortir. Il ne parvient à donner confiance ni aux Français en France ni aux investisseurs internationaux.
Selon une étude du cabinet PricewaterhouseCoopers publiée en janvier dernier, le nombre de jeunes Français expatriés devrait augmenter de 50 % dans les années à venir. Vous le voyez, mes chers collègues, les futurs exilés ne sont pas des milliardaires fuyant pour dissimuler des comptes bancaires, mais simplement des jeunes en quête d’un avenir meilleur, et d’abord d’un emploi qu’ils ne trouvent plus en France !
Du fait de leur attractivité, des pays tels que l’Australie, la Corée du Sud, le Canada, Singapour ou la Chine accueillent bon nombre de nos jeunes. À titre d’exemple, la moyenne d’âge des quelque 20 000 Français de Shanghai est de vingt-neuf ans.
À terme, cette tendance peut devenir inquiétante, car il ne faudrait pas que nous assistions à de trop nombreux départs de futurs actifs qualifiés. Si j’étais provocateur – mais je ne le suis pas –, je vous dirais que le rayonnement culturel de la France devrait d’abord s’exercer auprès des Français et à l’intérieur de nos frontières.
S'agissant du rayonnement culturel de la France à l’étranger, je souhaite rendre hommage à nos personnels diplomatiques, qui font avec ce qu’ils ont, c’est-à-dire avec peu, et qui œuvrent pour que la France maintienne son rang sur la scène internationale, à un moment où leur sécurité peut être compromise.
Je pense également à nos expatriés, qui, à côté de nos personnels diplomatiques et de coopération, sont les ambassadeurs « civils » de notre pays. Parce qu’ils continuent d’entreprendre et assurent la promotion de ce qu’il nous reste d’énergie malgré les trop lourdes charges financières et administratives qui pèsent sur notre pays, ils sont les premiers acteurs de la francophonie.
On ne peut que s’insurger quand on lit, de-ci de-là, que ce sont des exilés fiscaux ou qu’ils manquent de patriotisme : il est lamentable de lancer de telles accusations, qui sont plus qu’irrespectueuses envers ces pionniers de l’« envie de France » que nous souhaitons tant susciter.
Monsieur le ministre, vous me pardonnerez ces propos un peu vifs, parce que vous pensez comme moi à ce sujet et parce que nous voulons tous la même chose : plus de France et encore mieux de France à l’étranger ! §