Je veux dire à ceux qui avancent cet argument qu’il y a une grande hypocrisie dans notre droit positif. En effet, un enfant n’est pas toujours placé auprès des services du conseil général. Il peut être placé auprès d’un tiers digne de confiance. Dans ce cas, le transfert de 100 % du montant des allocations familiales est automatique.
En droit, la situation est donc aujourd'hui la suivante : lorsque des enfants sont confiés à une personne physique, le transfert des allocations est automatique ; en revanche, s’ils sont confiés au conseil général, on considère que les contribuables ou la collectivité doivent en assumer la charge. On n’en tire pas toutes les conséquences.
J’entends dire que le transfert automatique serait un problème pour les juges.
C’était vrai dans la version initiale du texte. Mea Culpa ! Mais les amendements adoptés, le travail effectué en commission, notamment sur le fondement de la proposition de loi de M. Daudigny, ainsi que par Mme la rapporteur, ont porté leurs fruits. Aujourd'hui, un large consensus républicain se dégage sur ce point. Cette difficulté a été gommée. Le pouvoir du juge est préservé et l’esprit global de la loi et le bon sens sont respectés.
J’entends dire que ce texte serait une erreur économique.
Pour certaines associations familiales, « transférer automatiquement les allocations familiales au conseil général est une erreur économique. La charge financière pour les départements sera d’autant plus lourde si la séparation de l’enfant de sa famille se prolonge. Pour exemple : la confiscation des allocations d’une famille de deux enfants ne rapporterait que 1 524 euros au conseil général alors que le “placement” d’un enfant lui coûte 34 000 euros par an. »
S’il est séduisant intellectuellement, ce raisonnement est totalement faux.
Je ne veux pas, à travers ce texte, me livrer à la stigmatisation ou à la généralisation. C’est sur la base des témoignages que j’ai recueillis auprès des familles d’accueil et des travailleurs sociaux sur le terrain que je peux vous dire que, dans de nombreux cas, le système actuel produit l’effet inverse à celui escompté.
Certaines familles ne sont pas pressées de récupérer leurs enfants, car elles se trouvent dans une situation financière plus confortable qu’auparavant. Parfois, fonder le maintien des allocations familiales sur la parentalité biologique revient à s’appuyer sur une fiction. Je pense, notamment, aux cas de maltraitance, d’abus ou d’inceste. Il me semble que ce constat fait l’objet d’un large consensus.
Pour qu’un juge prenne la décision de placer un enfant, les carences dont ce dernier souffre doivent être particulièrement importantes. Je vous le rappelle, mes chers collègues, cette décision ne se prend pas sous l’autorité des présidents de département. Il faut que les faits soient suffisamment lourds et qu’ils aient été étayés par des rapports établis par les travailleurs sociaux. Tout cela ne se fait pas sur un coin de table, dans le bureau du juge.
Il y a également de nombreux cas d’enfants retirés à leurs parents dès la maternité. On ne prend pas le risque de leur faire passer une seule journée auprès d’eux. Cela peut arriver dans des cas très particuliers, lorsque les deux parents sont lourdement handicapés, par exemple. De ce point de vue, il n’y a pas de lien à tirer entre le maintien ou la suspension du versement des allocations familiales et la durée de placement de l’enfant. Ce sont des champs totalement différents.
La proposition de loi, si elle était adoptée, donnera aux travailleurs sociaux et aux équipes chargées de ces sujets au sein de nos départements de nouveaux moyens pour mener des actions de prévention et de soutien à la parentalité. Nous avons en effet pris le soin de bâtir un texte qui ne s’applique qu’aux cas de placements judiciaires. Il ne concerne, en aucun cas, les placements administratifs.
Nous pouvons donc espérer recevoir plus de demandes de placement émanant des familles, qui, éprouvant la limite de leur autorité ou de leur capacité à intervenir, tireraient elles-mêmes la sonnette d’alarme. En faisant cette distinction, nous donnons des outils aux travailleurs sociaux sur le terrain, pour leur permettre d’affronter des réalités dont vous connaissez, comme moi, la complexité.
J’entends dire, enfin, que ce texte instaurerait une double peine.
Cet argument n’est pas recevable. Les allocations n’ont pas à compléter les revenus des parents, elles sont versées pour le bénéfice des enfants. Théoriquement, l’absence d’enfant devrait entraîner l’absence d’allocation.
J’observe que, même dans les situations dramatiques de familles qui ont l’immense douleur de perdre un enfant, les allocations familiales ne sont pas maintenues. Pour les cas de retrait et de disparition de charges, donc, la logique et le bon sens vont dans la même direction, et je ne reprendrai pas l’argument développé lorsque j’ai évoqué les tiers dignes de confiance.
Mes chers collègues, vous le voyez, tout converge pour que cette proposition de loi reçoive votre approbation.
Je dirai, pour terminer, que l’ambition des auteurs du présent texte n’est pas démesurée. Il ne s’agit ni d’une refondation de l’ASE ni d’une réponse budgétaire à la situation des conseils généraux. Il s’agit tout simplement d’une proposition de loi qui permettra de faire régner plus de justice et d’équité entre les familles et qui moralisera nos dispositifs d’aide sociale. Son adoption sera indolore pour les finances publiques, juste pour les familles et nécessaire pour les enfants. Elle permettra de rappeler que les allocations familiales doivent être consacrées aux enfants.
Si les réformes de bon sens, partagées par presque tous, ne sont pas réalisées, comment pourrons-nous faire la pédagogie des réformes les plus complexes ? C’est pourquoi je ne peux pas croire que, sur ce texte, nous ne puissions pas nous retrouver.